LE STEREOTYPE DE LA PRINCESSE
Stéréotypes dans la littérature jeunesse
L’intérêt du stéréotype chez le lecteur…
La littérature jeunesse permet aux élèves de découvrir des univers singuliers d’auteurs et plus généralement des univers littéraires où les thèmes, les personnages et les situations se répondent et permettent à l’enfant de développer imaginaire et curiosité et d’entrer dans le monde de l’écrit. L’élève doit apprendre progressivement à faire des liens entre les œuvres en repérant des similitudes et des différences et ainsi se former une culture littéraire. Afin de représenter aisément une réalité complexe, la littérature, et notamment la littérature jeunesse, est grande utilisatrice et pourvoyeuse de modèles et d’archétypes produisant inévitablement des stéréotypes et images toutes faites. Le stéréotype est un « schème collectif figé constitué d’un thème et des attributs obligés » . Ruth Amossy explique que le lecteur se sert du stéréotype pour traiter l’information. Ainsi, il est amené à « rassembler des notations dispersées, inférer des traits de caractère à partir de situations concrètes et reconstruire l’ensemble en le rapportant à un modèle existant ». Jean-Louis Dufays va même plus loin, pour lui « apprendre à lire c’est d’abord apprendre à maitriser des stéréotypes ».Ces stéréotypes entrent donc dans la formation des jeunes lecteurs ; les enseignants sont amenés à penser une continuité pédagogique en offrant des cadres de référence permettant la construction d’une culture littéraire ; des personnages qui se ressemblent, des scénarios traitant du même thème, des œuvres appartenant au même genre littéraire… Ils permettent de favoriser la compréhension du jeune lecteur mais sont aussi pour l’enseignant un moyen d’amener ses élèves à réfléchir sur eux-mêmes et autrui en favorisant les discussions, débats, comparaisons et ainsi les amener à développer leur esprit critique. Catherine Tauveron compare les stéréotypes a des « références complices ». Ce que Christian Poslaniec explicite : « pour accéder à cette complicité culturelle, les élèves doivent donc bien connaître les stéréotypes multiples, et il ne faut donc pas négliger de les leur faire connaître. On peut même dire là que c’est une fonction essentielle de l’école primaire, dans la mesure où la complicité culturelle qui naît alors de la connaissance commune des mêmes stéréotypes est la principale caractéristique d’appartenance à une même culture. »Cette idée de culture commune mise en avant par les programmes de l’école, est renforcée par le nouveau socle commun de connaissances, de compétences, et de culture entré en vigueur à la rentrée 2016. Présenté au BO du 17 au 23 avril 2015, le socle commun présente la scolarité obligatoire comme un moyen de donner « aux élèves une culture commune, fondée sur les connaissances et compétences indispensables, qui leur permettra de s’épanouir personnellement, de développer leur sociabilité, de réussir la suite de leur parcours de formation, de s’insérer dans la société où ils vivront et de participer, comme citoyens, à son évolution ». Le stéréotype est donc à construire.
. …et ses limites
Toutefois, Max Butlen rappelle que les stéréotypes « en tant que représentations toutes faites et figées, en tant que schèmes préexistants, à l’aide desquels chacun filtre la réalité ambiante, […] peuvent présenter un caractère nocif, déplorable et déploré quand ils nuisent aux individus pour les disqualifier sans aucune base objective. » C’est d’ailleurs ce qui peut être reprocher à la littérature jeunesse. Les auteurs s’adressant à de jeunes enfants ont tendance à avoir recours aux clichés et parfois même à tendre vers des poncifs pour faciliter la compréhension et l’appropriation des textes par le lectorat quitte à perdre en originalité et subtilité. Les recherches menées par Anne Dafflon Novelle 7 , ou encore Carole Brugeilles, Isabelle Cromer, Sylvie Cromer8 nous montre que les albums accordent aux personnages féminins une place minoritaire et proposent une vision très stéréotypée du masculin et du féminin. La première recherche9 menée par Anne Dafflon Novelle présente un « inventaire des héros et héroïnes proposés aux enfants » issu des albums signalés dans la rubrique « littérature enfantine fiction » de Livres hebdo en 1997 en tenant compte de trois aspects ; le sexe des personnages, leur catégorie d’âge (enfant ou adulte) et leur nature (humaine ou animale). La seconde recherche 10 effectue une analyse détaillée d’histoires publiées dans la presse enfantine en 1999 et 2000 notamment dans les magazines Popi et Pomme d’api (Bayard), Bambie et Winnie (Disney Hachette), Abricot (Fleurus), Picoti, Taupe et Toboggan (Milan). Les deux recherches ciblant les images dans des histoires destinées aux enfants se veulent complémentaires : la première se focalise sur les différences quantitatives qui existent entre le héros et les héroïnes, tandis que la deuxième approfondit l’aspect multidimensionnel des représentations intersexes véhiculées par les auteurs et les illustrateurs des récits dans la presse enfantine choisie. Anne Dafflon a ainsi mis en exergue l’ampleur des asymétries quantitatives et qualitatives entre les sexes tels qu’ils sont représentés dans les deux corpus analysés. Elle a pu constater que les personnages féminins étaient représentés deux fois moins souvent que les personnages masculins. Dans les histoires anciennes, les personnages se distinguaient clairement par les espaces qu’ils occupaient : les hommes étaient représentés dans l’espace public et les femmes dans l’espace privé. Anne Dafflon montre un changement dans les histoires d’aujourd’hui ; les hommes (souvent des pères) sont toujours représentés dans une grande variété de rôles professionnels mais ils ont aussi conquis une place dans l’espace privé en partageant des activités avec leurs enfants. Les femmes, par contre, ne sont pas davantage représentées dans la sphère publique et professionnelle mais elles continuent à jouer le même rôle de femme et mère au foyer et exercent souvent les activités les moins gratifiantes. 8 Carole Brugeilles, Isabelle Cromer, Sylvie Cromer, Les représentations du masculin et du féminin dans les albums illustrés ou Comment la littérature enfantine contribue à élaborer le genre, in Population, 57e année, n°2, 2002 p. 261-292. 9 La Littérature enfantine francophone publiée en 1997. Inventaire des héros et héroïnes proposés aux enfants, in Revue suisse des sciences de l’éducation, 2002 10 Les Représentations multidimensionnelles du masculin et du féminin véhiculées par la presse enfantine francophone », lancé fin 1995 et soutenu par la Commission européenne. Il s’agissait d’étudier la production annuelle des nouveautés en matière d’albums destinés aux enfants de 0 à 9 ans sur l’année 1994. L’hypothèse de départ de ces chercheures était que les « albums accordent aux personnages féminins une place minoritaire et leur attribuent des traits physiques, de caractère et de personnalité, des rôles, un statut social… spécifiques, peu variés, voire caricaturaux, en décalage avec la réalité. » Elles ont ainsi analysé 537 albums illustrés, recenser tous les personnages et relever leurs caractéristiques ; sexe, âge, rôles, activités, interactions, attributs physiques, fonctions sociales… On constate dans le tableau ci-après que la part des personnages féminins dans les albums qu’elles ont pu analyser est toujours inférieure à celle des personnages masculins. Répartition des albums selon le sexe et la génération des personnages principaux (en %)12 Personnages principaux Masculin Féminin Mixte Total Un enfant Programme de recherche lancé par l’association Du côté des filles avec le soutien de la Commission Européenne. À l’issue de leurs analyses minutieuses, la conclusion confirmait leurs intuitions : « Basés sur la suprématie du masculin et le poids de la génération adulte, induisant hiérarchisation des sexes et différenciations subtiles de rôles, les albums illustrés véhiculent des rapports de sexe inégalitaires. La littérature de jeunesse n’est pas anodine, comme le laissent croire le chatoiement des graphismes recherchés et la variété du peuple des personnages. Elle contribue à la reproduction à l’intériorisation des normes de genre. Certes, la mixité des équipes de création permet sinon la promotion, du moins une meilleure visibilité des filles et des femmes. Mais pour les créateurs, l’universel reste masculin. Quant aux créatrices, doit-on penser qu’elles s’autocensurent, craignant de créer une littérature enfantine féminine, écrite par des femmes, relatant des histoires de filles ou de femmes et donc lues par des filles ? » Ainsi, l’on comprend que l’une des missions principales du professeur est de développer l’esprit critique de ses élèves afin de les aider à devenir des lecteurs responsables et conscients des messages qu’ils reçoivent.
Les contes et le personnage de la princesse
Contes et socialisation
Bien qu’aujourd’hui le conte soit souvent associé à l’enfance, c’était au départ une pratique sociale. Ces histoires se transmettaient à l’oral lors de veillées et ce n’est qu’au XVIIème siècle en France qu’elles ont commencé à être assimilées à la littérature jeunesse avec le recueil de Perrault Les Contes de ma mère l’Oye. Ce dernier ajoute une morale à la fin de chaque conte illustrant l’histoire et souhaite ainsi en faire un « outil à l’enseignement des jeunes enfants ». Les œuvres de Perrault, des frères Grimm ou encore d’Anderson ont traversé les époques et de par l’intemporalité et l’universalité de leurs histoires font partie du patrimoine littéraire. En traversant ainsi les siècles, les contes se sont chargés de significations apparentes et cachées et transmettent des messages qui touchent aussi bien les enfants que les adultes.Bruno Bettelheim dans Psychanalyse des contes de fées explique que ces histoires qui abordent des problèmes humains universels offrent des réponses aux questionnements internes de l’enfant et lui servent de guide. Selon lui, les contes de fées prennent très au sérieux les angoisses et les dilemmes existentiels auxquels sont confrontés les plus jeunes. Il affirme même « Tel est exactement le message que les contes de fées, de mille manières différentes, délivrent à l’enfant : que la lutte contre les graves difficultés de la vie est inévitable et fait partie intégrante de l’existence humaine, mais que si, au lieu de se dérober, on affronte fermement les épreuves inattendues et souvent injustes, on vient à bout de tous les obstacles et on finit par remporter la victoire. » 13 En ce sens, les contes véhiculent certaines représentations et transmettent des normes et des valeurs comme nous l’avons évoqué de manière plus générale en première partie. Les contes sont donc des acteurs de la socialisation de l’enfant. Le concept de socialisation désigne « le processus par lequel les individus apprennent les modes d’agir et de penser de leur environnement, les intériorisant en les intégrant à leur personnalité et deviennent membres de groupes où ils acquièrent un statut spécifique. La socialisation est donc à la fois un apprentissage, conditionnement et inculcation, mais aussi adaptation culturelle […] » Catherine Velay-Valentin15 s’accorde sur cette idée que le conte participe à ce processus de socialisation et affirme que « dans la mesure où son héros, anonyme le plus souvent, pourrait être tout un chacun ; c’est un être jeune, et les épreuves qu’il subit doivent lui permettre de devenir adulte, c’est à dire de se marier et hériter d’un royaume, donc gouverner au lieu d’être gouverné ; pour ce faire, il doit se libérer des images parentales […] » Cette réflexion de Catherine Velay-Valentin met en exergue l’importance de l’identification au personnage par le lecteur. Ainsi, le conte de fées annonce qu’il nous raconte l’histoire de n’importe qui, on ne prend même pas la peine de donner un nom aux personnages mais on les nomme par un aspect général, descriptif. Prenons pour exemple Cendrillon, « Comme elle était toujours souillée et salie, ses sœurs l’appelaient Cendrillon, ou encore Le Petit Chaperon Rouge « le petit chaperon rouge lui seyait si bien que partout on l’appelait le Petit Chaperon Rouge ». Ils sont aussi reconnaissables par leur statut social, ils sont rois, reines, princes, princesses ou alors issus de familles très pauvres. L’univers est très manichéen, il n’y a pas d’ambivalence chez les personnages ; ils sont soit bons soit mauvais. Ce contraste et cette simplicité des personnages permet à l’enfant de comprendre facilement leurs différences et de s’identifier dans l’histoire. Toutefois, lorsque l’on s’intéresse à la répartition des activités et des caractères entre les personnages féminins et masculins dans les contes, on peut s’interroger sur les valeurs que l’on transmet aux enfants et sur leur impact. En effet, les contes ont été retranscrits à une époque où la domination masculine était commune et où les rapports sociaux étaient bien différents de ce que nous connaissons aujourd’hui. Or, malgré le fait que le conte véhicule des représentations du féminin et du masculin et des rapports entre les sexes qui ne sont plus conformes à notre réalité, ils continuent à être racontés aux enfants. Comme le souligne Françoise Rault, « bien que [les contes pour enfants] reposent sur des stéréotypes qui pourraient, dans un autre contexte, être jugés sexistes et dépassés, ils sont présentés sous un jour positif aux enfants qui sont invités à s’identifier aux personnages mis en scène. » Et si l’on comprend bien le succès de ces histoires qui font partie de notre culture commune et accompagnent et guident les enfants comme l’explique Bruno Bettelheim dans son ouvrage, on peut cependant émettre des réserves quant aux normes et valeurs que nous inculquons souvent indirectement aux plus jeunes et notamment aux petites filles.
La princesse dans les contes traditionnels
En effet, le personnage de la princesse que l’on retrouve dans la plupart des contes traditionnels (Cendrillon, Blanche-Neige, La Belle au Bois Dormant, pour ne citer qu’elles) est le personnage auquel les petites filles vont le plus facilement s’identifier. Bruno Bettelheim l’affirme : « lorsqu’il entend pour la première fois un conte de fées, l’enfant, par exemple, ne peut se projeter dans le rôle d’un personnage d’un autre sexe que le sien. La petite fille ne pourra s’identifier à Jack (dans Jack et la perche à haricots) et le petit garçon à Raiponce que lorsqu’ils auront pris quelque distance et eu le temps de se livrer à des élaborations personnelles. » Le conte de fées traditionnel donne une certaine image du féminin et tend à présenter la princesse comme l’incarnation d’un idéal. Quelles sont donc les caractéristiques qui forment le stéréotype de ce personnage ? Une des qualités principales que se doit de posséder une princesse est son physique. La beauté d’une princesse apparaît même comme incomparable à celle de tout autre femme. Ainsi, le premier don que les Fées offrent à La Belle au bois dormant est « qu’elle serait la plus belle personne du monde »18, on dit de Cendrillon que même « avec ses méchants habits, ne laissait pas d’être cent fois plus belle que ses sœurs, quoique vêtues très magnifiquement » et ses sœurs la décrivent après le bal comme « la plus belle Princesse, la plus belle qu’on puisse jamais voir », lorsque la belle-mère de Blanche-Neige interroge son miroir sur sa beauté, celui-ci lui répond en ces termes « Dame la reine, ici vous êtes la plus belle, Mais Blanche-Neige sur les monts Là-bas, chez les sept nains, Est plus belle que vous, et mille fois au moins ! » On pourrait résumer les attraits que doit posséder une jeune princesse par ces quelques phrases de Perrault à propos de Peau d’âne : « quels que soient les habits, la beauté du visage, Son beau tour, sa vive blancheur, Ses traits fins, sa jeune fraîcheur, Le touchent cent fois davantage » 22 De plus, ces qualités physiques sont associées à des qualités de cœur. En effet, la princesse se doit de posséder la bonté et la douceur. Cendrillon est « d’une douceur et d’une bonté sans exemple » contrastant avec le caractère hautain et fier de ses sœurs. La Belle au bois dormant est si « modeste, bonne et pleine de bon sens que tous lui témoignaient beaucoup d’amour ». Blanche-Neige est tellement bonne qu’elle accepte de s’occuper de la maison des nains et qu’elle se laisse duper à trois reprises par sa belle-mère. La sagesse et la douceur de ces personnages leur permettent de faire le bien autour d’elles.
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