L’ÉVOLUTION DU PROJET ASSOCIATIF TEMPORALITÉ ET FORMALISATION
Après avoir dressé dans le chapitre précédent les premiers éléments constitutifs d’une frontière entre des changements sociaux et les clubs sportifs, je propose d’interroger l’objet du rassemblement des acteurs sous l’angle de son sens social et politique. Il s’agit surtout de repérer la capacité de l’objet et du projet associatif à se reformuler, à s’adapter aux changements sociaux, à provoquer des réponses inattendues. En effet, les éléments constitutifs d’un sens commun sous- tendent l’action associative en lui donnant une ligne d’horizon, une visée. Interroger la dynamique d’innovation sociale au sein des clubs sportifs ne peut faire l’économie d’une investigation dans les valeurs défendues et affichées, dans les références communes, dans le contrat qui lie les membres : « Explicitant le contrat d’adhésion des acteurs associés, il (le projet) est une balise en cas de tempête, référence dernière en cas de désaccord. Il est aussi cette « raison sociale » de l’association, véritable capital accumulé au fil de son histoire mais qui peut aussi s’étioler quelquefois à l’insu des membres associés eux-mêmes496 ». Le choix de traiter cet aspect m’est venu des multiples échanges qui ont porté sur la mise en place d’actions considérées comme innovantes par les dirigeants. Ces derniers n’ont eu de cesse de faire appel au projet associatif pour interroger leurs choix et les effets contingents des partenaires et des politiques publiques : « Des fois, je me dis mais « est-ce que c’est vraiment à nous de faire ça ? ». On est un club sportif avant tout497 ».
Pour William GASPARINI, toute organisation est portée par un projet collectif où chaque acteur agit, s’émancipe, se contraint dans un cadre formel fait de règles explicites ou implicites : « Entend-on par organisation un système social dont l’orientation première est la réalisation d’un projet commun ? L’atteinte des objectifs du projet suppose d’assurer la coopération et la coordination entre les membres de l’organisation, c’est-à-dire les individus impliqués dans le projet. Cette coopération n’est pas « naturelle ». Elle suppose de maintenir un lien entre ces individus dont les intérêts ne sont pas forcément convergents et qui conservent une certaine autonomie. […] L’idée d’organisation suppose donc un agencement efficace des moyens en vue d’un objet à réaliser et postule l’existence d’une autorité (ou d’une hiérarchie) et d’un minimum de règles498 ». Par conséquent, les clubs sportifs se structurent autour d’un projet fédérateur. Pour autant, de nombreux discours institutionnels tendent à relativiser ce point de vue en estimant que les clubs n’ont pas de Les raisons profondes qui poussent les individus réunis par et dans le club sportif, à se mettre d’accord, à se voir régulièrement, à se téléphoner, à se répartir des tâches de travail, à organiser des tournois, etc. apparaissent comme une évidence implicite : « On sait tous pourquoi on fait ça. C’est pour les gamins, c’est pour le quartier.
Voilà c’est pas compliqué, c’est clair non?499 ». Interroger ce qui justifie l’action associative revient donc à interroger une identité collective qui puise ses repères dans une histoire vécue ou héritée, dans un agencement de valeurs et de références qui donnent à penser l’avenir. L’objectif est ici de démontrer que dans un quotidien chargé de tâches à réaliser, les dirigeants s’interrogent sur la filiation entre le passé et le futur du collectif via un temps présent, celui de la décision et de l’expression de la liberté d’orienter la trajectoire de l’association. La dynamique d’innovation sociale au sein des clubs sportifs semble profondément marquée par la référence à un passé considéré comme une ressource pour la projection dans l’avenir. Cette particularité est certainement une spécificité de l’innovation sociale dans le sport associatif local. La séquence d’observation suivante est révélatrice des difficultés qu’ont les dirigeants à distinguer ce qui relève de l’objet social et ce qu’est le projet associatif.
Un samedi après midi d’octobre, le club « basket.-Marseille » accueille le club d’une ville voisine pour un match de championnat des « benjamins ». Je me rends cet après midi-là au gymnase pour observer son déroulement et pour interroger quelques parents et dirigeants sur la dynamique associative, notamment sur la mise en place de la nouvelle saison sportive. A la fin du match, je reste avec le président qui range le matériel pour parler également du déroulement des premiers entrainements et matchs ainsi que sur la suite de la saison sportive. Il me propose de l’aider à travailler avec lui le soir même sur le projet du club : « Je vais te montrer ce que j’ai et tu vas me dire ce que tu en penses. Tu vas voir, j’ai plein d’idées mais c’est le gros bordel. Tout est sur des petits morceaux de papier un peu partout500 ». Nous nous rendons donc chez lui le soir même. Comme au cinéma, je m’installe dans le canapé, en face d’un écran géant. Il me projette de nombreux documents, textes et tableaux en m’expliquant le contenu et en essayant de replacer chronologiquement la date de création de ces différents supports qu’il a réalisés seul et sans concertation avec les autres membres de l’association. Sont projetés successivement : le budget prévisionnel pour la saison sportive en cours.