L’évaluation des films produits durant la période 2004-2007
De 2004 à 2005
Rappel du contexte politique
Durant cette période, les Marocains avaient élu le parti socialiste l’USFP (parti de l’extrême gauche) en tête de liste, suivi par le parti Al Istiqlal (parti de droite pendant des décennies). Par conséquent, et vu la situation économique très difficile du pays, le roi nomme M. Driss Jettou, un technocrate, pour remédier à cette situation économique (voir 2002-2004, Contexte politique). Driss Jettou, compose un gouvernement de coalition nationale avec M. Nabil Benabdellah, un militant du MPS (parti du milieu), ministre de la Communication. M. NourEddine Sail a été nommé directeur du centre cinématographique national afin de faire émerger cette industrie. Après l’adoption de la réglementation du partenariat public-privé appliqué à la production cinématographique, son application nécessite la constitution d’une commission indépendante pour évaluer et choisir les films qui obtiendront l’avance sur recettes. Les membres de cette commission sont choisis par le ministre de la Communication en concertation avec le directeur L’évaluation des films produits durant la période 2004-2007 du CCM. Il est important de mentionner que la constitution de la commission du fonds détermine les choix des films qui auront l’avance sur recettes. 2) Membres de la commission du fonds d’aide de 2004 à 2005 La commission du fonds d’aide est constituée de quatre membres représentant des organismes de tutelle et de sept membres qui viennent du monde de l’art, du cinéma, de la sociologie, de la philosophie, et des sciences humaines. Les membres représentant des organismes de tutelle dans cette commission sont : − Amina Talhimet, représentante du ministère de la Communication ; − Driss Mniakh, représentant du ministère des Finances ; − Mustapha Stitou, représentant du CCM ; − Hicham Snoussi. Les membres du monde de l’art et de la culture sont : Abdellatif Laabi ; Soumeya Noaman Guessous ; Abdelfettah Kilito ; Khalil Alami Idrissi ; Abdellah Rmili ; Larbi Jaidi ; Mohamed Layadi. Voici leur courte biographie afin de comprendre la tendance des votes envers des thèmes précis, des genres et des productions plutôt que d’autres. -Le président Abdellatif Laabi. Ce grand écrivain et poète francophone ayant reçu le prix Goncourt de la poésie le 1er décembre 2009, et le Grand Prix de la Francophonie de l’Académie française en 2011, est né en 1942 à Fez. Il est aussi un grand militant d’extrême gauche, d’abord auprès du Parti pour la libération et le socialisme, et ensuite en tant que fondateur du mouvement Ila Al Amam en 1970. À cette date, il créa la revue Souffles et Anfass dont la ligne éditoriale a principalement concerné la propagande des principes fondamentaux du mouvement révolutionnaire Ila Al Amam. En 1972, il est arrêté et condamné à dix ans de prison, dont il ressort en 1980, puis part en France en 1985 où il développe des œuvres artistiques touchant tous les genres littéraires (roman, poésie, théâtre, essai, livre pour enfants)46 . -Hicham Snoussi, Directeur Général du Groupe de presse écrite Maroc Soir47 . -Soumeya Noaman Guessous, sociologue et auteur de plusieurs livres et de recherches sur la condition féminine au Maroc. Elle figure parmi les initiateurs de la campagne nationale de 2001 pour le droit à la nationalité marocaine des enfants de mères marocaines. En 2007, le nouveau code de la femme autorise à la femme marocaine de transmettre la nationalité à ses 46 Abdellatif Laabi l’écrivain, « biographie », www.laabi.net/biographie, consulté le 13 décembre 2017. 47 « Mutation en douceur », Maroc Hebdo, www.maghress.com, consulté le 28/12/2018. 66 enfants. Enseignante à la faculté de l’université Hassan II de Casablanca, ce docteur de l’université Paris VIII a écrit : − Au-delà de toute pudeur : la sexualité féminine au Maroc, Casablanca : Eddif, 10e édition, 1997 ; − Printemps et automne sexuels : puberté, ménopause, andropause au Maroc, 2000 ; − Avec Chakib Guessous, Grossesses de la honte : étude sur les filles-mères et leurs enfants au Maroc, 2011 ; − Nous les femmes, vous les hommes, 2013 ; − Les femmes dans le Maroc d’hier et d’aujourd’hui, 201648 . -Amina Talhimet. Représentante du ministère de la Communication. -Abdelfattah Kilito, né le 10 avril 1945 à Rabat, est un universitaire et un écrivain marocain. Spécialiste des littératures arabes anciennes, professeur à la faculté de Lettres de Rabat (université Mohammed V), il a aussi enseigné à Paris, Princeton et Harvard. Voici quelles sont ses publications : − Les Séances : récits et codes culturels chez Hamadhânî et Harîrî (Sindbad, 1983) ; − L’Auteur et ses doubles : essai sur la culture arabe classique (Le Seuil, 1985) ; − L’Œil et l’Aiguille : essai sur Les mille et une nuits (La Découverte, 1992) ; − La Querelle des images : roman (Eddif, Casablanca, 1995) ; − En quête (nouvelles, Fata Morgana, 1999) ; − Les Mille et Une Nuits : du texte au mythe, actes du colloque international de littérature comparée, Rabat, les 30, 31 octobre et 1er novembre 2002 (coord. JeanLuc Joly et Abdelfattah Kilito), Faculté des Lettres et Sciences humaines, Rabat, 2005 ; − Tu ne parleras pas ma langue (essai traduit de l’arabe par Francis Gouin, Actes SudSindbad, 2008) ; − Les Arabes et l’art du récit : une étrange familiarité (Sindbad-Actes Sud, 2008) ; − Dites-moi le songe (Sindbad-Actes Sud, 2010) ; − Je parle toutes les langues, mais en arabe (Sindbad-Actes Sud, 2013)
Les films
Tout d’abord, il est important de noter qu’une fois la loi votée, son application ne s’effectue concrètement qu’après quelques mois. À partir de 2004, la commission se tiendra de manière régulière pour décider des films dont le CCM sera partenaire de production, mais dont la sortie publique ne se fera qu’à partir d’au moins un an et demi, ce qui est le cycle moyen de la production d’un long-métrage. En 2004, la commission du fonds d’aide a reçu 25 projets de longs-métrages pour candidature à l’avance sur recettes avant production, neuf projets ont obtenu ce partenariat. En 2005, le secrétariat du fonds d’aide a reçu 32 projets de longs-métrages candidatant à l’avance sur recettes du fonds de soutien à la production nationale. Parmi les 32, douze ont été sélectionnés par la commission pour recevoir l’avance sur recettes. Sur les deux ans, 21 projets ont obtenu l’avance sur recettes, parmi eux trois ont été annulés. Dans cette section, les films sont présentés, aussi bien qu’un rapport de la synthèse globale de l’analyse des films. Une analyse SWOT plus détaillée concernant chacun des films est présente en Partie IV.
a) Les films bénéficiant de l’avance sur recettes en 2004 et 2005 J’ai vu tuer Ben Barka (de Serge Le Péron et Said Smihi). Il s’agit d’un drame politique mettant l’accent sur un point noir de l’histoire du Maroc qui est la disparition de Mehdi Ben Barka. Ici et là (de Mohamed Ismail). Un film sur le retour au Maroc de deux immigrés de deux générations différentes : père et fils. Tissé de main et d’étoffe (d’Omar Chraïbi) parle de la découverte de la vie en ville par un jeune marionnettiste de village. Kanyamakan (de Said C. Naciri) ; Après le braquage d’une banque, un jeune de la ville va vivre au village. Deux femmes sur la route (de Farida Bourquia) ; L’amitié qui relie deux femmes sur la route, victimes des deux plus grands fléaux de la ville de Tanger : le trafic de drogue et l’immigration clandestine. La beauté éparpillée (de Lahcen Zinoun) ; Une femme enlevée, vendue en tant qu’esclave à un maître de musique. Wake-up Morocco (de Narjiss Nejjar) ; La vie d’un vieux footballeur à Casablanca. 69 What a Wonderful World (de Faouzi Bensaidi) ; Une relation d’amour entre un tueur à gages et une prostituée. Elle est diabétique et hypertendue, et elle refuse de crever ; C’est une comédie culte de l’époque, qui fait suite à une première partie qui a déjà été une grande réussite de Hakim Noury, parvenant à s’introduire dans la culture marocaine par ces films. Dans cette deuxième partie, Hakim Noury parle du développement de l’histoire d’un gendre avec sa belle-mère d’un côté, et avec sa maîtresse de l’autre. Le film prit rapidement sa place au top du box-office, aussi bien dans la culture marocaine comme slogan traitant les belles-mères collantes et terrorisant leurs gendres. Abdou chez les Almohades (de Said Naciri). Une comédie parlant de l’histoire d’un jeune homme qui fait un voyage dans le temps pour se retrouver dans la civilisation almohade. Où vas-tu Moshé ? (d’Hassan Benjelloune). Un film qui a beaucoup fait parler de sa problématique dans différents milieux politiques, religieux et sociaux au Maroc. Un film traitant de l’exode des juifs marocains vers Israël, Amenant la question au cœur du débat : Quels efforts ont fait l’État marocain et la société marocaine pour garder les concitoyens marocains de confession juive dans le pays. L’histoire du film ne manque pas de piment, de sensualité et d’émotion. Les Jardins de Samira (de Latif Lahlou). Ce film a choqué une grande partie de la population marocaine, encore conservatrice, parce qu’il traite de plusieurs tabous de la société marocaine, notamment la masturbation féminine et l’adultère. Un film qui trouble les mœurs et ouvre une discussion sur le non-dit d’une réalité de plusieurs jeunes femmes mariées à des hommes qui sont beaucoup plus âgés qu’elles. Un long film dans lequel le réalisateur invite le spectateur à explorer les jardins secrets de la vie intime de Samira, son personnage principal. Les Anges de Satan : (d’Ahmed Boulane) Ce film a suscité une grande polémique au Maroc entre les conservateurs et les libéraux. Il parle d’un mouvement appelé « satanique », dans lequel plusieurs jeunes se sont aventurés. En effet, plusieurs adolescents et très jeunes durant le début des années 2000 s’aventuraient dans ce mouvement en ayant des pratiques irrationnelles et incompréhensibles dans des lieux publics, comme arracher des membres et des têtes d’animaux en bord de plage ou dans des cimetières, et autres. Plusieurs de ces groupes se rassemblent pour fumer ou consommer des drogues en écoutant du hard-rock. L’arrestation de 14 jeunes a été l’une des actions prises par les autorités publiques contre ce mouvement. Ces jeunes ont été condamnés. Le réalisateur de ce film vient parler de cette période-là au Maroc. 70 Number One (de Zakia Tahiri). Cette production est une comédie mettant l’accent sur le mouvement d’une société qui reste déchirée entre des pensées traditionnelles concernant la place de la femme et un mode de vie moderne. Une comédie qui vient suivre ces hommes qui n’adhèrent pas vraiment au nouveau code de la famille respectant les droits de la femme, appelé « Moudouwana », mais auquel leur mode de vie moderne les contraint de faire semblant. Kherboucha (de Hamid Zoughi). Ce film raconte une histoire fictive se produisant dans la fin du XIXe siècle, parlant d’un caïd dictateur d’une tribu à Abda (une région du Maroc), qui s’empare d’une belle chanteuse de la tribu voisine. Ne lui cédant pas, elle finit par mourir. Amours voilés (d’Aziz Salmi). Ce film est une histoire d’amour entre une femme médecin « voilée » et un homme mature. Le film touche le côté rebelle d’une femme dite « de bonne famille », intellectuelle et pieuse, et qui, malgré son affirmation sociale, va s’incliner devant ses propres désirs et succomber au péché de l’amour. Casanegra (de Nour-Eddine Lakhmari). Un film qui a explosé le box-office marocain en 2008, et pris une grande place dans le débat social, dans la presse et s’est même introduit dans la culture marocaine en l’ouvrant vers un visage noir de la ville de Casablanca. Un film bouleversant parlant d’une dure réalité de la ville de Casablanca du point de vue de deux jeunes adolescents. Une réalité de vie parlant de la pauvreté, de l’emploi des enfants, des problèmes sociaux reliés à cette situation, qui rendent le vécu des jeunes dans ce milieu excessivement dur. Des thèmes qui ont gagné l’empathie de la société marocaine, ce qui expliquerait le nombre d’entrées en salles et la popularité gagnée par ce film. Un grand-angle sur la situation des jeunes qui se trouvent perdus devant tous les fléaux dans cette ville.