L’expérience de la maladie chronique
L’étude de Pucheu (2008) représente une perspective intéressante pour notre travail, puisqu’elle conjugue une double méthodologie pour étudier l’adaptation à la maladie chez les patients atteints de cancer du côlon, de maladies rénales ou de diabète de type 1. L’objectif de la méthodologie quantitative visait à démontrer l’aspect multifactoriel de l’adaptation à une pathologie somatique grave. Cette hypothèse a été confirmée puisque Pucheu, Consoli, Landi et Lecomte (2005) ont pu mettre en évidence un impact de la sévérité et du type de la maladie, de la personnalité, de la représentation de la pathologie et de l’alexithymie sur le processus d’adaptation. Dans une perspective qualitative étayée par la psychanalyse, Pucheu a souhaité mettre en évidence le point de vue intrapsychique des sujets quant à la représentation de la pathologie. Alors que les questionnaires nous donnent accès à l’adaptation cognitive , c’est-à- dire découlant du Moi cognitif conscient, l’approche qualitative psychanalytique, nous donne accès « aux processus de désorganisation/ réorganisation intrapsychique dans lequel le Moi conscient et inconscient cherche, par un ajustement continuel, à (re)trouver un équilibre homéostasique, compromis économique satisfaisant entre investissements narcissiques et objectaux tout en tenant compte des exigences de la réalité de la maladie/traitement, processus qui fait apparaître aussi le sens « subjectif» que prend l’événement maladie dans l’histoire du sujet » (Pucheu, 2008, p176).
De nombreux ouvrages autobiographiques nous rendent compte de l’expérience de la maladie. Nous pouvons citer à titre d’exemple, « Mars» de Fritz Zorn, « L’intrus» de Jean Luc Nancy ou bien encore « Hors de moi» de Claire Marin. Ces ouvrages ont pour similarité de concentrer l’attention du lecteur sur le vécu subjectif de la maladie. Il ne s’agit plus alors d’aborder cette notion à partir d’un vocabulaire médical, mais avec les propres mots de leur protagoniste, nous rendant compte des répercussions de la pathologie sur leur propre réalité subjective. « Un processus dynamique et multifactoriel, dont le but est de préserver au mieux l’intégrité physique et psychologique du sujet. L’adaptation psychique se traduit par un ensemble de réactions psychologiques, émotionnelles, cognitives et comportementales, qui a chaque phase de la maladie vont opérer une intégration complexe entre les expériences passées, la perception des messages futurs, et les ressources personnelles ou sociales disponibles» (Bendrihen et Rouby, 2007, cité par Blois-Da Conceiçao, 2016, 119). La détresse psychologique est comprise comme l’un des indicateurs de l’ajustement psychologique à la maladie. Si des manifestations d’anxiété, de dépression, d’hostilité peuvent être caractéristiques à un moment donné de la réalité de la maladie, c’est leur fréquence, leur intensité et leur chronicité qui permettent d’orienter vers un diagnostic de détresse émotionnelle pathologique.
Le modèle de Taylor (1983) peut nous aider à penser l’ajustement psychologique, social et comportemental en lien avec la maladie. Il postule que l’individu qui est face à un événement menaçant, la maladie dans notre cas, manifeste une tentative d’ajustement portant sur trois dimensions. La première est relative à la tentative de mise en sens de l’événement. Cette quête de sens vise la définition d’une attribution causale à l’apparition de la maladie, mais également intègre également la représentation symbolique de celle-ci pour le patient. La deuxième dimension sur laquelle porte l’ajustement du patient est relative à une tentative de retrouver un contrôle aussi bien sur l’événement que sur sa vie en général. En effet, les patients réajustent des stratégies mentales permettant de s’accommoder de leur situation en réduisant les affects négatifs. Des stratégies de contrôle primaire peuvent également être mises en acte. Il s’agit alors de fournir des efforts comportementaux pour prendre en charge la maladie. Un des principaux facteurs sur lequel l’ajustement psychologique va donc devoir s’opérer dans la maladie chronique est la dimension de la perte identitaire. Avec la pathologie, les gestes anodins du quotidien comme se déplacer, parler paraissent tout d’un coup moins automatiques qu’auparavant. L’individu bien portant se retrouve menacé par les symptômes de sa pathologie qui mettent au grand jour un état de vulnérabilité et peut le plonger dans une crise existentielle.