L’EFFERVESCENCE CULTURELLE DU TEMPS DES CADETS
Les années 1920-1930 sont effectivement marquées par une effervescence culturelle sans précédent à Madagascar. Cela a consolidé les assises de la littérature ainsi que de la peinture contemporaines. Une nouvelle génération d’auteurs, appelés les « Cadets », s’est formée autour de Rabearivelo, Samuel Ratany, Charles Rajoelisolo, mais aussi Jean Narivony, Rafanoharana, Jean-Honoré Rabekoto , Raharolahy…
De nouveaux journaux sont alors fondés, comme le Tsara Hafatra, « le bon message », ou bien Ny Mpandinika « le Penseur », Tanamasoandro « le rayon de soleil », Ranovelona « Eau vive », Sakafon-tsaina «Nourritures de l’esprit»…
« Pour JJR et sa génération, 1922 est sans conteste l’année de tous les possibles ». Les condamnés de l’affaire VVS rentrent d’exil et l’interdiction qui réduit en silence la presse pendant sept longues années est levée. Les journaux et revues fleurissent ainsi de nouveau. Cette reprise de l’activité journalistique est d’autant plus déterminante que la presse, faute d’autre alternative et pour des raisons historiques, constituait alors le circuit de production et de légitimation le plus performant. A l’époque de JJR, en effet, « les revues ont su anticiper, accompagner et exprimer les mouvements de création et de critique littéraires les plus novateurs avec un remarquable pouvoir de fécondation et de diffusion».
LA PRESENCE DIRECTE DE L’EXIL
Dans cette partie, après quelques définitions, nous allons étudier la présence directe du thème de l’exil dans les trois recueils. Nous entendons par là, l’utilisation des termes renvoyant à l’exil. Pour cela, nous aurons recours à une analyse lexicale et une attention particulière aux répétitions. Le terme « exil » est le mot clef de cette étude. Selon le dictionnaire, Larousse 9ème édition, il peut avoir deux sens :
1er sens : C’est l’expulsion de quelqu’un hors de sa patrie, lieu de résidence de cette personne, avec défense d’y entrer. C’est aussi la situation de la personne ainsi expulsée.
Il est alors synonyme de bannissement, de déportation, de déracinement, l’éloignement, l’expatriation, l’expulsion, la proscription, la séparation.
2ème sens : C’est une obligation de séjour hors d’un lieu, loin des personnes qu’on regrette. Dans ce cas, il est alors synonyme d’éloignement, de séparation.
L’exil peut alors être forcé ou volontaire. Il se dit, par extension, de tout séjour dans un lieu qui n’est pas celui où l’on voudrait être, de tout éloignement qui prive de certains agréments qu’on regrette.
L’exil de soi est alors compris comme une restriction de ses besoins, de sa manière de voir le monde pour s’adapter aux exigences hostiles des autres (de la rue pour le sans-abri, du public pour l’écrivain…) qui accaparent la plus grande part de l’énergie de la personne.
Bref, l’exil se révèle au premier degré, géographique et violent : le rejet d’une communauté envers un individu ou la nécessité vitale de fuir.
Mais il peut aussi relever d’un choix résultant de diverses causes : celles où la politique se mêle à une attraction intellectuelle ou d’autres, consécutives à la colonisation et/ou à des contraintes économiques ou encore d’aléas professionnels. Une autre forme d’exil résulte d’une volonté pleine et entière d’élire une nouvelle terre d’accueil ou encore du sentiment de la perte irréparable d’un moment privilégié. Sans plus tarder, voyons comment apparait l’exil dans ses œuvres.
LES SENTIMENTS D’EXIL
Par quels sentiments singuliers Rabearivelo est il animé pendant son exil? L’exil étant fortement présent dans les trois recueils constituant notre corpus crée en Jean-Joseph Rabearivelo divers sentiments qui se révèleront pour la plupart désastreux. Plusieurs sensations l’animent dès la naissance même de l’idée de départ pour l’Ailleurs. Ses états d’âmes sont le résultat d’un sentiment très profond coïncidant avec son exil. Tantôt il regrette le passé et se sent nostalgique, tantôt il éprouve de la tristesse, de l’angoisse et parfois il se trouve émerveillé par l’autre et se laisse aller à tel point que bon nombre de poèmes célèbre le départ et le voyage. Toute une série de sentiments ambivalents se forme alors, tant son regard sur le paysage est influencé d’un côté par la terre natale et de l’autre par une terre inconnue. Trois sentiments essentiels se dégagent alors : la nostalgie puis l’espoir et l’angoisse du départ et enfin la frustration et le désenchantement.
LA NOSTALGIE : L’écriture Rabearivelienne de CPA, Sylves et Volumes nous dévoile un poète à l’état d’âme nostalgique. Même si Jean-Joseph Rabearivelo n’a jamais quitté l’île, les conditions dans lesquelles il vivait ont poussé son esprit à ressentir cette envie de revenir à une certaine époque qui semble lui manquer. Il s’agit de la période de la royauté à Madagascar que le poète paraît idéaliser d’un côté et de l’autre, de sa jeunesse.
Le terme « nostalgie » apparaît d’ailleurs 10 fois en totalité dans le corpus. Cette occurrence n’est pas des plus élevés mais elle est significative lorsqu’on regarde de près la manière dont le poète introduit ce mot.
LE SENS PROFOND DE L’EXIL
« Comment pouvait-on être Malgache, et qui plus est poète malgache, en cette période des années 1920-1930 où l’Occident toujours conquérant ne doutait pas encore qu’il représentait l’unique modèle de civilisation78? » se demandait Serge Meitinger sur Rabearivelo.
Effectivement, nombreuses questions restent encore en suspens. Dans cette dernière partie, nous analyserons ce que signifie vraiment l’exil dans le cas de Rabearivelo dans CPA, Sylves et Volumes. Quels sont les tenants et aboutissants de ses sentiments d’exil ?
Nous savons que Rabearivelo n’a jamais quitté la terre natale, il n’a jamais quitté son île. Il n’a même vu la mer que deux ou trois fois dans sa vie et n’a vu qu’un Madagascar colonisé. Pourtant une étude lexico-thématique des trois recueils nous a permis de vérifier la forte présence du thème de l’exil. La chaîne des sentiments de déception, de dégoût, de solitude qu’il éprouve attestent d’ailleurs de son état d’exil au sol natal. A quoi cela rime ? Notre hypothèse était que l’Occident, autant que la terre natale sont sources de sentiments ambivalents chez Rabearivelo.
Table des matières
Introduction générale
PARTIE 1 – LE CONTEXTE D’ECRITURE RABEARIVELIENNE DE CHANTS POUR ABEONE, SYLVES ET VOLUMES
I. LE MILIEU LITTERAIRE ENTRE 1915 ET 1930
A- LE DEBUT DE LA LITTERATURE MALGACHE
B- Le VVS, LES « AINES »ET LEUR EXIL
C- L’EFFERVESCENCE CULTURELLE DU TEMPS DES CADETS
D- LE MOUVEMENT « MITADY NY VERY»
II. LE ROLE ET LA PLACE DE JJR DANS CE MILIEU LITTERAIRE
A- PREMIER POETE MALGACHE A ECRIRE EN FRANÇAIS
B- CHEF DE FILE POUR LA LITTERATURE MALGACHE
C- LE VA-T-VIENT ENTRE LA LITTERATURE MALGACHE ET FRANCAISE
PARTIE 2- LA FORTE PRESENCE DE L’EXIL
I. LA PRESENCE DIRECTE DE L’EXIL
A- DEFINITIONS
B- LES POEMES QUI EXPRIMENT L’EXIL AU PREMIER DEGRE
II. LES DIFFERENTES CONNOTATIONS DE L’EXIL
A- DANS LES TITRES DES RECUEILS
B- DANS LES MOTS ET EXPRESSIONS RENVOYANT A L’EXIL
C- DANS LES THEMES TRAITES
PARTIE 3- LES SENTIMENTS D’EXIL
I- LA NOSTALGIE
A- LE REGRET DU PASSE
B- LE DEGOUT DU PRESENT
II- L’ESPOIR ET L’ANGOISSE DU DEPART
A- L’ESPOIR
B- L’ANGOISSE DU DEPART
III- LA FRUSTRATION ET LE DESENCHANTEMENT
A- LA FRUSTRATION
B- LA DESILLUSION/LE DESENCHANTEMENT
C- LE DERACINEMENT
PARTIE 4- LE SENS PROFOND DE L’EXIL
I- RELATIONS AMBIVALENTES AVEC L’OCCIDENT
A- PASSION DE LA LANGUE ET DE LA CULTURE FRANCAISES
B- SES MOTIVATIONS INTIMES
C- LE REVE D’ECRIRE MALGACHE EN FRANÇAIS
II- L’ATTACHEMENT A LA TERRE NATALE
A- LA GLORIFICATION DU PASSE ET DE LA CULTURE
B- L’EXALTATION DE LA DOUCEUR DU PAYS NATAL
C- LE RETOUR AUX SOURCES ET L’ENRACINEMENT
Conclusion générale