L’essence de l’économie sociale et solidaire
C’est par l’étude de l’essence d’un être ou d’une chose que l’on peut véritablement découvrir « [sa] nature, indépendamment de son existence ». Il convient d’appliquer ce raisonnement à l’ESS et de voir si, par essence, ce modèle économique aspire à répondre aux défis contemporains et futurs. La nature de l’ESS provient de son opposition à un modèle économique capitaliste qui se transforme et devient générateur d’inégalités, ce qui la conduit à se présenter comme un modèle réparateur, qui trouve une forme d’avènement face à la mondialisation.
Transformation de l’économie et émergence du capitalisme générateur d’inégalités
Si l’ESS est éminemment d’actualité, elle prend pourtant racine au XIXème siècle, lors de la révolution industrielle qui entraîne le basculement d’une société agraire vers une société industrielle.
La révolution industrielle donne naissance à l’économie capitaliste que nous connaissons aujourd’hui : « un système économique et social fondé sur la propriété privée, des moyens de production et d’échange [qui] se caractérise par la recherche du profit, l’initiative individuelle et la concurrence entre les entreprises». Le capitalisme recherche l’augmentation du profit afin d’accroître la rémunération du capital financier. Ce dernier est en position de force sur le capital humain et est générateur d’inégalités.
Thomas Piketty écrit dans Le Capital au XXIème siècle : « Le fait le plus marquant de l’époque est la misère du prolétariat industriel […], les ouvriers s’entassent dans des taudis. Les journées de travail sont longues, pour des salaires très bas. Une nouvelle misère urbaine se développe, plus visible, plus choquante et, par certains côtés, plus extrême encore que la misère rurale de l’Ancien Régime ». Face à cette misère ouvrière, Emile Zola dans Germinal décrit le désir de transformation du modèle économique et politique qui émerge alors.
Ainsi, les premiers fondements qui mèneront à la création de l’ESS émergent de son opposition à l’économie capitaliste, génératrice d’inégalités. Ces inégalités figurent les limites de l’économie capitalistique et conduisent certains acteurs à développer des formes de solidarité et à penser un nouveau modèle. Si, à cette époque, l’État régule peu l’économie, les pays européens vont tout de même prendre la direction de la social-démocratie. De nouvelles idéologies politiques voient le jour, telles que le socialisme ou des mouvements réformistes, selon lesquelles une nouvelle vision économique permettrait de conjuguer « le capitalisme et la morale sur le marché ».
Apparition de l’économie sociale, modèle économique réparateur d’inégalités
L’augmentation des inégalités et de la paupérisation rend nécessaire le recours à de nouvelles formes de cohésion sociale qui font émerger une nouvelle configuration de l’économie : l’économie sociale.
Si des mouvements fraternels préexistent cependant à cette forme d’économie, à l’image de la philanthropie, née de l’Eglise et de la charité chrétienne et particulièrement répandue dans le monde anglo-saxon, l’économie sociale apporte une nouvelle approche qui incarne les valeurs de la République et la devise nationale « Liberté, Egalité, Fraternité » à travers une nouvelle forme d’organisation et de production. Elle vise l’innovation sociale afin de favoriser l’émancipation, d’offrir une meilleure qualité de vie et de préserver les moyens de subsistance en répondant aux besoins mal ou non pris en compte par les deux autres piliers économiques : l’économie classique et l’État. Ainsi, l’objectif de l’économie sociale n’est pas la recherche du profit, par opposition à l’économie capitalistique, mais « l’autosatisfaction des besoins économiques et sociaux des membres ».
Il est important de noter que l’économie sociale ne repose pas sur une vision universelle mais davantage sur une approche d’adhésion au bien commun. Cette approche conduit naturellement à des mutualisations de moyens dans les grandes familles de l’économie sociale (mutuelles, associations, coopératives et fondations), ce qui permet d’offrir aux bénéficiaires des biens et des services de meilleure qualité et à moindre coût. Les membres se regroupent, la plupart du temps, selon leur activité socio-professionnelle. Par exemple, les mutuelles d’assurance protègent leurs membres en leur assurant une garantie face à la maladie, à l’invalidité ou au chômage. L’économie sociale est donc une forme de réparation : elle permet d’estomper les inégalités et les violences exercées par le système capitalistique en remettant l’humain au cœur de l’économie.
Tout au long du XIXème siècle, des figures importantes se sont emparées du sujet. Le concept est popularisé par l’économiste Charles Dunoyer qui publie en 1830 Le Nouveau traité d’économie sociale. Il est ensuite repris par Frédéric Le Play, homme politique et fondateur de la Société d’Economie Sociale en 1856, pour enfin être développé par Charles Gide, théoricien du coopérativisme et titulaire de la chaire d’Économie Sociale en 1898. Il rédige le rapport général sur l’Économie Sociale, publié à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1900, pour laquelle un pavillon dédié à l’économie sociale est installé.
Bien que l’économie sociale se soit développée en France dès le milieu du XIXème siècle, elle est également présente dans d’autres États européens et plus particulièrement au sein de pays de tradition latine. Ces derniers ont développé leurs propres formes d’économie sociale. En Espagne, les sociedades laborales émergent, tandis qu’au Portugal naissent les misericordias.
L’économie sociale répond donc aux défis du XIXème siècle et du début du XXème siècle tout en réparant les effets néfastes du capitalisme. D’ailleurs pour Thomas Piketty, c’est le choix de la social-démocratie dans les pays d’Europe de l’Ouest qui aurait permis d’éviter une révolution à l’instar de la révolution bolchévique en Russie.
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