L’état de stress post-traumatique en périnatalité
L’état de stress post-traumatique en périnatalité
L’ESPT en périnatalité a des caractéristiques propres même si sa définition clinique reste identique. Ce trouble survient chez environ 3% des femmes. Cette prévalence varie selon les études et les facteurs de risque (jusqu’à 19%) (3). Il existe deux types d’ESPT en périnatalité : l’ESPT préexistant et celui inhérent à la grossesse, à l’accouchement ou au post-partum. La périnatalité touche au domaine de l’intime où de nombreux facteurs interviennent : attachement, modifications psychoaffectives, vulnérabilité psychique…
Modifications psychoaffectives autour de la naissance
La grossesse mobilise de l’énergie, bouleverse l’équilibre quotidien et est décrite comme une crise maturative. Il nous a donc semblé important de définir les modifications psychoaffectives, inhérentes à la grossesse, qui modifient le psychisme maternel et potentialisent ainsi l’ESPT.
La filiation ou dette de vie
La filiation détermine l’individu par un système de parenté. Il est nécessaire de différencier le statut de parentalité (fonction de l’adulte sur le développement de l’enfant) du statut de parenté (processus biologique de reproduction). La naissance vient s’inscrire dans un contexte familial préétabli, avec ses propres représentations et influences psychiques. La grossesse répondrait alors à une dette de vie inconsciente que l’on devrait à nos parents. La femme devient mère et renonce à son statut de fille (1). L’embryon puis le fœtus, est décrit comme un objet intériorisé, qui n’est pas distingué de soi. C’est à l’accouchement que la réalité prend place. Événement où sont intriqués la mort et la vie, il représente une perte de l’enfant imaginaire, perte d’une partie de soi : « tout enfant vivant a pour double un enfant mort » (1). Il naît en ces femmes un déchirement, une séparation entre le corps et l’esprit. Elles découvrent un enfant inconnu avec qui elles doivent construire. Le deuil de la grossesse et de cet état psychique et physique transitoire parait ainsi incontournable. 6
La préoccupation maternelle primaire ou transparence psychique
Afin de se consacrer complètement à son enfant, la femme sera « conditionnée » par un état que l’on nomme transparence psychique ou préoccupation maternelle primaire. Donald Wood Winicott décrit, depuis 1956, la préoccupation maternelle primaire comme un état mental transitoire de fin de grossesse, état de repli ou encore de rêverie. État proche de la dissociation, il est parfois même défini comme un « état schizoïde » (10). Débutant quelques semaines avant l’accouchement, il va permettre un désinvestissement de la réalité extérieure afin de se centrer sur l’enfant à venir. Il se prolonge sur plusieurs semaines après la naissance et sera en lien avec l’attachement nécessaire à l’enfant pour son développement. L’expérience de la grossesse et de la naissance représentent une réelle invasion psychique. De nombreux mécanismes inconscients viennent s’intriquer : désir, imagination, projection, refoulement, angoisses primitives… La grossesse implique une intrusion de l’inconscient, une « rencontre intime avec soi-même ». Des moments douloureux (deuil, conflits infantiles) y résident et sont bloqués par la barrière du refoulement. Monique Bydlowski définit la grossesse comme une « période où des fragments de l’inconscient viennent à la conscience » (1). La femme recherchera alors des éléments auxquels s’identifier propres à son vécu et à son enfance. Cette « nudité ou transparence psychique » impose à la femme une période de fragilité. En effet, si son l’histoire présente des failles, ce mécanisme inconscient peut les réactiver. Le psychisme maternel laisse alors place libre à l’effraction pouvant rendre plus fréquent un ESPT ou imposer des reviviscences d’un ancien traumatisme.
La théorie de l’attachement
La théorie de l’attachement revient, au psychologue anglais, John Bowlby. Il définit ce phénomène comme « un équilibre entre les comportements d’attachement envers les figures parentales et les comportements d’exploration du milieu » (11). La première rencontre lors de la naissance n’est plus dans l’imaginaire de la femme, mais s’inscrit dans la réalité par le toucher, l’odeur, la vision, l’éveil de nouvelles sensations. Un pic d’ocytocine, dès le premier quart d’heure de vie, favorise un contact propice aux phénomènes d’attachement. Le peau à peau permet de favoriser la proximité et il est recommandé « d’éviter la séparation de la femme et son enfant » à la naissance (12). D’une part, Les comportements innés du nouveau-né traduisent ses besoins primaires : contact, succion, grasping etc. D’autre part, la préoccupation maternelle primaire permet à la femme d’être apte à répondre à ses besoins, à se rendre disponible et protectrice. L’attachement induit donc les prémices de l’interaction, d’une relation à autrui. Différents types d’attachement sont décrits, « secure » et « insecure ». Le type d’attachement conditionnera le développement émotionnel et relationnel de l’enfant. L’attachement type secure est lié à des sentiments de confiance en soi, d’estime de soi et d’empathie chez l’enfant. La relation mère-enfant est source de plaisir et de découverte. L’attachement évitant (insecure) est corrélé à un isolement pour se protéger. Il est la conséquence d’une mère portant peu d’attention à son enfant. L’attachement ambivalent (insecure) se traduit par une incapacité à se détacher, c’est par exemple un enfant inconsolable lorsqu’il quitte sa mère. C’est par l’observation des échanges affectifs qu’il est possible de définir le type d’attachement. (11) Finalement, il existe une réelle continuité entre la vie psychique de la mère et les prémices relationnelles avec son enfant. La proximité et les premières interactions sont indispensables pour créer un contexte affectif sécurisant. L’ESPT peut venir bousculer ces phénomènes d’attachement. Ainsi, dès la naissance peuvent se créer des carences affectives suite à un trouble de l’attachement.
Comorbidités psychologiques de l’ESPT en périnatalité
Le baby blues
Environ 30 à 80% des femmes déclarent un baby blues en post-partum (13). Il est défini comme une réaction psychique très fréquente, suite à l’accouchement, aux alentours du troisième jour. Lié à une diminution brutale des œstrogènes, cet état d’hypersensibilité est décrit comme transitoire et adaptatif. Il se traduit par des réactions émotionnelles de la femme : irritabilité, inquiétude, fatigue, pleurs, etc. Il se résout spontanément et est dit non pathologique. Il est nécessaire que les professionnels revalorisent la patiente et qu’ils s’assurent du soutien de l’entourage proche. Le baby blues ne doit pas être sousestimé. Il est important de le différencier des prémices d’un trouble psychique pouvant être lié à la naissance. Enfin, un blues sévère triple la probabilité de dépression post natale (14).
La dépression post-natale ou périnatale (DPN)
Avec une prévalence qui varie de 10% à 20%, la dépression post-natale est une des plus fréquentes complications du post-partum mais peut aussi survenir en anténatal (13). Elle se traduit par des symptômes envahissants qui durent : pleurs, angoisse, anhédonie, sensation d’incapacité, dévalorisation, isolement social, perte d’envie et repli sur soi, depuis au moins deux semaines consécutives. En 2016, l’enquête périnatale démontre que ”29.6% des femmes ont déclaré des symptômes dépressifs” (15). Trouble de l’humeur constant, la DPN induit des idées suicidaires et des insomnies. Elle est parfois en corrélation avec des antécédents psychologiques, un manque de soutien affectif et social ou encore des facteurs de stress. Notons par ailleurs, que 60 % des DPN sont les premières dépressions des femmes et qu’il n’existe pas systématiquement d’antécédents permettant un dépistage (14). 9 La DPN implique une altération de la relation mère-enfant avec une figure d’attachement non apte à répondre aux besoins primaires du nouveau-né, entrainant donc des troubles des interactions précoces. Différentes études décrivent un impact conséquent et un empiétement sur le développement de l’enfant, notamment des troubles du comportement, une instabilité psychomotrice, des conduites addictives à l’adolescence ainsi que des troubles anxieux (16). Dès les premières semaines de vie, la DPN peut avoir une influence sur les nouveau-nés qui seront passifs, inexpressifs et en retrait. Il existe une comorbidité importante entre la DPN et l’ESPT, il est donc indispensable de les dépister conjointement (17)
Les facteurs de risque de l’ESPT
Antécédents et histoire de la patiente : l’ESPT préexistant Des évènements propres à chacun peuvent impacter le vécu de la grossesse et de l’accouchement. Certains antécédents sont établis comme des facteurs prédictifs de l’ESPT et facilitent son repérage. L’ESPT préexistant représente 1% des ESPT en périnatalité. Il semble essentiel de pouvoir dépister un ancien traumatisme qui peut facilement être réactivé durant la période périnatale. Il existe des facteurs de risque socio-économiques. L’isolement social (divorce, entourage absent, isolement)(3) et un faible niveau économique(18) sont retrouvés comme facteur de risque d’ESPT dans la littérature. Concernant les antécédents médicaux, une attention particulière est portée aux antécédents psychologiques : dépression, traits psychiatriques, traitements psychologiques antérieurs, anxiété, etc (19). En reprenant l’histoire de la patiente, nous nous intéressons à son passé, aux difficultés qu’elle a pu traverser, à l’équilibre du couple, au vécu de son enfance et à ses interactions sociales. Les notions de violences conjugales ou intrafamiliales, de viols, ou encore d’abus sexuel dans l’enfance sont des évènements pouvant fragiliser les femmes et être à eux seuls des traumatismes. Ils peuvent donc être à l’origine d’un ESPT (20)(21). 10 Les antécédents obstétricaux constituent un repère fondamental pour dépister les patientes à risque. En effet, un traumatisme ayant débuté durant une précédente grossesse ou suite à un accouchement, aura une très forte probabilité d’être réactivé par la grossesse actuelle. Des antécédents de fausses couches, de morts fœtales in utero (MFIU), d’interruption volontaire de grossesse (IVG), d’accouchement avec un vécu traumatique ou de grossesse compliquée peuvent interpeller les professionnels (3)(22). « 14.8% des multipares ont eu un antécédent obstétrical sévère, tel qu’une MFIU, un décès néonatal, un accouchement prématuré ou un nouveau-né hypotrophe »(15). Ø Le deuil périnatal Du latin dolore qui signifie souffrir, le deuil place la perte d’un être cher comme un des évènements les plus stressants dans la vie d’un individu. Il peut donc induire un ESPT dans des cas de MFIU, IVG etc. Le deuil comprend plusieurs étapes. La dernière étape du deuil est celle de la réorganisation. C’est durant cette étape, que de nouveaux projets et rêves peuvent se réorganiser (23). Néanmoins, c’est aussi à ce moment que l’angoisse d’une nouvelle grossesse peut survenir. C’est un temps où des reviviscences du traumatisme peuvent ressurgir (par exemple, des cauchemars du corps mort du nouveau-né). Par son caractère intrusif, le deuil périnatal peut induire un ESPT et est facilement repérable. Finalement, dans une étude de 2013, Giannandrea et al estiment la prévalence d’ESPT à environ 9% pour les femmes ayant vécu une perte périnatale (FCS, MFIU etc.) (24). Ce n’est parfois, qu’à l’occasion d’une nouvelle grossesse ou face à des liens mère enfant perturbés que l’on découvre une IVG traumatique. Une décision d’IVG, bien qu’entreprise par la patiente, peut faire partie du processus de deuil périnatal. L’antécédent d’IVG est retrouvé comme un facteur de risque d’ESPT (3)(25).
Facteurs de risque durant la grossesse
Ø La primiparité La primiparité est retrouvée comme facteur de risque de l’ESPT. Par sa composante énigmatique, l’accouchement fait l’objet de multiples projections, interrogations et inquiétudes. L’appréhension qu’il suscite est pour beaucoup de femmes, source d’anxiété. Dans une étude à Marseille : « 45 % des femmes interrogées décrivent l’accouchement comme un facteur de stress majeur ». Ce résultat est majoré chez les primipares et il concerne la durée du travail, la douleur et le nombre de contractions utérines (26). Ø Grossesses à haut risque La grossesse à haut risque est un facteur de risque d’ESPT. La prévalence d’ESPT après une grossesse compliquée est plus élevée (environ 10%) selon Polachek et al (19). De nombreuses pathologies peuvent accroitre la morbimortalité périnatale : menace d’accouchement prématuré, pré-éclampsie, diabète gestationnel, grossesse gémellaire, placenta prævia etc. Ces grossesses sont plus à risque de complications avant, pendant et après l’accouchement. En 2013, Tan et al ont étudié l’impact de la pré-éclampsie, de l’éclampsie ou de l’hémorragie sévère. Ont été retrouvé pour ces patientes un déclin plus important du désir d’enfant, des scores d’ESPT significativement plus élevés et la peur d’une nouvelle grossesse avec pour la majorité d’entre elles une demande de césarienne (27). Les grossesses à risque imposent parfois aux femmes une hospitalisation, facteur de stress supplémentaire. Les limitations qu’induisent ces pathologies (déplacements limités, régime diabétique…) peuvent être contraignantes. C’est également, la peur de nuire à leur enfant, qui angoisse ces femmes. En effet, ces pathologies impliquent une possible atteinte physique de la mère mais également de son nouveau-né (retard de croissance intra-utérin, malformations, mort fœtale) facteur potentiellement déclenchant d’un évènement traumatique.
I. INTRODUCTION |