DE L’ETAT DE NATURE
Partant du constat de la corruption profonde de l’homme dans la société de son temps, Rousseau se propose de démontrer qu’elle n’est pas liée à la nature, mais à la formation de la société. Pour trouver la véritable nature de l’homme, il fait appel à une fiction méthodologique, imaginaire « un état de nature ». Cet état constitue, à ses yeux un repère fixe et originel à partir duquel il retrace la généalogie complexe d’une dépravation corrélative aux progrès de la société. Cette description faite par l’auteur à l’égard de l’état de nature doit beaucoup à une sorte d’évidence intérieure. Par la puissance de son imagination, Rousseau retrouve dans la nostalgie de sa propre innocence, des sentiments spontanés de la nature. C’est ainsi qu’il a inventé cette condition primitive de l’homme qu’‘il considère comme irrémédiablement perdue, alors même qu’elle n’a jamais existé.
La conception de la nature
Tous les philosophes du XVIIIe siècle se réfèrent à la nature, conçue comme étant l’aspect physique du réel. Chez Rousseau, la définition de ce mot «nature» est peu évidente : celui-ci peut désigner aussi bien le monde physique que les dispositions innées de l’homme, dont la conscience morale taxée par des «voix de la nature » ou, plus simplement, la campagne verdoyante.
Cette pluralité de sens n’empêche pas, cependant, de produire une définition plus précise. La nature, c’est avant tout ce que l’on oppose à la culture dont : l’art, la technique, la loi, l’institution, la société, l’arbitraire. Rousseau est peut –être le premier à faire de cette distinction un outil méthodologique. L’idée de nature est peut-être celle d’une « transparence » originelle : la nature c’est ce qui est vrai, ce avec quoi nous avons un rapport immédiat sans médiation, et qui nous rappelle notre origine. C’est en ce sens que l’on peut parler, de la voix de la nature pour désigner la conscience morale. Ainsi l’auteur affirme :
Sois juste et tu seras heureux, je ne tire point ces principes de la haute philosophie, mais je le trouve au fond de mon cœur écrit par la nature en caractères ineffaçables.
La nature est principe d’ordre, de simplicité et d’authenticité. A l’opposé, le vice, se traduit par le désordre, ou violence qui procède de la société et de la culture. Le luxe et/où le mensonge qui en découle manifestant de l’inscription de l’individu dans des rapports artificiels. A ce propos, le Genevois suppose :
Posons pour maxime que les premiers mouvements de la nature sont toujours droits : il n’y a point de perversité originelle dans le cœur humain. Il ne s’y trouve pas un seul vice dont on ne puisse dire comment et par où est entré .
L’état de nature chez Rousseau
Dans l’esprit de Jean Jacques Rousseau, le mot nature a deux sens ; le premier désigne ce qui est originel et primitif à la nature humaine. Il veut montrer que l’homme naturel, qui est primitif et sauvage, est l’homme vivant en dehors de toute communauté. Il convient de souligner que l’état de nature pour notre auteur est un état hypothétique. Il désigne la situation imaginaire ou fictive de l’homme n’ayant pas accédé à une organisation sociale. Cet état hypothétique ouvre un débat très sérieux depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Car il est la base de toute politique d’une société. Pour maîtriser cette dernière, il faut opérer un retour sur la nature primitive de l’homme. Un retour sur l’histoire permet-il de prévoir la réalité de l’homme originel de l’état de nature ? Ou plutôt de mieux examiner les fondements des sociétés dites civiles ? A cette problématique, l’auteur est très objectif, il montre que :
Il ne faut pas prendre les recherches, dans lesquelles on peut entrer sur ce sujet de l’état de nature pour des vérités historiques mais seulement pour des raisonnements hypothétiques et conditionnelles plus propres à éclaircir la nature des choses qu’à en montrer la véritable origine .
C’est ainsi qu’il se pose la question de savoir pourquoi et comment s’est formée une société. Le deuxième désigne essentiellement le sens authentique de la nature humaine. L’auteur montre que, chez l’enfant, la nature parle immédiatement lorsqu’on étudie. Rousseau veut dire par là que laissé dans toutes vérités, un homme gardera toujours sa nature intacte, il restera inaltéré. Cela veut dire que l’homme vivant à l’état civil portera encore sa beauté naturelle. En ce sens, nous pouvons dire qu’il y a une vérité de la nature de l’originel que l’on appelle « le primitivisme de Jean Jacques Rousseau ».
Par conséquent, cet état de nature n’a pas de certitude historique. Ce n’est qu’une hypothèse de l’imagination. Comme l’auteur affirme :
Un état de nature qui n’existe plus, qui n’a peut être pas existé et que probablement n’existera jamais .
En effet, l’état de nature est devenu le carrefour de la philosophie politique et de la philosophie de la nature. C’est un carrefour pour la philosophie politique, parce que tout théoricien politique l’examine pour élaborer sa théorie sociale. Il est également à l’égard de la philosophie de la nature parce que tout théoricien naturaliste s’en sert pour arriver à ses fins idéologiques. L’état de nature reste donc un symbole de comparaison entre lui et l’état civil. Certains penseurs tels que : Bruno Housman, Starobinski Jean considèrent l’état de nature comme un état d’innocence, paisible et de bonté. Un état où l’homme ne peut pas être jugé ou considéré comme un être injuste, méchant par son ignorance. Ces deux penseurs montrent également que c’est l’état civil qui est la source de la corruption des mœurs. Par ailleurs, l’état de société traduit une réalité concrète mais non hypothétique : étant une réalité vécue et non une imagination comme le concept fictif de l’état de nature. L’auteur affirme que : « L’état de société commencé est une réalité mais non une hypothèse » .
Ainsi, le problème fondamental de cette étude est de définir l’état de nature, et l’aspect sous lequel se présente l’état civil. Dans le premier, les hommes ne sont soumis à aucune autorité politique, c’est donc un état présocial, prélégal. Dans cet état, les hommes sont pleinement libres et où nul n’est par nature soumis à l’autorité. Les hommes sont égaux et ce principe d’égalité naturelle des hommes est reconnu par les penseurs de l’école du droit naturel. Le deuxième, c’est l’état dans lequel les hommes vivent en fonction des lois. C’est un état où les sujets se soumettent à une autorité politique.
De l’homme primitif à l’état social
Parler de l’état de nature, revient à situer l’homme vivant à l’époque préhistorique, c’est ainsi que cette étude s’interroge sur les dimensions fondamentales dont dispose l’homme primitif.
L’homme naturel est seulement un être de sensation. C’est pourquoi le Genevois affirme :
Plus on médite sur ce sujet, plus la distance des pures sensations aux plus simples connaissances s’agrandit à nos regards, et il est impossible de concevoir comment un homme aurait pu, par ses seules forces, franchir un si grand intervalle.
Autrement dit, l’homme à l’état de nature vit selon ses besoins fournis par l’environnement de ses activités vitales. Car il ne pense pas et se trouve donc dépourvu d’imagination nécessaire à l’élaboration d’un désir éventuel. Les désirs de l’homme vivant à l’état de nature sont liés aux besoins de son corps. C’est pour cela que Rousseau affirme :
Ses désirs ne dépassent pas ses besoins physiques, les seuls biens qu’il connaisse dans l’univers sont la nourriture, une femelle et le repas.
Etre de pures et seules sensations, l’homme primitif ne peut pas anticiper l’avenir, ni se représenter les choses au -delà du présent. Autrement dit, la nature ne lui fournit parfaitement que ce qui est de lui. Dans l’Essai sur l’origine de la langue, l’auteur suggère que l’homme naturel n’est même pas capable de distinguer les différences entre ses semblables. Car cette distinction requiert des facultés d’abstraction qui lui manquent. L’homme naturel ignore ce qu’il y a de commun entre lui et l’autre être humain. Pour l’homme primitif, l’humanité s’arrête au petit cercle d’individus avec lesquels il est en rapport immédiat. Ici, le Genevois soutient l’idée que :
Ils avaient l’idée d’un père, d’un fils, d’un frère, et non pas d’un homme. Leur cabane contenait tous leurs semblables, hors eux et leurs familles l’univers ne les étaient rien .
Dans l’Essai, la pitié ne pouvait s’exercer activement que dans le petit milieu de la horde. Mais cette ignorance ne résultait pas de la guerre, car les hommes naturels ne se rencontreraient virtuellement pas les unes les autres. A l’état de nature les lui hommes se rencontraient rarement. Par là, Rousseaux prend le contrepied de la théorie hobbesienne de l’état de nature. En parlant que « l’homme est un loup pour l’homme » L’homme naturel de Rousseau n’est pas un « loup » pour ses semblables. Mais il n’est pas non plus porté à s’unir à eux par des liens durables, ni ne forme avec eux une société. Il n’en ressent pas le désir : ses désirs sont satisfaits parce que la nature les lui fournit. A ce propos, l’auteur affirme :
Je le vois se rassasiant sous un chêne, se désaltérant au premier ruisseau, trouvant son lit au pied du même arbre qui lui a fourni son repas, et voilà ses besoins satisfaits .
Son intelligence se réduit aux seules sensations immédiates : il ne peut même pas se faire une idée de ce que serait une société. L’homme naturel vit selon ses instincts. Ces instincts ne l’induisent aucunement à la vie sociale. Pour vivre en société, il faut à l’homme naturel, l’éclairage de la raison. La raison, pour le Genevois, est l’instrument qui adapte l’homme à un milieu social. Etant un instrument d’adaptation de l’homme à son milieu social, la raison est présente en puissance dans la vie naturelle. Le rôle de l’imagination est de permettre la représentation de l’individu par son alter-égo. C’’est-à-dire qu’il est à la fois son moi et un autre moi. Par conséquent, le langage et la société représentent tout ce qui constitue la culture, apparaissent, ensemble, sans pour autant être véritablement actifs à l’état de nature. Mais l’homme naturel, cet être perfectible, fait prévaloir virtuellement toutes ses facultés.
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