L’EXIGENCE D’UNE ACTION EXCLUSIVEMENT NUTRITIONNELLE
Il faut garder à lřesprit que dans le cadre que nous venons de délimiter, les compléments alimentaires et les aliments enrichis1273 doivent agir dřun point de vue strictement nutritionnel et physiologique. Si le produit doit apporter des nutriments aux mangeurs, lřingestion quřil entraîne ne doit pas aller au-delà de ces exigences puisque si la carence en une substance vitaminique ou minérale est préjudiciable à lřorganisme du mangeur, à lřinverse une consommation excessive peut dépasser le cadre homéostatique1274 (§1). Cřest donc dans cette logique que le Législateur communautaire rejette de tels effets comme il le mentionne tant dans la directive 2002/46/CE que dans le règlement (CE) n°1925/2006, en imposant la fixation de limites supérieures de sécurité devant être respectées par les fabricants (§2). pour lřalimentation humaine et le corps humain. Par exemple, rappelons-le, la vitamine C ou acide ascorbique, participe notamment à la structure des os, des cartilages, des dents, de la peau et a des effets pro-oxydants1275. Son insuffisance peut entraîner des maladies cardio-vasculaires, de lřhypertension, des septicémies, des hémorragies. Et potentiellement le scorbut et la maladie de Barlow (scorbut chez lřenfant), même si ces pathologiques ne concernent plus le mangeur européen. Mais en revanche, si lřon se réfère au rapport1276 du 11 décembre 1992 du Comité Scientifique de lřAlimentation Humaine1277 sur les nutriments et apports en énergie pour la Communauté européenne, nous pouvons constater1278 que la vitamine C consommée en quantité excessive peut entraîner des effets indésirables sur le plan gastro-intestinal (douleurs à lřestomac, nausées, diarrhée, colique,…), sur le plan rénal (calculs rénaux, hyperoxalurie,…), ces effets pouvant aussi provoquer une acidose métabolique1279 ou une augmentation du taux de prothrombine1280. Les vitamines et minéraux peuvent donc avoir une action nutritionnelle bénéfique ou une action dangereuse car thérapeutique. Et dans ce contexte la difficulté vient du fait quřentre ces deux possibilités, qui nous lřaurons compris entraînent respectivement une qualification juridique en aliment ou en médicament, la dose est malaisée à définir. Dřautant plus que la dose intrinsèque du produit en un nutriment ne peut se suffire à elle-même puisquřil faut également prendre en considération la consommation parallèle des mangeurs en ce nutriment pour pouvoir appréhender une action non plus nutritionnelle.
Le contentieux « vitamine C »
Cřest ainsi que suivant les Etats membres la perception de cette dose est divergente, sans compter quřau sein même dřun seul Etat, il nřest pas rare de voir cette appréhension varier. Le cas français de la conception de la vitamine C dont nous venons de voir les possibles bienfaits et effets délétères en est particulièrement révélateur1281 : ce contentieux est en effet lřexemple type dřune absence de clarté manifeste qui pénalise tant les opérateurs économiques, que les mangeurs qui peuvent suivant les cas se voir proposer à la vente des produits dangereux pour leur santé sans en être informés. Expliquons-nous. Sur ce sujet dès le 6 mai 1986 un jugement a été rendu par le Tribunal de grande instance dřAngers1282 qui a considéré quřun sachet de 800 mg de vitamine C devait être considéré comme étant constitutif dřun médicament. Puisque comme le souligne le Professeur Eric FOUASSIER, les juges avaient commis en lřespèce un expert selon lequel « lorsque la vitamine C, constituant naturel, est apportée à l’organisme dans l’alimentation, la quantité journalière absorbée se situe aux environs de 30 à 70 mg et dans ce cas elle est un constituant privilégié de l’aliment mais non un principe médicamenteux ». Mais « lorsque la vitamine C, en tant que molécule, est absorbée seule, quotidiennement, à des doses variant de 600 à 1000 mg par jour, cette molécule n’a plus rien de commun avec l’aliment ou un produit diététique. Elle est un médicament »1283. Et cřest donc logiquement que les juges ont suivi cette analyse objective puisquřils en ont conclu que « si les vitamines C, définies comme des substances indispensables au bon fonctionnement de l’organisme, que l’on rencontre en quantités minimes dans l’alimentation quotidienne, ne peuvent à de telles doses être qualifiées de médicament, il n’en demeure pas moins qu’à haute dose, il en est différemment ». Par la suite une telle conception a été confirmée par la Cour dřappel de Douai dans son arrêt du 9 avril 19871284, de même que par la Cour dřappel de Poitiers dans sa décision du 17 décembre 19871285, ou bien encore par la Cour dřappel de Colmar qui le 30 mai 19891286 a pris en considération le fait que « les vertus thérapeutiques de la vitamine C ne sont pas un mythe, alors qu’elle est couramment prescrite contre l’asthénie, l’infection, notamment à forte dose en cas de grippe, que son effet sur les surrénales favorisant la production d’adrénaline est si bien connu, qu’il est déconseillé non seulement de prendre le produit à trop forte quantité mais aussi après 16 heures pour éviter les insomnies ». Néanmoins en parallèle pour des doses identiques, plusieurs décisions ont retenu une qualification juridique différente (parfois même au sein dřune même juridiction : Cour dřappel de Douai, 28 octobre 19881287 ; Cour dřappel de Colmar, 23 mars 19881288). La Cour dřappel dřAngers (30 janvier 1989)1289 a ainsi considéré quřune préparation vitaminée devait être étudiée « au cas par cas », puisque « malgré quelques déclarations catégoriques un peu prématurées, le rôle de la vitamine C est loin d’être établi dans la prévention et le traitement de maladies autres que celles résultant de sa propre carence ». Alors que juste avant la Cour dřappel de Dijon (15 décembre 1988)1290 avait estimé que « la rumeur publique, encouragée par certaines opérations publicitaires, a longtemps attribué à ce produit une vertu énergisante ou dynamogène alors même que la vitamine C n’a, en l’état actuel des connaissances scientifiques, qu’un seul effet thérapeutique démontré : la prévention du scorbut, maladie aujourd’hui totalement disparue en France ». Et donc quř« en l’état des connaissances scientifiques, la preuve n’est pas rapportée que la vitamine C ait des effets curatifs ou préventifs à l’égard d’un état pathologique autre que le soin de sa propre carence ».