LES MARAIS LITTORAUX
Les marais littoraux sont des environnements caractérisés par une végétation halophyte régulièrement recouverte par la mer (Bertness et al., 1992). Zones d’ accumulations sédimentaires, les marais littoraux jouent un rôle essentiel dans l’écosystème côtier en faisant office de zone tampon entre la mer et la terre, ce qui réduit le risque d’ érosion et de submersion du trait de côte (Kirwan and Murray, 2008). Il existe une grande diversité géomorphologique, sédimentaire et écologique parmi les marais, qui est étroitement liée aux paramètres physiques du milieu. Pye et French (1993) ont proposé une classification des marais en fonction de la morphologie côtière. Ces auteurs différencient ainsi les marais sur les côtes ou baies ouvertes, généralement plutôt sableux, les marais en ria et estuaires plus vaseux, les marais en baies abritées et en arrière d’îles barrières qui présentent des sédiments sablo-vaseux. Les marais présentent une pente faible avec parfois une rupture de pente entre marais supérieur et inférieur. Dans la plupart des marais, des chenaux de marées traversent le marais, modifient la topographie locale et assurent un rôle de zone transit des masses d’eau (Leonard, 1997 ; Christiansen et al., 2000; Culberson et al., 2004; Wood et Hine, 2007). La sédimentation à la surface des marais est contrôlée par l’interaction entre le régime tidal, les vagues, la topographie de la zone, la concentration en sédiments en suspension importés du large, la nature des sédiments et l’influence de la végétation (Leonard, 1997; Leonard et Reed, 2002). L’interaction de ces nombreux facteurs d’influence fait des dépôts sédimentaires un processus complexe. Les courants et la turbulence diminuent progressivement vers la terre et en s’éloignant des grands chenaux de marée ou des rUIsseaux parcourant le maraiS (Leonard et Luther, 1995). Un gradient d’affinement granulométrique vers la côte a été observé par bon nombre d’auteurs (Beeftink: et al., 1977; Yeo et Risk, 1981 ; Woolnough et al., 1995; Kastler et Wiberg, 1996; Shi et Chen, 1996; Zhang et al., 2002; Dashtgard et Gringras, 2005; Allen et al., 2006; Yang et al., 2008), ce qui correspond aux tendances observées dans les environnements dominés par la marée (Van Rijn, 1998). La granulométrie des marais est ainsi le reflet des conditions hydrodynamiques locales. Celle-ci joue un rôle déterminant pour la géochimie de ces zones humides, pour la répartition de la faune et flore benthique, ainsi que pour les biofilms (Clifton et al., 1999; Dyer et al., 2000; Shroder et al., 2002; Armynot du Châtelet et al., 2009). L’estran en contrebas des marais présente également une granulométrie variable, généralement proche de celle du marais (Steel et Pye, 1997).
La végétation n’est pas seule responsable de variations spatiales des dépôts sédimentaires, la sédimentation dépend aussi de la distance au plus proche chenal de marée et de la topographie locale. Voie préférentielle de transit des masses d’eau et ainsi des sédiments en suspension, les chenaux de marée modifient les processus de sédimentation à l’échelle locale en créant des dépôts irréguliers (Stumpf, 1983; Reed et al., 1999; Allen, 2000; Voulgaris et Meyers, 2004). Beeftink: et al., (1977) et Phleger (1977) mentionnent la présence de dépôts locaux grossiers sur les bordures des chenaux de marée, ces variations à l’ échelle locale peuvent se surimposer au gradient de granulométrie à grande échelle.
Les vagues agissent sur le marais de manière variable suivant la morphologie de la côte et les caractéristiques du marais. De nombreux auteurs ont montré le lien direct qui existe entre vagues et sédiments en suspension dans les marais, particulièrement au flot (par exemple Leonard et al., 1995; Fagherazzi et Priestas, 2010). Les vagues sont parfois considérées comme des causes d’ érosion (Callaghan et al., 2010), dans d’ autres cas l’ érosion causée par les vagues est considérée comme négligeable (Ravens et al., 2009). Les conditions de vagues varient dans le temps et selon les saisons : les dépôts et l’érosion à l’échelle saisonnière seraient selon certains auteurs essentiellement dus aux vagues (Pye, 1995).
Généralement, le transport sédimentaire en zone intertidale dépend des sédiments fournis au secteur côtier ; la source des sédiments a donc une importance non négligeable (Perry et Taylor, 2007). Allen (2000) présente les sédiments des marais littoraux comme une combinaison de trois principales sources : fluviale, littorale et marine. La nature des dépôts sédimentaires varie en fonction des saisons, dépendamment des sources de sédiments, de la végétation et des conditions hydrodynamiques (Ranwell, 1972; Fan et al. , 2002; Yang et al., 2008).
L’ÉTAT DES CONNAISSANCES DES MARAIS DU SAINT-LAURENT
Les rivages de l’ estuaire du Saint-Laurent sont localisés en zone tempérée froide presque subarctique, caractérisée par des hivers relativement longs (Dionne, 1972). La principale différence existant entre ces systèmes côtiers du Saint-Laurent et ceux en climat plus tempéré vient de l’ action de la glace de mer (Drapeau, 1992). Un pied de glace fixe couvre le marais supérieur durant les mois d’hiver pour fondre sur place au printemps . Dans le marais inférieur et sur l’estran, la glace de rive subit l’action des marées et présente une structure plus fragmentée (Dionne, 1973).
Sables, vases, et blocs de toutes tailles composent la zone intertidale. Les glaces dérivantes en fin de saison hivernale déplacent des radeaux de végétation, des roches et des sédiments non consolidés, et induisent ainsi un engraissement irrégulier des zones de dépôt (Dionne, 1972; Dionne, 1984; Troude et Sérodes, 1988; Dionne, 1991 ; Bélanger et Bédard, 1994; Dionne, 1998). Le déplacement de radeaux de végétation contribue aussi à la formation de nombreuses marelles (Gauthier et Goudreau, 1983; Fournier et al, 1987). Le marais inférieur (aussi appelé schorre inférieur ou haute slikke) est dominé par Spartina alterniflora (Dionne, 1972; Gauthier, 1982). Le marais supérieur (aussi appelé schorre supérieur) présente une végétation diversifiée avec en premier la zone à Spartina patens, puis la zone à Carex spp. et à Spartina pectinata. Quelques auteurs ont étudié la dynamique estivale des dépôts sédimentaires et montré d’importantes variations saisonnières à Kamouraska et Cap Tourmente (situés dans la zone de turbidité maximale, dans l’ estuaire moyen) et à l’échelle de l’estuaire (Sérodes et Dubé, 1983; Sérodes et Troudes, 1984; Drapeau, 1992). L’étude réalisée par Sérodes et al. (1983) dans le marais de Cap Tourmente met en évidence i ‘ augmentation des concentrations en sédiments en suspension vers la côte de 20-55 mg/L à près de 100 mg/L, ainsi qu’une diminution des dépôts sédimentaires à l’ automne. Sérodes et Dubé (1983) ont insisté sur la baisse significative des sédiments en suspension durant la marée montante. Les auteurs ont également remarqué l’influence de la végétation sur les processus sédimentaires, mai et septembre étant considérés comme des périodes d’ érosion avec une végétation basse ou partiellement couchée. Des études ont évoqué la problématique de l’ érosion latérale des marais de l’estuaire moyen (Dionne, 2000; Dionne, 2004) et de l’estuaire maritime (Morissette, 2007). Les récentes mesures à grande échelle ont confirmé le phénomène d’érosion des berges et la sensibilité des marais littoraux de l’estuaire maritime (Bernatchez et Dubois, 2004).
L’influence de la glace hivernale a aussi été étudiée dans d’autres régions. En Baie de Fundy, des études ont montré une variation saisonnière de la sédimentation (DavidsonArnott et al., 2002; van Proosdij et al., 2006b). L’influence de la glace de rivage a également été étudiée le long de la côte Danoise de la mer des Wadden. Dans cette étude, la redistribution des sédiments par la glace est considérée comme une unidirectionnelle car la croissance végétale au printemps stabilise les dépôts sédimentaires (Pejrup et Andersen, 2000). Il subsiste malgré tout des incertitudes concernant les processus en jeu, le rôle que joue la croissance végétale sur la structure de la colonne d’eau, et donc la sédimentation, en particulier pour les types de marais présents dans l’estuaire du Saint-Laurent. Les variations saisonnières du transport sédimentaire sont encore mal connues. La glace hivernale modifie l’équilibre annuel du milieu, les processus sédimentaires observés en été permettent alors de mieux comprendre le fonctionnement du marais.
Le marais de la Pointe-aux-Épinettes, sujet du présent mémoire, est étudié depuis quelques années sur différents aspects: la dynamique sédimentaire des marelles (Rogé, 2010), les échanges géochimiques entre le marais et l’estuaire (Poulin et al., 2007; Poulin et al., 2009), la biogéochimie des marelles (Huard, 2010), et la distribution végétale (Bourgon-Desroches, 2010).
CHAPITRE 1: INTRODUCTION GENERALE |