L’esthétique “ exotique ” de la mode féminine française de 1967 à 1970
Un enjeu stratégique dans les bornes de la considération de l’ailleurs
le principe esthétique exotique de la tendance Hippie acteur de la politique de « conquête » géographique étatsuniennes ? a) L’Afghanistan et le principe esthétique exotique du mouvement hippie : séduction et conquête territoriale On l’a vu, l’appréciation d’un ailleurs comme exotique résulte du point de vue et de la considération à appréhender un espace géographique sous une forme de domination économique, politique et/ou culturelle. La représentation et la transposition culturelle dans la mode est à l’origine des acteurs participant comme vecteurs s’intégrant dans des facteurs historiques et contemporains. Dans ce sens même si Michel Espagne considère que « la comparaison comme principe additionnel d’ouverture à des espaces différents perdait de son intérêt » 178. Il est nécessaire dans notre argumentaire puisque même si les transferts culturels proviennent d’un passé évolutif qui s’est nourrit d’échanges. Comparer les importations, similitudes,… vient à comprendre les lieux géographiques d’inspirations. Pour comprendre les enjeux des frontières géographiques de ce qu’est cet « ailleurs » dans l’inspiration de la conception de mode états-uniennes, il convient d’étudier la situation géopolitique américaine. Les Etats Unis sont inscrit sur les territoires tels que l’Iran mais aussi l’Afghanistan par leurs positions géostratégiques dans le contexte de la bipolarisation du monde. En effet, pour le souligner nous pouvons utiliser l’exemple de l’Afghanistan. Les USA voient en l’Afghanistan la porte d’entrée dans le bloc d’influence soviétique (le gouvernement de Daoud Khan est oscillant entre socialisme et libéralisme)179 . Quant à l’URSS, elle voit en l’Afghanistan un soutien stratégique pour la continuité de sa domination politique en Asie. Les deux blocs financent les infrastructures telles que des ponts ou usines textiles, aidant ainsi à la modernisation ciblée du pays. En effet, les deux pôles en concurrence cherchent une visibilité de leurs efforts financiers en subventionnant de grands projets dans la capitale180 . Un des programme majeurs des états unis que nous pouvons étudier est celui de la Pan Am Airlines181 . Dans les années 1960, les associations afghanes bénéficient du soutien de la compagnie aérienne américaine Pan Am Airlines ( au sujet de laquelle on peut se questionner sur les financements et notamment celui de la CIA) ayant pour vocation de fournir un programme d’assistance aux organisations associatives dans l’objectif de moderniser des pays en développement182 . C’est ce que soulignent les archives de Miami183 . L’école de couture de Kaboul fondée par Jeanne Beecher en a bénéficié dans les années 1960. Jeanne Beecher vivant à Kaboul, et notant le nouvel intérêt des afghanes pour les vêtements occidentaux a créé une école de couture pour les classes moyennes et hautes de la société. L’école ouvre en 1959 pour 32 étudiantes et s’appuie du soutien du magazine Vogue US pour la diffusion de patron de couture occidentaux184 . Alors, par l’occidentalisation américaine insistant sur la modernisation de la ville de Kaboul, la population urbaine afghane comprenant l’intelligentsia, bénéficie de nouveaux élans de pensée et par conséquent de l’importation de la culture américaine sur le territoire afghan qui aboutit à une domination culturelle. De plus, les engagements économiques états-uniens permettent la modernisation de Kaboul et suscitent un regain d’intérêt des touristes occidentaux pour l’Afghanistan185 . C’est l’authenticité, la quête d’une nouvelle expérience sociale ont visité le pays186 . L’Occident, véhiculerait une image « mystifiée » de l’Afghanistan auprès de ses populations afin d’en faire migrer certaines qui pourraient diffuser un mode de pensée occidental séduisant qualifié de « progressiste » occidental pour les intellectuels afghan. Pour ce faire, l’Occident a pu selon mon hypothèse, « surfer » sur la mode hippie. C’est dans ce sens que nous comprenons la production de Zandra Rhodes. La citation dans l’ouvrage Hippie Chic et dans l’exposition de Boston de 2013 élève son statut non pas comme une créatrice de mode anglaise mais comme une créatrice de mode qui correspond à la mode de prêt-à-porter américaine de la fin des années 1960 et du début des années 1970187 . Sa carrière de styliste commence en 1969 lorsqu’elle crée sa marque éponyme. Elle réalise des vêtements grâce à ses designs textiles188. Après sa parution dans le Vogue Américain, Zandra Rhodes accède à la reconnaissance189. Cette nouvelle renommée lui permet de collaborer avec de nombreuses marques telles que Valentino, Topshop ou encore Mac Cosmetics et Fortnum & Mason190 . Son style créatif se caractérise à première vue par une profusion de couleurs ( rouge, orange, violet, bleu, vert, et surtout rose ), des motifs géométriques se répliquant à l’infini (figure XXIV) et s’inspirant de la nature. Le motif selon Zandra Rhodes doit accompagner la perception du vêtement au même titre que la forme: « Je pense à l’imprimé faisant une déclaration pour le vêtement, plutôt qu’au vêtement qui se coupe simplement dans pression » 191. Le design textile nommé Stalactite ( figure XXV) que Zandra Rhodes propose en 1964, est un des tout premiers designs qu’elle conçoit. Zandra Rhodes a parcouru le monde (Australie, Afrique Mexique, Egypte, Inde et Chine…) à la recherche d’inspirations, ses designs textiles sont le résultat de ses croquis qui ont capturés ses idées et son environnement afin de présenter son expérimentation sensorielle du voyage192 . Ici, Stalactite est la capture de l’expérimentation sensorielle d’un environnement extérieur. De part son titre mais aussi par la géométrie de la représentation du stalactite : une vision simplifiée non réaliste mais suggérée. Ce qui caractérise alors les imprimés et le design textile de Zandra Rhodes se présente par la géométrie, sa répétition et la capture d’une expérience sensitive et mystique de l’ailleurs. Ici, l’exotisme de Zandra Rhodes présenté au travers de Stalactite est une passerelle entre un exotisme psychique et géographique. En effet on retrouve des inspirations des estampes japonaises par la balance des contrastes du noir et du blanc. La géométrie plastique des formes conduit ces dernières à une sorte d’autonomie, laissant libre cours à leur déformation et propose une forme de voyage psychique et mystique. Au travers de ce motif, ici, mais en général chez Zandra Rhodes, il s’agit d’expérimenter ce qui est dans son imagination. Ses designs sont le résultat de sa perception et de la transcription de l’environnement et de l’ailleurs conjointe à son imagination. On voit alors, la que Zandra Rhodes se positionne comme un vecteur de transformation culturelle et psychique quant à la transposition de la perception de l’ailleurs. On retrouve bel et bien non pas une inspiration du mouvement social hippie dans l’exotisme, mais l’exotisme de l’imaginaire de Zandra Rhodes qui se construit au gré de ses voyages. Cette idée de la symbiose entre perception psychique du voyage géographique se retrouve également dans ce design textile ( figureXXVII) qui mélange des motifs d’un voyage intérieur et des motifs géométriques ouzbek.
Les bornes de l’influence esthétique du principe de l’exotique en Iran et en Irak : un enjeu d’appropriation
Mais dans ce cas il est intéressant de comprendre pourquoi les Etats Unis considèrent le Liban et l’Irak comme des zones géographiques dites exotiques puisqu’ils ne sont pas présents sur ces zones ? La proximité géographique de l’Union soviétique par rapport au Moyen Orient et à l’Asie centrale est comparable à celle des Etats-Unis par rapport à Cuba et à l’Amérique du Sud197. Dans ce sens, les USA doivent se rapprocher de l’Egypte, ou du moins trouver une porte d’entrée dans ce bloc pour tenter de contrer la dominance de l’URSS. Lorsqu’en 1956 Nasser nationalise le canal de Suez, les puissances Franco-britanniques voient là une éviction de leurs rôles historiques ( soutiens économiques, gérance du canal..) et se lient à Israël pour mener une bataille. C’est un échec qui engendre une guerre entre les puissances Franco britannique, Israël et l’Egypte198 . L’Egypte devient le centre du monde arabe et le lieu du nationalisme révolutionnaire. Nasser conduit le panarabisme, mouvement visant à unifier politiquement le monde arabe, à soutenir la libération de la Palestine contre Israël et à proclamer l’indépendance et la liberté du monde arabe face aux puissances étrangères. Le mouvement Panarabisme se compose donc des pays arabes du Moyen Orient et de l’Algérie, du Maroc de la Syrie,… 199 . Le pacte de Bagdad qui unissait en 1955 militairement l’Iraq, l’Iran, le Pakistan et la Turquie avec les puissances occidentales dont les États Unis ( qui les rejoignent en 1958) témoigne de la volonté américaine de renforcer son influence dans la région. Mais pour Nasser, se lier aux puissances américaines pour les membres du mouvement panarabe n’entre pas dans la conception de l’indépendance arabe. L’Egypte élabore alors une campagne hostile au pacte et soumet notamment l’Irak à des pressions diplomatiques. Ce qui a pour conséquence le refus du pacte par l’Irak et le Liban, et pour le Liban pousser au sentiment nationaliste arabe. Après avoir refusé l’influence des USA, les pays arabes se tournent vers l’URSS pour obtenir un soutien militaire200. Dans ce sens, des 1962 le gouvernement de Kennedy soutien économiquement le gouvernement d’Israël ( base avancé des USA) qui est hostile au mouvement panarabe. En 1966, les tensions s’intensifient entre la Syrie et Israël. A la suite notamment du coup d’Etat de février 1966 qui porte au pouvoir en Syrie des officiers hostiles à Israël. Plusieurs opérations sont menées par les Palestiniens, soutenues par la Syrie, suivies de représailles d’Israël. L’Egypte soutien la Syrie et Nasser mobilise des alliances militaires avec la Jordanie et l’Irak. Suite à la victoire d’Israël, les USA restent proche de l’état hébreu à la différence de L’URSS qui rompt ses relations diplomatiques avec Israël. Dans ce cadre, Nasser se tourne vers l’URSS qui lui envoie des conseillers et une présence militaire 201 . L’aide financière américaine pour Israël prend alors son essor, entre 1966 et 1970, 102 millions de dollars sont versés par an202. On voit la une nette prise de position entre les USA, l’Egypte, l’Iraket le Liban. Les intérêts des Usa sont dans un premier temps d’avoir une porte d’entrée dans le bloc Est, mais il convient de souligner que l’intérêt pour cette zone géographique s’accommode d’un autre enjeu dans le cadre de la guerre froide. L’Irak, l’Iran et le Liban sont des pays producteurs du pétrole. Et le fait d’avoir la « main mise » sur la production et l’exportation pétrolière, pourrait également relever d’un questionnement sur l’embrasement des tensions dans cette région et l’intérêt porté. En effet, les USA et l’URSS sont des grands consommateurs de pétrole. En 1953 les USA participent au coup d’état pour l’indépendance de l’Iran et sont partenaire du pays et de l’industrie pétrolière à 40%203. On voit alors une forme de « colonisation pétrolière » de la part des USA. C’est dans ce sens que nous comprenons l’intérêt de considérer ces pays comme exotiques et par conséquent sous dominance. En effet, comme l’a souligné Jean François Stazak, l’exotisme passe par « la mise à disposition de quelque chose ou quelqu’un, privé de son sens, réduit à son altérité et offert comme tel au désir d’appropriation » 204 . Dans ce cadre, on l’a vu, considérer un ailleurs comme exotique résulte du point de vue et de la considération à concevoir un espace géographique sous une visée ou une forme de domination coloniale et économique. Dans ce sens concevoir l’Iran, l’Irak et les pays du Moyen Orient pour l’Amérique Théa Porter, on l’a vue, mais aussi Ossie Clark s’inscrivent alors dans cette lignée. En effet, Ossie Clark utilise ces pays comme influence dans ses créations. L’ouvrage Hippie Chic et l’exposition de Boston de 2013, élève ce dernier lui aussi, non pas comme une créateur de mode anglais mais comme un créateur de mode qui correspond à la mode de prêtà-porter américaine de la fin des années 1960 et du début des années 1970205.Ossie Clark juste après avoir été diplômé du Royal College of Art en 1965 est apparu dans le Vogue britannique. Au même moment, il commence à concevoir une collection pour le magasin Quorum d’Alice Pollock à Chelsea. Il est connu pour ses robes en mousseline associées aux imprimés de Célia Birtwell et ses collaborations avec Biba206.Ossie Clark connait de la même façon que Zandra Rhodes une reconnaissance internationale après son passage dans le Vogue US en février 1968207 . Pour comprendre comment Ossie Clark comprend et traduit les influences d’Iraq, d’Iran, et du Moyen Orient en général nous allons nous attacher à étudier deux productions. La première une robe d’Ossie Clark et imprimé de Célia Birtwell de 1969 photographié pour le Vogue britannique en juillet 1969 ( figure XXIX). La seconde une robe de 1968 porté par Amanda Lear ( figure XXX). La robe d’Ossie Clark aux imprimés de Célia Birtwell en 1969 photographiée pour le Vogue britannique de juillet 1969 par David Montgomery et avec pour modèle Moyra Swann (figure XXIX). On retrouve dans un premier temps la volupté et fluidité de la silhouette accordée par le tissus en feutre ou mousseline, une coupe ajustée au niveau du buste et de la poitrine s’évasant après cette dernière, les manches resserrées aux poignets et un col marin à larges bordures, sans dégradé de tissus. Ce col et l’adjonction d’un tissu différents en contraste de la robe, n’est sans doute pas sans rappeler les col de kotchi afghan, qui descendent le long du cou. Dans le même sens l’ajustement en dessous de la poitrine renforcé par la fin de la décoration du col tout comme le rétrécissement des manches au niveau des poignets souligne cette ressemblance (figure XXII).
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