L’État Islamique, et l’analyse de l’émergence d’un droit pénal

Présentation des deux principaux axes de la thèse

L’ambition centrale du travail proposé repose sur l’analyse du discours de propagande de l’Etat Islamique vers l’occident, afin d’en cerner les cibles et les principales occurrences, et registres de l’émotion créés, mobilisés et instrumentalisés, vers quels objectifs et résultats ; mais aussi sur l’analyse des moyens et supports de la diffusion, à savoir Internet les médias, et de la réception de ce discours par le droit et les institutions pénales françaises. Il s’agira de montrer les méthodes et les registres du discours qui aboutissent à cette réception. Nous montrerons que, si le droit s’est saisi de ce discours comme un enjeu, à la fois pour prévenir, condamner et sanctionner, c’est que son contenu et sa réception ont eu une portée assez exceptionnelle. A ce titre, il est également intéressant de se pencher sur les méthodes et les supports de diffusion de la propagande, puisque ceux-ci, en parallèle du contenu, qui joue un rôle central dans l’influence qu’exerce le discours et son succès, conditionnent son niveau d’accès et donc de réception par les cibles. Il ne s’agira pas d’interroger le lien entre Internet et engagement, ce qui serait le sujet d’une thèse à part entière, et qui a déjà été fait34, mais de s’interroger sur la façon dont le groupe a instrumentalisé des moyens de communications et supports pour diffuser son discours. La thèse reposera donc sur deux axes centraux, et complémentaires : la compréhension du contenu du discours de propagande vers l’ouest occidental, et notamment vers la France, la façon dont celui-ci a été diffusé pour atteindre ses cibles, et sa réception institutionnelle, juridique et pénale en France. Si nous nous sommes intéressés à la propagande de l’Etat Islamique, c’est principalement en raison de sa modernité, son apparente sophistication et le nombre de fichiers traduits et s’adressant à l’étranger qui lui confèrent un caractère novateur. Elle a constitué un chamboulement, qui a rejailli sur nos institutions. Il semble essentiel d’étudier sa campagne de communication pour élaborer un contre-discours adapté, mais également pour en tirer des enseignements pour l’avenir. C’est aussi en raison de sa très grande médiatisation en France, et son impact sur notre législation, que nous avons choisi de nous y intéresser. Des comparaisons seront néanmoins faites avec d’autres groupes terroristes, notamment djihadistes, et principalement Al-Qaïda quand cela est pertinent. Il semble évident que « l’âge d’or » et les grandes figures d’Al-Qaïda ont influencé dans certains cas l’esthétisme de la propagande du groupe, ses mises en scène, mais aussi son idéologie, c’est pourquoi en parler est pertinent35. Il a ensuite inspiré lui-même d’autres groupes, comme le Front Al-Nosra.
L’objet de notre étude portera plus spécifiquement sur la propagande dite centralisée, officielles et traduite de l’Etat Islamique. Il portera sur les productions issues de ses chaines officielles à un niveau plus global, majoritairement de la chaine Al Hayat Media Center vers l’étranger, même si certaines références pourront être faites à quelques vidéos issues des provinces, même en arabe, lorsque cela est pertinent. On mentionnera quelques vidéos en arabe dirigées vers le Moyen Orient lorsqu’il s’agit de vidéos très médiatisées en France et à l’ouest, qui ont eu pour vocation de choquer largement, par exemple dans le cas de l’exécution du pilote jordanien brûlé vif, ou d’exécutions de masse commises par des enfants. Ces vidéos sont intéressantes, car elles ont joué un rôle dans la formation de l’opinion publique, et des décisions politiques, en tant que facteur anxiogène36. Nous nous intéresserons principalement cependant à la propagande dirigée vers l’étranger, donc à l’extérieur des territoires conquis par l’Etat Islamique au Moyen Orient, mais aussi du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne, et plus spécifiquement vers un public dit occidental. Le public occidental, issu du monde occidental, en opposition à l’Orient, est celui situé principalement à l’ouest, soit en Europe, en Amérique et en Océanie Occidentale. Certaines références seront cependant faites à d’autres pays et régions du monde, surtout la Russie et l’Asie, notamment la Turquie, quand cela est pertinent.
Ces pays, même situés à la limite de l’occident à proprement parler, restent à l’extérieur de la zone d’influence du groupe, et la propagande qui s’adresse à eux est souvent assez similaire à celle dirigée vers l’occident, et est diffusée par les mêmes chaines. Les différentes comparaisons seront pertinentes lorsque les méthodes et registres du discours sont similaires à celles dirigées vers l’Occident, et que les vidéos sont traduites. Ce choix de sujet repose sur la barrière de la langue, il n’est pas possible pour nous d’étudier un corpus conséquent en arabe, même en demandant une traduction, et d’en saisir les subtilités de langue. Il repose aussi sur un critère géographique, puisque la recherche a lieu en France, qui fait partie des pays occidentaux largement visés par la propagande du groupe. Cette approche est pertinente car englobante, elle ne se focalise par sur les spécificités du discours propre à chaque pays, mais sur ce qu’il y a de commun dans la méthode de l’Etat Islamique pour toucher toute une partie du monde. Il existe bien des particularités par pays, qui ont pu être étudiées37, pour Laura Ascone par exemple, la propagande vers la France dans les revues est davantage menaçante et centrée sur la haine, là où celle britannique est plus axée sur le cheminement du héros et des émotions positives38. Ce qui nous intéresse est de proposer une approche globale du discours vers l’occident, afin d’analyser la colonne vertébrale de la méthode du groupe pour toucher l’extérieur. Si l’analyse de discours dépasse le cadre de la France, et s’étend plus largement à la propagande dirigée vers l’occident, c’est en raison du nombre de fichiers étudiés en langues anglaises par rapport au pourcentage de données en français ; et parce qu’il existe des similarités notables dans le discours vers l’ouest au sens large, rarement étudiées sous cet angle. Cette analyse globale du discours vers l’occident semblait à la fois pertinente et riche, mais également intéressante et innovante. L’analyse de la prévention et du droit en revanche, sera plus centrée sur le modèle français, mais des comparaisons seront faites avec d’autres pays, en Europe et en Amérique du Nord, pour souligner des similarités, mais aussi les spécificités de notre régime préventif, et de notre justice antiterroriste. L’analyse de la réception juridique française est à elle seule un sujet à la fois vaste et complexe, puisque la propagande djihadiste est venue bouleverser le droit pénal et la justice, a prolongé la création d’un régime juridique dérogatoire d’exception et a investi les prétoires. En effet, pour comprendre l’impact d’un discours de propagande, il semble primordial, outre son contenu, d’aborder la manière dont celui-ci a été reçu et a touché une société et ses institutions, c’est là que repose l’enjeu central de la thèse. S’il existe beaucoup de travaux sur la propagande39, cette articulation entre l’analyse du discours et sa réception juridique et judiciaire ne semble pas avoir été faite de cette manière à ce jour.
Comment expliquer l’émergence et le succès d’un discours de propagande de terreur et de recrutement créé par un groupe terroriste islamiste moderne, l’État Islamique, et analyser l’émergence d’un droit pénal d’exception pour l’endiguer ? Pour répondre à cette question, devra être proposée une analyse pointue et précise du discours de propagande de l’Etat Islamique vers l’étranger occidental, de ses supports, de ses moyens et méthodes de diffusion, et du contre discours institutionnel, de l’appareil juridique et répressif français mis en place depuis 2014 pour lutter contre. Le raisonnement devra montrer comment et pourquoi cette propagande est devenue à la fois un élément de preuve et un élément à charge dans la lutte contre le terrorisme en France, et les poursuites judiciaires qui y sont corrélées, et en quoi cela est exceptionnel. En conclusion, l’intérêt de l’approche proposée, une analyse à la fois du discours et de sa réception pénale, réside dans l’articulation entre un discours de propagande et sa réception par une société, forcée de s’adapter à un phénomène qui trouve sa force dans les moyens de communication modernes.

Une analyse descriptive et analytique du discours

Le travail proposé se basera en premier lieu sur une étude à la fois descriptive et analytique du discours de propagande du groupe Etat Islamique vers l’occident, donc sur une étude de la méthode globale, essentiellement des points communs dans son approche, pour toucher un public étranger. Il s’agit d’un discours très guerrier, qui puise des ressemblances intéressantes avec certains principes de la propagande de guerre définis par Anne Morelli, c’est un discours qui invite au combat, qui promet une victoire indéfectible sur l’ennemi monstrueux et impur, et la poursuite d’une cause noble, sacrée et juste40. C’est aussi un discours violent, qui met en scène volontairement l’administration de la mort de la manière la plus crue et choquante possible, afin d’instaurer la terreur et de créer la panique au-delà du rationnel chez l’ennemi.
L’Etat Islamique met à proprement parler en scène le terrorisme dans toute sa violence à l’intérieur même de sa propagande, notamment visuelle, sa propagande est par essence du terrorisme, elle se rapproche de la propagande par le fait, soit de l’attentat, au niveau des effets psychologiques qu’elle créée. Néanmoins, ce qui est intéressant, c’est l’impossibilité de réduire totalement sa propagande à la violence et la guerre, elle est également assez classique, puisque on y trouve aussi un discours de séduction pour recruter, qui promet de participer à une communauté, un projet de vie, pour les hommes mais aussi, fait plus rare dans la sphère djihadiste, les femmes. La propagande de l’Etat Islamique c’est la manipulation d’un cocktail d’émotions pour séduire, appeler au combat, et terroriser.

Supports visuels et supports textuels : une dynamique complémentaire

Nous montrerons comment et pourquoi se construit ce discours ; sur la base de quels registres de l’émotion, sur quels procédés et quelles occurrences, et vers quelles cibles. Pour cela, sera effectuée sur chacun des quatre principaux supports, vidéos, photographies, revues et chants, une étude de ces occurrences pertinentes et principaux procédés. Nous montrerons comment est créée le discours, et les registres de l’émotion, pour mener vers ce que Benjamin Ducol appelle des émotions réactives, qui mènent à l’action41. Si nous avons choisi de séparer en deux chapitres différents l’étude des supports visuels et des supports écrits et auditifs, c’est parce que, tout en étant complémentaires, ils sont différents, et font appel à des procédés qui changent, vers des profils, des objectifs, qui varient. Les images font office de puissant excitant et d’objet de terreur, grâce à elles le groupe fait la démonstration visuelle de ses actes. Elles vont toucher plus facilement un public profane, les musulmans peu pratiquants, les convertis, et l’ennemi, puisqu’elles sont reprises dans les médias. Elles incarnent la modernité de l’Etat Islamique, qui les soumet à un travail de postproduction et de scénarisation important42. Les vidéos vont volontairement s’inspirer de la culture populaire, magnifier la guerre et le djihad pour attirer des cibles43, et instrumentaliser la violence visuelle pour terroriser, elles alternent entre ces deux registres44. Les images ont un vrai rôle à jouer pour créer les émotions réactives qui mènent au choc moral, voire aux dynamiques de l’engagement, elles sont le support et le réceptacle de l’émotion, qui est créée par la mise en scène et le discours45. Elles ont un vrai pouvoir de séduction, et anxiogène, elles agissent directement sur les émotions et les affects, les sentiments, comme celui de sécurité46. Dans le cas des photos, l’image casse la barrière de la langue, et dans le cas des vidéos, les images font appel à des moyens techniques qui vont venir impressionner les cibles, et glorifier le groupe. Les supports écrits s’appuient sur la force des mots, et les supports visuels des images et de la production : différents moyens sont utilisés pour aboutir à divers objectifs. Les revues s’adressent à un public plus érudit, avec leur format qui s’étend parfois sur plus d’une centaine de pages, composées de longs textes illustrés de références religieuses, et sont davantage tournées vers l’éducation des membres dans ses rangs, le prosélytisme, l’argumentation, et l’eschatologie. Les revues sont plus prosélytes et se parent d’intellectualisme, elles font office de guide de vie pour ceux qui marchent déjà dans les pas du djihad. Les chants sont au carrefour des deux, ils viennent amplifier des émotions, et illustrent souvent les vidéos, ils ont néanmoins un caractère plus sacré qui les rapprochent des revues, c’est dans le texte, et donc dans les mots, que se situent la force des anasheeds. On trouve d’un côté la force des mots et des textes qui priment, avec un prosélytisme fort, et de l’autre la puissance attractive des images, de la postproduction, la dimension visuelle, qui peut atteindre plus de cibles plus facilement. Il existe des ponts importants entre les deux, et elles sont parfaitement complémentaires, c’est pour cela que le groupe les a instrumentalisées ensemble.

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