L’EXECUTION D’UN MANDAT D’ARRET EUROPEEN EMIS A L’ENCONTRE D’UN MINEUR

L’EXECUTION D’UN MANDAT D’ARRET EUROPEEN EMIS A L’ENCONTRE D’UN MINEUR

Premièrement, intéressons-nous à la remise passive d‟un mineur, c‟est-à-dire l‟exécution, par les autorités judiciaires belges, d‟un mandat d‟arrêt européen émis par un autre Etat membre, à l‟encontre d‟une personne mineure d‟âge. Le motif de refus d‟exécution obligatoire d‟un MAE relatif à la minorité de la personne concernée prévu à l‟article 3, 3) de la décision-cadre, transposé dans l‟article 4, 3° de la loi du 19 décembre 2003 prête à tergiversions. La jurisprudence belge n‟était pas unanime sur ce point (A), et la Cour de Justice de l‟Union européenne est intervenue récemment afin de clarifier dans quel cas un Etat d‟exécution doit refuser la remise d‟un mineur à l‟encontre duquel un MAE a été émis (B). A. JURISPRUDENCE DE LA COUR DE CASSATION BELGE L‟article 4, 3° de la loi du 19 décembre 2003 dispose que « l’exécution d’un mandat d’arrêt européen est refusée (…) si la personne qui fait l’objet du mandat d’arrêt européen ne peut encore être, en vertu du droit belge, tenue pénalement responsable des faits à l’origine du mandat d’arrêt européen en raison de son âge »  , transposant ainsi l‟article 3, 3) de la décision-cadre 2002/584. En Belgique, la majorité pénale est fixée à dix-huit ans et toute personne mineure relève du régime de protection de la jeunesse. Toutefois, il est possible d‟être tenu responsable pénalement dès l‟âge de seize ans dans deux situations précises : en cas d‟infraction de roulage42 ou en cas de dessaisissement du tribunal de la jeunesse . Pour que le juge de la jeunesse puisse décider de se dessaisir et de renvoyer un mineur devant une chambre qui appliquera le droit commun, l‟article 57bis de la loi du 8 avril 1965 (article 125 du Code de la prévention) énonce certaines conditions : il faut non seulement que le mineur soit âgé de seize ans minimum, mais également qu‟il ait déjà été soumis à une mesure auparavant et que les faits constituent des faits graves visés par la loi. Lorsque ces conditions sont remplies, il faut ensuite que le jeune soit soumis à une étude sociale ainsi qu‟à un examen psychologique. Enfin, le juge doit estimer qu‟une mesure de garde, de préservation ou d‟éducation serait inadéquate et doit motiver spécialement sa décision en regard de la personnalité, de l‟entourage et de la maturité du jeune. Dans le droit belge, ces conditions doivent être remplies cumulativement pour qu‟un mineur puisse être tenu responsable pénalement. S‟est donc posée la question de la remise d‟un mineur de plus de seize ans aux autorités judiciaires d‟un Etat membre ayant émis un mandat d‟arrêt européen à l‟encontre de ce mineur. Comme le législateur reste muet à cet égard, il faut se tourner vers la jurisprudence de la Cour de cassation. 40 Article 4, 3°, loi du 19 décembre 2003 sur le mandat d‟arrêt européen, op. cit. 41 Article 36, 4°, loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié infraction et à la réparation du dommage causé par ce fait, op. cit. : « Le tribunal de la jeunesse connaît : (…) 4° des réquisitions du ministère public à l’égard des personnes poursuivies du chef d’un fait qualifié infraction, commis avant l’âge de dix-huit ans accomplis ».  Un premier arrêt de la Cour de cassation du 23 août 2006, rendu dans le domaine de l‟extradition, reprend presque mot pour mot une circulaire du 8 août 2005 selon laquelle « la Belgique ne peut refuser la remise d‟un mineur de plus de 16 ans car la poursuite et la condamnation d‟un tel mineur à l‟étranger n‟est pas contraire à l‟ordre public belge ». Dans cet arrêt rendu par la chambre néerlandophone, la Cour rejette le pourvoi intenté pour violation de l‟article 36, 4° de la loi du 8 avril 1965 qui ne permet pas au tribunal de la jeunesse de prononcer une peine du chef d‟un fait qualifié infraction (FQI) commis avant l‟âge de 18 ans. La Cour relève que, lorsque le juge de la jeunesse procède à un dessaisissement, le tribunal de droit commun peut alors prononcer une peine ou une mesure à l‟égard du mineur de plus de seize ans, s‟il y a lieu. Elle en tire la conclusion que « les poursuites et la condamnation à l‟étranger d‟un mineur de plus de seize ans au moment des faits ne sont ainsi pas contraire à l‟ordre public belge » . Ensuite, en 2013, les chambres francophone et néerlandophone de la Cour de cassation ont rendu deux arrêts très opposés, démontrant un désaccord entre les deux sections de la Cour. Le premier arrêt, rendu le 6 février 2013, concerne le refus d‟exécution d‟un MAE émis par la Roumanie. La chambre francophone de la Cour déclare que la procédure de dessaisissement prévue à l‟article 57bis de la loi du 8 avril 1965 ne peut être applicable qu‟à une personne jugée en Belgique, et non à l‟étranger. La Cour en conclut donc qu‟une personne mineure, jugée et condamnée dans un autre Etat membre qui demande sa remise, ne peut se voir appliquer la procédure de dessaisissement. Dès lors, elle ne peut être tenue pénalement responsable selon le droit belge, et ne peut donc pas être remise à l‟autorité étrangère46 . Dans ses conclusions, l‟Avocat général Damien Vandermeersch, souligne que le régime protectionnel des mineurs déroge expressément au régime pénal du droit commun en ce qu‟il interdit que les mineurs d‟âge soient assimilés à des majeurs au niveau de leur responsabilité47. Dès lors, il déclare que, pour exécuter la remise d‟un mineur, la Belgique devrait « recevoir les assurances que l‟intéressé pourra jouir de garanties et d‟un régime équivalents à ceux applicables aux mineurs d‟âges en droit belge » 48, ce qui reviendrait à procéder à une remise conditionnelle. M. Vandermeersch ajoute également qu‟à son sens, si le législateur n‟a pas prévu l‟application de la procédure de dessaisissement – ou d‟une procédure équivalente – pour les mineurs de plus de seize ans qui feraient l‟objet d‟un MAE, c‟est qu‟il n‟a pas voulu qu‟un MAE puisse être exécuté à l‟encontre d‟une personne mineure. Il ne s‟agit pas d‟un vide juridique, mais d‟une abstention volontaire du législateur. Et lorsque le législateur décide de rester muet, les juridictions ne peuvent lui faire dire ce qu‟il ne dit pas.

ARRET DE LA CJUE DU 23 JANVIER 2018

Les faits et la procédure devant la Cour Le 17 juillet 2014, le Sad Okregowy w Bialymstoku (tribunal régional polonais) émet un mandat d‟arrêt européen contre Dawid Piotrowski, ressortissant polonais résidant en Belgique, afin de faire exécuter les peines d‟emprisonnement imposées par deux jugements rendus par les cours polonaises le 15 septembre 2011 et le 10 septembre 2012. La première peine est un emprisonnement de six mois pour vol simple, et la seconde concerne un emprisonnement de deux ans et six mois pour fausses informations relatives à un attentat61 . Par ordonnance du 6 juin 2016, le juge d‟instruction belge ordonne la mise en détention de Piotrowski dans le but d‟exécuter le mandat d‟arrêt européen et de le remettre à la Pologne mais uniquement pour l‟exécution du jugement de 2012 et non celui de 2011. En effet, à l‟époque des faits concernés par ce premier jugement, Piotrowski était âgé de 17 ans et était donc encore mineur selon le droit belge, bien qu‟il fût majeur en droit polonais, la majorité étant fixée à 17 ans en Pologne62 . Le juge d‟instruction s‟est basé sur l‟article 3, 3) de la décision-cadre 2002/584 qui prévoit qu‟un Etat devra refuser l‟exécution d‟un mandat d‟arrêt européen « si la personne qui fait l’objet du mandat d’arrêt européen ne peut, en raison de son âge, être tenue pénalement responsable des faits à l’origine de ce mandat selon le droit de l’État membre d’exécution » 63 . Le 7 juin 2016, le procureur du Roi fait appel de cette décision du juge d‟instruction devant la Chambre des mises en accusation. Il soutient qu‟un mineur de plus de seize ans peut faire l‟objet d‟une remise lorsqu‟il est sujet à un mandat d‟arrêt européen émis par les autorités belges pour des infractions au Code de la route, ou bien lorsque le tribunal de la jeunesse s‟est dessaisi de l‟affaire, comme le prévoit l‟article 57bis, de la loi du 8 avril 196564 . Le Procureur défend qu‟il ne soit pas nécessaire d‟effectuer l‟appréciation in concreto du dessaisissement, mais qu‟il suffit de prendre l‟âge en compte lorsqu‟il s‟agit d‟exécuter un mandat d‟arrêt européen émis par un autre Etat. Si le mineur avait plus de 16 ans au moment des faits, la responsabilité pénale sera possible sans qu‟il ne soit répondu aux autres conditions du dessaisissement requises par le droit belge65. Comme nous l‟avons vu précédemment, cette interprétation n‟est pas sans controverse. Le 21 juin 2017, la Cour d‟appel de Bruxelles a décidé de saisir la Cour de Justice de l‟Union Européenne, au vu de la jurisprudence contradictoire des chambres néerlandophone et francophone la Cour de cassation à laquelle elle était confrontée.

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