L’évolution du principe de libre concurrence 

L’évolution du principe de libre concurrence 

 La libre concurrence contient, dans son nom même, une référence au principe de liberté. Elle semble en être une des formes, comme le sont aussi la liberté du commerce et de l’industrie ou la liberté d’entreprendre, même si ces dernières en sont, peut-être, des émanations plus directes. Les jurisprudences rendues en matière de droit de la concurrence – et le droit des marchés publics a suivi sur ce point la même évolution – ont ensuite interprété ce principe comme obligeant non seulement une liberté de concurrence mais aussi une égalité dans cette concurrence. On peut, sans forcer le trait, dire que l’on est passé d’une « obligation de moyens » consistant à laisser libres les opérateurs économiques sur le marché (A), à une « obligation de résultat » contraignant la personne publique à garantir l’effectivité d’un marché concurrentiel, quitte à devoir le créer dans le cas de la commande publique (B). A) De la concurrence libre… 864. Le principe de la « libre concurrence » a été reconnu en droit public, droit pourtant historiquement plus fondé sur la puissance publique et le service public, deux notions réticentes à ce que l’on appelle parfois la « commercialité » (1). Il a peu à peu été précisé et rattaché aux autres principes concurrentiels (2). 

La reconnaissance

 L’idée de concurrence transcende le droit des marchés publics et c’est sa prégnance qui conduit en grande partie à ce que le champ d’application de la commande publique se soit étendu. On peut même raisonnablement penser, comme d’autres auteurs161, que la libre concurrence est sortie de la sphère du droit commercial pour entrer dans le droit public par le biais des marchés publics. C’est au moins ce que tendrait à prouver l’arrêt du Conseil d’État du 9 janvier 1868 Servat aux conclusions AUCOC . Cet arrêt plus connu pour être le véritable premier arrêt – et au moins le plus clair163 – ouvrant un recours aux participants évincés d’une passation contre l’adjudication, contient en effet une référence directe à la « libre concurrence qui doit exister entre les soumissionnaires » . En application de cet arrêt, le Conseil d’État a, en 1926165, annulé une adjudication en considérant que les conditions de l’adjudication portaient « atteinte à la règle essentielle de la libre concurrence »166. Un arrêt de 1937167 va même plus loin dans la reconnaissance d’une libre concurrence dans le cadre spécifique des marchés publics en estimant que l’obligation d’avoir recours à la technique du béton armé et de voir ses plans validés par une société experte ne portait pas « atteinte au principe de la libre concurrence ni à la liberté du commerce et de l’industrie ». L’intérêt de cet arrêt réside non seulement dans ce considérant mais aussi dans les visas qui font référence non seulement à la loi des 2- mars 91 qui fonde la liberté du commerce et de l’industrie, mais surtout à l’ordonnance du 14 novembre 1837168 qui fonde les procédures de passation des marchés des communes et établissements de bienfaisance. Il semble que l’on puisse, sans trahir les intentions des juges, interpréter cet arrêt comme fondant l’existence même du principe de libre concurrence sur l’ordonnance de 1837169. 866. La référence aux textes n’est d’ailleurs pas illogique. Si l’on s’en réfère aux dispositions de l’ordonnance des 4-7 décembre 1836 Portant règlement sur les marchés passés au nom de l’État0, c’est bien l’idée d’une concurrence qui est partiellement recherchée dans la généralisation de l’adjudication à tous les marchés de l’État . Certes, on ne saurait penser qu’il s’agit à l’époque de faire respecter à tout prix ce principe comme une règle macroéconomique qui doit, en tout état de cause, être appliquée ; la concurrence n’a encore qu’un objectif : le choix le moins cher pour la personne publique. Néanmoins, c’est bien l’idée – microéconomique cette fois-ci – que la concurrence est la pratique la plus à même de remplir le rôle qui prédomine dans le texte et dans la loi dont cette ordonnance est la mesure d’application . Les Conférences de Léon AUCOC nous permettent de dire que le droit des marchés est fondé sur la concurrence sans pouvoir être accusé de réinterpréter l’histoire, puisqu’il insiste lui-même sur ce mot de « concurrence » que l’on retrouve dans les textes que l’on vient de citer. Il montre à quel point c’est cette idée de concurrence – il n’aborde en effet pas cela sous l’angle des principes juridiques – qui dirige et permet de comprendre le régime posé par les textes3. 867. Cette origine du principe de libre concurrence dans le cadre des marchés publics soulève malgré tout une légère réserve quant à sa similitude avec la libre concurrence d’aujourd’hui : il n’est à aucun moment reconnu officiellement comme un principe, le seul arrêt qui cherche à le qualifier à l’occasion de la sanction juridictionnelle d’une passation parle de « règle essentielle »4 et non de « principe ». La qualité de principe ne fait pourtant pas de doute, même s’il est difficile d’en connaître la valeur exacte à cette époque. Les fondements textuels à valeur législative5 nous permettent de penser qu’il s’agit plus d’un principe législatif que d’un principe général du droit, mais la référence aux lois n’étant pas constante, cette solution n’est pas certaine. En tout état de cause, le « principe » de libre concurrence permet de sanctionner une procédure et c’est certainement pour cette raison que le juge n’a pas eu besoin d’en préciser la valeur exacte, même à l’occasion de jurisprudences bien postérieures. 

Le contenu de cette liberté et ses rapports avec les autres principes du droit de la concurrence 

 Le principe de libre concurrence applicable dans le cadre des marchés publics et qui se rattache à la liberté (a) a été rattrapé par le droit de la concurrence. Il doit être analysé au regard des autres libertés économiques (b) macroéconomique qui doit, en tout état de cause, être appliquée ; la concurrence n’a encore qu’un objectif : le choix le moins cher pour la personne publique. Néanmoins, c’est bien l’idée – microéconomique cette fois-ci – que la concurrence est la pratique la plus à même de remplir le rôle qui prédomine dans le texte et dans la loi dont cette ordonnance est la mesure d’application . Les Conférences de Léon AUCOC nous permettent de dire que le droit des marchés est fondé sur la concurrence sans pouvoir être accusé de réinterpréter l’histoire, puisqu’il insiste lui-même sur ce mot de « concurrence » que l’on retrouve dans les textes que l’on vient de citer. Il montre à quel point c’est cette idée de concurrence – il n’aborde en effet pas cela sous l’angle des principes juridiques – qui dirige et permet de comprendre le régime posé par les textes3. 867. Cette origine du principe de libre concurrence dans le cadre des marchés publics soulève malgré tout une légère réserve quant à sa similitude avec la libre concurrence d’aujourd’hui : il n’est à aucun moment reconnu officiellement comme un principe, le seul arrêt qui cherche à le qualifier à l’occasion de la sanction juridictionnelle d’une passation parle de « règle essentielle »4 et non de « principe ». La qualité de principe ne fait pourtant pas de doute, même s’il est difficile d’en connaître la valeur exacte à cette époque. Les fondements textuels à valeur législative5 nous permettent de penser qu’il s’agit plus d’un principe législatif que d’un principe général du droit, mais la référence aux lois n’étant pas constante, cette solution n’est pas certaine. En tout état de cause, le « principe » de libre concurrence permet de sanctionner une procédure et c’est certainement pour cette raison que le juge n’a pas eu besoin d’en préciser la valeur exacte, même à l’occasion de jurisprudences bien postérieures. 2) Le contenu de cette liberté et ses rapports avec les autres principes du droit de la concurrence 868. Le principe de libre concurrence applicable dans le cadre des marchés publics et qui se rattache à la liberté (a) a été rattrapé par le droit de la concurrence. Il doit être analysé au regard des autres libertés économiques (b) 

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La définition de la libre concurrence du point de vue de la liberté 

 Le principe de libre concurrence est avant tout une liberté. L’idée qui prévaut est que le marché se régule de lui-même et qu’il permet à la personne publique d’avoir un prix calculé pertinemment par les opérateurs eux-mêmes, cela du simple fait qu’ils espèrent avoir le marché en fournissant la meilleure offre pour le prix le plus bas. Certes, l’adjudication, dont le principe est de se fonder sur le seul critère du prix, ne conduit pas a priori à avoir l’offre la meilleure – elle permet surtout d’avoir l’offre la moins chère –, mais la volonté des entrepreneurs, fournisseurs ou prestataires d’avoir d’autres marchés dans l’avenir les conduit à proposer une offre adaptée aux besoins de la personne publique. L’échec de l’adjudication pour avoir la meilleure offre  n’est pas venu remettre en cause le principe de libre concurrence : l’appel d’offres a été créé – certes bien plus tard – dans le but de conserver la liberté de la concurrence tout en orientant les objets sur lesquels porterait cette concurrence : non seulement le prix mais aussi la qualité, la pérennité ou les coûts indirects d’une commande. Il nous paraît par conséquent historiquement possible de rattacher l’ensemble des textes sur les marchés publics à un « principe » de libre concurrence qui nécessite une définition à la fois économique et relativement technique . Le professeur P. DELVOLVÉ la définit ainsi : « Le principe de libre concurrence permet aux particuliers d’exercer leur activité dans un système de compétition qui ne doit être entravé ni par des prescriptions ni par des prestations provenant des pouvoirs publics » . Le professeur J.-J. ISRAEL le définit pour sa part comme la « liberté économique d’agir sur un marché concurrentiel […] qui ne se heurte pas à la présence d’opérateurs publics jouissant de prérogatives particulières » , mais il va déjà plus loin et analyse ce principe au moins autant comme une liberté que comme une égalité . L’idée de liberté qui prédomine dans la liberté de la concurrence a pour conséquence que les personnes publiques ne doivent pas aller contre le jeu normal du marché. On ne peut que remarquer l’apparente contradiction qui existe entre ce principe et l’existence même des procédures de passation. Comment en effet justifier qu’il existe des procédures de passation alors que justement elles viennent « entraver par des prescriptions » les activités des opérateurs économiques que sont les entreprises répondant à un marché public. Dans cette optique, non seulement la libre concurrence ne justifie pas l’existence des procédures comme nous semblons le dire, mais en plus elle vient s’y opposer. C’est qu’en réalité, les procédures ne viennent pas « entraver » la concurrence mais l’organiser, la « réguler » si l’on veut prendre un terme plus moderne. 

 Le rattachement de la libre concurrence aux autres principes du droit de la concurrence  . 

Cette libre concurrence que l’on rencontre dans le cadre des marchés publics a ensuite été rapprochée d’autres principes du droit public de l’économie qui se trouvent, eux aussi, être des expressions particulières du principe de liberté : la liberté d’entreprendre et la liberté du commerce et de l’industrie. S’il est difficile de savoir quel principe est supérieur ou le corollaire de tel autre , les liens entre ces libertés ne font aujourd’hui aucun doute. α) Le rattachement de la libre concurrence à la liberté du commerce et de l’industrie et à la liberté d’entreprendre . Depuis 1930184, c’est au principe de liberté du commerce et de l’industrie que l’on rattache la liberté de concurrence185. La première, fondée sur le fameux décret d’Allarde des 2- mars 91186 est aujourd’hui considérée par la jurisprudence comme un principe général du droit187. La doctrine188 lui accorde plusieurs conséquences que l’on peut regrouper en deux principales : d’une part la liberté de choix, d’accès et d’exercice d’une profession, d’autre part la liberté de concurrence. Cette seconde liberté qui préexistait dans notre matière a donc été intégrée dans la liberté du commerce et de l’industrie. Par ailleurs, la liberté professionnelle n’est pas sans influence sur les commandes publiques puisqu’elle permet à tous de répondre à une offre pour passer un tel contrat. Bien entendu, les limites classiques à l’exercice des professions s’appliquent en la matière, limites de « police » si l’on prend le terme du décret d’Allarde. On peut par exemple penser à la nécessité d’avoir le statut d’architecte pour exercer certaines missions de maîtrise d’œuvre ou, bien entendu, à toutes les règles comptables et fiscales qui s’assimilent à la « patente » de 91.  La liberté d’entreprendre est la seconde liberté publique à laquelle il faut rattacher le principe de libre concurrence. Cette liberté a été reconnue par le Conseil constitutionnel dans sa décision sur les nationalisations du 16 janvier 1982 et expressément fondée sur l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 89 reconnaissant le principe général de liberté189. Cette décision a, partant, conduit à revoir la place des différentes libertés économiques entre elles. La principale question que la doctrine s’est posée est celle de savoir si la liberté d’entreprendre était synonyme de la liberté du commerce et de l’industrie, si la première était une sous-catégorie de la seconde ou si c’était à l’inverse qu’il fallait conclure.

Controverse doctrinale à propos des liens entre liberté d’entreprendre et liberté du commerce et de l’industrie : la question de la place de la libre concurrence 

 Certains ont tout d’abord considéré que ces expressions étaient synonymes en estimant que la liberté d’entreprendre était l’équivalent au niveau constitutionnel de la liberté du commerce et de l’industrie consacrée par la jurisprudence administrative. Cette approche n’a pas eu beaucoup de retentissement dans la mesure où il apparaît curieux d’utiliser deux termes qui ne sont même pas synonymes dans le langage courant pour en faire des synonymes juridiques. Envisager cette synonymie en vient même à être incongru tant elle porte atteinte à la qualité de juriste des membres du Conseil constitutionnel, comme s’ils n’avaient pas véritablement voulu que cette différence sémantique signifiât une différence juridique… 875. Une partie importante de la doctrine a considéré que la liberté du commerce était plus large que la liberté d’entreprendre190. Les liens entre les deux restent malgré tout très forts puisque la liberté du commerce et de l’industrie comprend deux principales composantes que sont la liberté d’entreprendre d’une part et la libre concurrence – qui nous intéresse au premier chef – d’autre part. La liberté d’entreprendre est alors analysée comme contenant le libre choix de sa profession, la liberté d’accès à celle-ci, la libre exploitation de son entreprise, ce qui comprend la libre gestion de celle-ci191. Dans cette perspective, il faut distinguer les deux rôles de la libre concurrence et de la liberté d’entreprendre. La première est la seule pouvant sanctionner un marché dont les modalités de passation n’ont pas respecté une concurrence dont on verra qu’elle doit non seulement être libre mais aussi égale. La seconde en revanche ne pourra que très indirectement sanctionner un contrat de la commande publique : en théorie, une personne ou une entreprise n’ayant pu avoir accès à une profession et, partant, n’ayant pu répondre au « marché », pourrait arguer de l’atteinte qui est faite à sa liberté d’entreprendre. En pratique, cette atteinte se fera plus en considération des principes de liberté ou d’égalité d’accès192 à la commande publique, principes spécifiques à notre matière et par conséquent plus à même de trouver un écho dans la jurisprudence. La référence à l’atteinte à la liberté d’entreprendre existe, mais elle est en amont du marché, elle ne dépend pas du marché lui-même. En revanche, il sera possible de l’invoquer lors d’un recours contre un texte réglementant la passation des contrats de la commande publique qui interdirait à une catégorie de personne de répondre aux appels d’offres.

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