L’ETUDE DES PROCESSUS DE PROJETS URBAINS ET DE SES ACTEURS

L’ETUDE DES PROCESSUS DE PROJETS URBAINS ET DE SES ACTEURS

Dans le champ de la recherche urbaine, deux grands groupes de travaux ont retenu notre attention, ceux qui s’intéressent { la pratique du projet urbain et ceux qui étudient l’évolution des métiers et des pratiques de l’aménagement et de l’architecture. Parmi les premiers, nous pouvons citer les auteurs qui s’efforcent de caractériser les processus { l’œuvre dans les projets urbains, les jeux d’acteurs et les modes de gouvernance. Par exemple, Nadia Arab analyse le processus d’élaboration des projets urbains, leur dynamique, leur organisation. L’auteur développe { partir des sciences de gestion un cadre d’analyse, consistant { caractériser la « situation de projet », c’est-à-dire les conditions dans lesquelles le projet se développe (Arab, 2004, 2007b). Alain Avitabile (Avitabile, 2005), lui, fait un historique et un état des lieux de la pratique du projet urbain en France { partir duquel il met en évidence les spécificités de ce mode d’action sur la ville. En identifiant les « composantes clés » du projet urbain, l’auteur propose un modèle d’organisation et de mise en œuvre du projet, avant d’esquisser des pistes d’évolution de la démarche de conception. De son côté, Joël Idt s’intéresse au pilotage des projets urbains et plus particulièrement aux différentes formes que peuvent prendre les relations entre les techniciens et les politiques dans le cadre particulier de la conduite des projets d’aménagement urbains (Idt, 2009). En se focalisant sur la frontière entre sphère technique et sphère politique dans l’action publique locale, l’auteur identifie les différentes formes de régulation politique, mais aussi le rôle des différents acteurs participant au pilotage des projets d’aménagement. L’auteur remarque que l’action publique est protéiforme et fragmentée dans les projets d’aménagement, même si certains acteurs tentent de coordonner l’action et de garantir sa cohérence d’ensemble (Idt, 2012). Un autre pan de la recherche urbaine se focalise plus sur les acteurs et les métiers de la fabrique urbaine que sur la compréhension du processus de projet urbain en lui-même. Certains travaux se concentrent sur la caractérisation et le fonctionnement d’un acteur en particulier de l’aménagement, comme la maîtrise d’ouvrage (voir Frébault, 2005; Jista, 2007) ou les agences d’urbanisme (voir Prévot et al., 2008). Le Club Ville et Aménagement, qui depuis 1993 regroupe autour de membres des services de l’Etat en charge de l’urbanisme des maîtres d’ouvrage en charge d’opérations complexes (Société d’Economie Mixte d’aménagement, Etablissement Public d’Aménagement, etc.), a pour ambition de profiter des retours d’expériences de ses membres pour porter des réflexions sur l’évolution des pratiques de l’aménagement et faire des propositions (Frébault et al., 2005). Le Réseau Activités et Métiers de l’Architecture et de l’Urbanisme est un réseau de chercheurs sur l’élaboration des projets de construction, d’aménagement et de paysage en France et en Europe (“RAMAU – Réseau activités et métiers de l’architecture et de l’urbanisme,” 2011). En plus d’étudier l’adaptation des métiers et des savoirs faire des professionnels de l’aménagement et de la construction dans un contexte mouvant (cf chapitre 2), ces chercheurs analysent les coopérations interprofessionnelles { l’œuvre dans la fabrique urbaine. En plus de ces deux réseaux de professionnels ou de chercheurs, de nombreuses publications font état des différents bouleversements en cours dans le milieu de la production de la ville (entre autres: Blanc, 2010; Brevan & Paul, 2000; Jeannot, 2005; Prost, 2003; Verpraet, 2005). Si ces travaux nous renseignent sur les particularités du monde de la fabrique urbaine et sur les processus inhérents { l’activité de projet urbain, ils ne contribuent que partiellement à notre réflexion centrée sur les changements apportés par la nécessité pour les acteurs du projet urbain de prendre en compte les enjeux énergétiques. Toutefois, cette littérature nous a permis de mettre en perspective nos observations et notre compréhension des jeux d’acteurs en place autour des questions énergétiques. 

LA FABRICATION URBAINE A L’AUNE DU DEVELOPPEMENT DURABLE 

Avec le succès de la notion de développement durable auprès des praticiens de la production urbaine, les recherches sur la signification de la durabilité et de sa pertinence en matière d’urbanisme, son appropriation par les acteurs de la ville et sur les mutations attendues ou en cours, des manières de faire se sont multipliées : « jamais sans doute une notion n’aura autant { la fois occupé, embarrassé et fait vivre les sciences sociales de l’urbain que le développement durable » (Béal, Gauthier, & Pinson, 2011).L’application territoriale des préceptes du développement durable est abordée dans l’ouvrage collectif « développement durable et territoire » (Zuindeau, 2010). Comme l’indique son titre « le développement changera-t-il la ville ? », l’ouvrage de Béal, Gauthier, et Pinson (2011) interroge la notion de développement durable et son implication actuelle et possible dans la mutation des politiques urbaines. Les modalités d’appropriation de la notion de développement durable par six villes françaises ont été mises en évidence dans l’ouvrage « Sociologie du développement urbain durable » (Hamman & Blanc, 2009). Les conséquences de cette injonction au développement durable sont analysées par T. Souami (2008) pour le métier d’urbaniste et par A. Taburet (2012) pour les promoteurs. De nombreux auteurs ont étudié les expériences étrangères et françaises d’écoquartiers ou de quartiers durables, parmi eux, nous pouvons citer C. Emelianoff (2004), T. Souami (2009). « Vers des villes durables » expose les stratégies de développement durable adoptées par quatre agglomérations européennes (Laigle, 2009). D’autres écrits comme ceux de Charlot-Valdieu & Outrequin (2007; 2011) proposent une démarche pour intégrer les enjeux de développement durable dans la conduite d’un projet d’aménagement. Si le développement urbain durable n’est pas l’objet de cette thèse, un parallèle peut être fait entre l’injonction au développement durable et la nécessité de prendre en compte les enjeux énergétiques et climatiques dans les projets d’aménagement urbain. Plus qu’un parallèle, les deux phénomènes sont indissociables voire souvent confondus du fait de l’importance des préoccupations environnementales et en particulier énergétiques dans les cadres de référence du développement urbain durable. 

OPTIMISATION ENVIRONNEMENTALE DE LA CONCEPTION ARCHITECTURALE ET URBAINE

 Avec la volonté de limiter les impacts environnementaux des bâtiments et des aménagements, nombreux sont les guides de bonnes pratiques, les référentiels et les méthodes d’évaluation de la performance environnementale et durable de ces constructions qui sont apparus ces dernières années. De nombreuses critiques et comparaisons de ces labels ou certifications sont faites en ce qui concerne la réalisation de bâtiments (Alyami & Rezgui, 2012; W L Lee, 2013; W.L. Lee & Burnett, 2008; Roderick, Mcewan, Wheatley, & Alonso, 2009; Zeinal Hamedani & Huber, 2011) et de quartiers (AlQahtany, Rezgui, & Li, 2013; Vrenegoor, Hensen, & de Vries, 2008; Yepez-Salmon, 2011; Zeinal Hamedani & Huber, 2011) dans le but d’améliorer les systèmes d’évaluation existants ou d’en proposer de nouveaux. Précisions que la performance énergétique occupe une place centrale dans ces méthodes d’évaluation de la qualité environnementale. De plus, le processus de conception architecturale est relativement bien documenté. Certains chercheurs s’attachent { mettre en évidence les paramètres déterminants lors de la conception des bâtiments écologiques (Vakili-Ardebili & Boussabaine, 2010) à travers par exemple des études de sensibilité (Heiselberg et al., 2009). Certains décomposent le processus de conception des bâtiments durables pour en identifier les décisions essentielles (Magent, Korkmaz, Klotz, & Riley, 2009) ou les biais cognitifs pouvant s’exprimer lors des choix ayant un impact sur la performance énergétique du bâtiment (Klotz, 2010). Les potentialités offertes par les modèles numériques du bâtiment (BIM) pour la conception architecturale durable (Azhar, Carlton, Olsen, & Ahmad, 2011; Bynum, Issa, & Olbina, 2013) ou par la conception intégrée (Lewis, 2004; Trebilcock, 2009) sont également étudiées. Partie 1. Contexte et méthode | Chapitre 4. Méthode 99 Dans sa thèse, Rebecca Pinheiro-Croisel (2013) explore les processus de conception des projets urbains durables. En considérant le projet urbain comme étant à la fois un processus et une action collective, l’auteur appréhende l’intégration des enjeux du développement durable sous l’angle de l’innovation. A travers l’observation des pratiques actuelles, sont mises en évidence les interactions entre les acteurs participant { la conception du projet et les outils favorables { l’innovation et { l’écoconception. L’objectif de cette thèse n’est pas de proposer un énième système d’évaluation, en revanche nous souhaitons { travers notre étude mieux appréhender l’usage qui en est fait. Et par conséquent nous espérons identifier les difficultés rencontrées aujourd’hui par les acteurs conduisant des projets urbains pour mettre en œuvre la transition énergétique. 

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ENERGIE ET PROJETS D’AMENAGEMENT URBAIN 

Partant de l’hypothèse selon laquelle les collectivités locales, pour faire face aux enjeux énergétiques actuels, ne peuvent déployer des technologies énergétiques de manière systématique comme les grands services urbains, Taoufik Souami (2007) analyse comment les acteurs locaux organisent et ordonnent désormais solutions urbanistiques et dispositifs technologiques. L’auteur distingue « l’espace urbanistique », régi principalement par des unités spatiales et le droit du sol, de « l’espace énergétique » qui considère le territoire comme un espace complexe traversé par des flux. Plus que des espaces distincts, ce sont des modes d’action avec des temporalités et des systèmes d’arbitrages propres. Dans son article intitulé « Conceptions et représentations du territoire énergétique dans les quartiers durables », Taoufik Souami (2009b) analyse les actions et les conceptions adoptées dans les quartiers durables pour répondre { la question énergétique. L’auteur met en évidence trois manières d’appréhender le territoire d’implantation de ces quartiers sous l’angle énergétique : la « conception idéelle » qui promeut la vision d’un quartier autonome en énergie, la « conception opérationnelle » qui privilégie l’optimisation de toutes les composantes du système énergétique { travers des solutions sur mesure et la « conception évaluative de légitimation » qui en cherchant à évaluer la performance énergétique du quartier, l’isole artificiellement du reste du territoire. Contrairement { Taoufik. Souami, nous ne limitons pas notre étude aux projets revendiquant leur caractère écologique ou durable. Ce sont les projets urbains de grande ampleur qui retiennent notre attention, du fait de leur impact non négligeable sur la qualité énergétique des territoires qui les accueillent. Nous cherchons à comprendre comment « l’espace énergétique » (Souami, 2007) est conçu au sein du mode de production de la ville qu’est le projet urbain. Depuis 2011, le projet de recherche NEXUS explore les différents scénarios possibles à l’horizon 2040 pour permettre le stockage de l’énergie et gérer les problèmes d’intermittence de la production d’énergies renouvelables { l’échelle du quartier afin d’atteindre les objectifs du facteur 4 (“Nexus énergie,” 2011). Le projet devrait également aboutir { l’identification des leviers possibles pour lisser localement les intermittences de la production et consommation d’énergie en minimisant les émissions de GES. Pour ce faire, l’équipe de recherche analyse les systèmes énergétiques mis en place dans les écoquartiers européens. Les technologies développées et installées dans ces projets constituent ce qu’ils ont appelé des « nœuds socio-énergétiques », c’est-à-dire un système technique servant de support de coordination entre les acteurs des différents secteurs intervenant sur le quartier (immobilier, énergie, urbanisme) et permettant de répartir ou d’assembler les flux énergétiques (Blanchard & Menanteau, 2012). Deux hypothèses ont été posées. Selon la première, ces nœuds socio-énergétiques peuvent être reproduits d’un quartier { l’autre dans des contextes organisationnels et territoriaux Partie 1. Contexte et méthode | Chapitre 4. Méthode 100 comparables. La deuxième hypothèse considère que « les nœuds socio-énergétiques innovants se déploient dans des cadres combinant des dimensions sectorielles (modèles d’affaires et coopération dans l’immobilier et l’énergie) et territoriales (urbain, politique, citoyenneté…) plus ou moins dépendants des régulations nationales et locales » (“Nexus énergie,” 2011). Une première étape du projet a amené l’équipe { définir une typologie de ces « nœuds socio-énergétiques » suivant : – les offres énergétiques (chaleur décentralisée/autonome/ENR, électricité décentralisée/autonome/ENR) ; – la structure de gouvernance (degré d’implication de la collectivité locale, de la participation des habitants dans la conception et la qualité de gouvernance) ; – les objectifs en matière d’émissions de CO2 et de production d’ENR, de consommation énergétique et d’évaluation ; – les options techniques comme la conception bioclimatique, la maîtrise de la demande énergétique, mais aussi le degré d’innovation et de standardisation des solutions. Nous observons une certaine similarité entre les critères entrant dans la typologie des nœuds socioénergétiques proposée et la trame de notre questionnement. Toutefois la finalité de cette recherche est différente de la nôtre, puisque nous centrons notre analyse sur les pratiques de conception et de construction des projets urbains { l’aune des enjeux énergétiques et non sur les systèmes énergétiques eux-mêmes. La notion de nœud socio-énergétique pourrait néanmoins être utile lors de l’analyse des jeux d’acteurs participant au choix des technologies et { leurs mises en œuvre. En définitive, notre objet d’étude « pratiques des acteurs de projet urbain au regard des enjeux énergétiques » apparait bien être situé à la croisée de plusieurs types de recherches. Ainsi, nous centrons notre analyse sur les actions mises en œuvre lors de l’élaboration des projets urbains, ce qui ne signifie pas que nous limitons notre analyse { l’espace inclus dans le périmètre de ces projets. Au contraire nous cherchons à identifier quelle(s) échelle(s) du territoire sont considérée(s) par les différents acteurs du projet pour construire leurs actions en matière d’énergie. Nous cherchons également { percevoir comment les acteurs des projets urbains comprennent et s’approprient les enjeux soulevés par la problématique énergétique. De plus nous souhaitons appréhender les jeux d’acteurs – c’est-à-dire les acteurs impliqués et les dispositifs mis en place pour structurer la question de la qualité énergétique tout au long du projet urbain – dessinés par l’intégration de la problématique de l’énergie dans les activités de conception. Enfin nous cherchons à décomposer les choix de conception des projets urbains de manière à identifier les paramètres considérés comme déterminant par les acteurs les mobilisant pour améliorer la qualité énergétique de leur projet. La démarche que nous avons entreprise et que nous allons maintenant présenter se rapproche des méthodes communément utilisées pour l’étude des processus de projets urbains. Ce sont les activités d’élaboration et de conception que nous observons sous l’angle de l’énergie.

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