L’exemple d’un lotier qui fait du déménagement d’entreprises et du transport de meubles ses activités principales

L’exemple d’un lotier qui fait du déménagement d’entreprises et du transport de
meubles ses activités principales

Le directeur de cette société de 500 personnes pour 200 véhicules parle très peu de prix y compris lorsque je l’interroge directement sur le sujet à la fin de l’entretien. Il répond peu aux questions, préférant parler de « qualité haut de gamme ». Dans l’objectif de maximiser son profit, il explique avoir plutôt choisi de privilégier des marges intéressantes en proposant des prix relativement élevés. Il ne s’agit donc pas pour lui de minimiser les coûts. D’ailleurs il dit proposer des salaires plus élevés que la moyenne dans l’optique de fidéliser et former ses employés à la qualité, il dit également investir dans une flotte moderne (le plus possible aux normes euros les plus récentes), et répondre aux critères qui lui permettent d’avoir la certification ISO 9001. Le maintien d’un prix élevé serait donc justifié par une qualité de service. La stratégie consiste à valoriser la marque, la réputation de l’entreprise à vendre une majorité de prestations annexes qui coutent chers et rapportent en fonction de la politique de gestion de stock du donneur d’ordre, du nombre de services à rendre (reprise de l’ancien bien…) etc. La construction de cette image de marque lui permet, semble t-il, de remporter des appels d’offre haut la main (nous avons pu vérifier une liste de clients chargeurs importante) et de conserver sa clientèle durant des années. • L’exemple d’un grand groupe de messagerie : Le directeur commercial me reçoit dans une toute petite salle où sont affichées de multiples brochures vantant les mérites de l’entreprise, salle qui se trouve au cœur de l’étage administratif où sont regroupés les commerciaux. Il parle très ouvertement des stratégies commerciales qui sont les siennes et de la concurrence à laquelle son entreprise doit faire face. En fonction de leur réseau et de leur logistique interne, il existe des segments géographiques et des poids de colis dont les messagers peuvent réaliser l’envoi à moindre coût. Si le poids de l’envoi est plus élevé, le prix augmente. La fixation du prix n’est pas alors au coût moyen associé à une marge mais selon un calcul du coût le plus bas possible complété de « dépassements » qui dépendent à la fois du nombre de contraintes qui se rajoutent (quantités L’exemple d’un lotier qui fait du déménagement d’entreprises et du transport de meubles ses activités principales :  à envoyer, fréquences, existence de pics, poids moyen éloigné du poids cible, taux de multicolis, situation géographique du destinataire mal desservi par le réseau, rapport poids/ volume extrême, taxe de montagne, taxe de livraison, livraison à date, gestion des retours, ) que de la nature de la relation commerciale avec le client (nature du destinataire (« si c’est un grand labo, c’est tout de suite oui »), ou multimarque ). « Le prix c’est le prix de l’adaptation », nous confie le directeur commercial de cette entreprise. Le fait d’être un grand groupe est par ailleurs un avantage certain dans la négociation de tarifs avec le client. Ainsi la hausse du prix du carburant peut elle être répercutée sans difficulté. Cette entreprise dont l’un des départements est entièrement dévolu aux stratégies commerciales, connait bien ses concurrents directs, leurs possibilités, contraintes et tarifs. Elle fixe ses prix via ce processus d’observation de ses concurrents et cherche à s’ajuster en s’en différenciant. Il m’explique adopter des stratégies de spécialisation, sur les biens de consommation par exemple, puisque d’autres messagers sont plus traditionnellement spécialisés en industries lourdes. Pourtant, tout en cherchant à se différencier, cette entreprise ne cherche pas à s’adapter à chaque client individuellement mais à faire des regroupements de « sur mesure » : « Nous faisons des familles de particularités que nous savons gérer ». Le sur mesure serait en effet plus coûteux. • La distribution technique Le directeur commercial de cette entreprise de 400 personnes avec 100 camions qui fait ce qu’il appelle de la « distribution technique » m’explique, lui, occuper une niche très restreinte mais pour laquelle une concurrence acharnée se livre entre trois entreprises qui proposent un service comparable. Il s’agit de transporter et d’installer des machines lourdes et/ou fragiles au sein de locaux souvent peu adaptés à cette installation. Ce service nécessite la présence de deux à six personnes par camion pour le chargement/déchargement/ montage/démontage…Il s’agit donc d’une prestation spécifique pour laquelle il existe peu d’entreprises rendant ce service. Etant donnée la concurrence très présente sur cette niche, afin de se différencier, l’objectif de cette entreprise est de coller au maximum aux demandes individuelles des clients, contrairement au messager cité avant. Pour cette raison, l’entreprise peut être amenée à pratiquer des prestations en aval (comme la réception de pièces et la finalisation de la 28 production pour des imprimantes) et en amont (installation, mise en réseau..) pour satisfaire le client. Comme le transporteur décrit dans le premier cas, le personnel est formé en continu, deux formateurs travaillent à temps complet pour l’entreprise : « pour maintenir une image de marque « haut de gamme » le personnel se doit d’être en tenue, propre, ponctuel… » Le concurrent qui réussira à être au plus près de la demande spécifique « gagne le marché ». La concurrence entre transporteurs joue donc un rôle essentiel dans la formation du prix : – Il existe une veille continuelle concernant les prix et les services proposés par les concurrents. Cela permet à l’entreprise de s’ajuster en fonction de la façon dont elle se voit par rapports aux autres. – Les coûts sont constamment ajustés pour être en mesure de faire face à une baisse de prix de la part d’un concurrent : une personne chargée de les recalculer intégralement poste par poste a d’ailleurs été embauchée et découvre ainsi des pistes d’économie faisables. Ils sont « relativement juste niveau effectifs ». – Les marges sont en constante négociation : l’entreprise explique évaluer le rapport de force dans lequel elle se trouve vis-à-vis du client, tout en tenant en compte de sa connaissance des prix des concurrents, pour recalculer la marge à la hausse ou à la baisse au bout des un ou trois ans.

Quelques enseignements

Lors des huit entretiens menés, plusieurs éléments récurrents sont cités comme importants dans la formation des prix. La notion de qualité est en particulier déclinée sous divers aspects (formation du personnel, normes de qualité, fiabilité, haut de gamme, prestation sur mesure, établissement d’un lien de confiance). Cela tient probablement en partie au fait que ces entreprises constituent des vitrines pour les différentes fédérations de transporteurs nous ayant envoyé vers elles. Plutôt que de lutter contre ce biais, j’ai préféré ici m’en servir pour chercher à éclairer ce lien entre le prix et la qualité. • La qualité dans la littérature économique 30 La littérature économique a, dans un premier temps, strictement occulté la notion de qualité, se restreignant à une analyse des biens uniformes. Puis elle a cherché à intégrer cette notion à dans les années 1960 en explicitant des caractéristiques au sein de la fonction d’utilité du consommateur (Lancaster, 1966), puis dans les années 70, derrière la notion d’« asymétrie d’information » dans les écrits de Stiglitz, Akerlof, Spence, (« prix Nobel » d’économie en 2003). Dans son célèbre article sur les voitures d’occasion, Akerlof attribue par exemple deux types de qualité possible aux voitures précisant bien que cette qualité est impossible à connaitre pour le client avant utilisation. Les voitures de bonne qualité ne peuvent être distinguées des mauvaises voitures. Le lien qualité /prix s’avère rapidement mis en déroute dans son modèle des « lemons », la qualité ne pouvant être valorisée. Rosen présente aussi « un modèle de différenciation des produits fondée sur l’hypothèse hédonique que les valeurs sont attribués aux biens en fonction des attributs ou caractéristiques en termes d’utilité. Les prix hédoniques sont définis comme les prix implicites des attributs et révélés aux agents économiques à partir des prix observés des produits différenciés et des montants spécifiques des caractéristiques qui leur sont associées. (Rosen, 1974, p. 34) mais dans l’objectif de « analyser les conséquences en termes de bien être de la législation des niveaux de qualité, un problème dont les méthodes conventionnelles ont des difficultés à rendre compte » (1974, p. 51). Dans sa théorie de la concurrence monopolistique, Chamberlain critique explicitement la théorie économique de la concurrence parfaite. Il lui préfère une théorie plus « réaliste » ou les biens ne sont pas identiques mais ont des qualités différentes. Ce qui ne les empêche pas d’être substituables. Il la le mérite d’avoir introduit une notion de marché plus large et plus concrète ou les offres et de demandes ne concernent pas un bien strictement identique mais des produits de qualités diverse bien que de même nature. • La qualité dans la sociologie économique Mais c’est surtout dans les écrits de la sociologie économique que l’on trouve les premières études empiriques sur ce lien qualité/prix. Lucien Karpik (1995) s’interroge notamment sur la formation des honoraires des avocats selon la localisation de leur cabinet, leur réputation, l’objectivation possible de la qualité de leur travail etc., qualifiant même sa théorie d’« économie de la qualité ». Aux Etats-Unis, le sociologue Harrison White (2002) construit une théorie des marchés qui se veut alternative à celle de l’économie standard et qui part de l’hypothèse que tout marché est construit autour de produits de même nature mais de qualités diverses, ce qui explique les différences de prix. Marie France Garcia Parpet dans un article 31 sur le marché aux fraises en Sologne (1984) montre le lien étroit qui se construit entre image de marque et prix. Plusieurs propositions abordées dans ces études relevant de la nouvelle sociologie économique sont d’intérêt pour notre analyse du transport routier de marchandises et constituent autant de pistes possibles dans la recherche d’une explication de la formation des prix : – Le rôle de la perception de la qualité : le modèle de White formule une hypothèse qui diffère de celle de Akerlof. Pour lui, il existe une correspondance entre perception d’une bonne qualité et un prix élevé. C’est pourquoi les entreprises souhaitant maintenir un prix élevé travaillent leur image ; les producteurs d’un bien ou service s’observent selon lui mutuellement pour déterminer aussi bien la qualité que le prix de leurs services qu’ils révisent constamment. – Une concurrence sur les prix à laquelle peut s’ajouter une concurrence sur la qualité : Selon Karpik, sur un même « marché », « il peut exister des services relativement standardisés pour lesquels l’ajustement réciproque de l’offre et de la demande se fait par la variation de prix » (1989, p. 203) qui favorise l’interchangeabilité du producteur. Dans ce cas, la concurrence passera davantage par les prix. Et d’autres types de services qui sont plus particuliers, qui ne rentrent pas dans les catégories standards prédéfinies et qui nécessite une prise en charge par un transporteur plus spécialisé par exemple. La concurrence joue alors plus facilement sur la qualité. – Le rôle du réseau : Dans son analyse de la tarification du service rendu par les avocats, Lucien Karpik explique qu’il existe une certaine opacité sur les prix. Pour trouver le bon avocat comme pour trouver le bon transporteur, la firme cliente ne dispose pas toujours d’une grille de prix publics. Elle peut néanmoins recourir aux informations sur les prix détenus par son réseau (transporteurs concurrents, clients concurrents, fournisseurs etc.). La rencontre entre chargeur et transporteur passera alors par des informations ou des connaissances personnelles davantage que par le hasard (à partir de l’annuaire ou d’une liste de transporteurs fournie par les institutions). De la même façon les directeurs commerciaux que nous avons interrogés nous ont expliqué qu’une grande partie de leur travail consistait en un démarchage auprès de clients, une mobilisation de leur réseau de relations sociales, des 32 participations à des acticités collectives pour faire circuler l’information et asseoir leur réputation. On a d’ailleurs l’impression que dans le cas du transport routier, c’est davantage le transporteur qui trouve le client, c’est lui qui répond aux appels d’offre, c’est lui qui de démarche. L’asymétrie de l’offre et la demande y est pour quelque chose. Ce réseau permet également d’obtenir des informations sur les attentes en termes de prix et de qualité du futur éventuel client comme l’indiquent ces extraits d’entretiens: « il tient beaucoup à la qualité et est prêt à y mettre le prix », « il est en période de crise et recherche des prestations peu chères », « il a précédemment eu des ennuis avec un transporteur et est prêt à relever le prix pour éviter d’avoir à nouveau ces ennuis… »

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