LES VERBES MODAUX ET LEUR CONSTRUCTION DE L’INFINITIF AU VERBE CONJUGUE

LES VERBES MODAUX ET LEUR CONSTRUCTION DE L’INFINITIF AU VERBE CONJUGUE

En persan contemporain, les verbes modaux bāyistan, « falloir », šāyad (seule forme conservée de šāyistan), « il se peut », « peut-être », tavānistan, « pouvoir », et x v āstan, « vouloir », se construisent avec le subjonctif. Le nom même de ce mode est eltezāmi. Or ce terme vient de eltezām, « obligation », « engagement ». Les verbes modaux seraient-ils ainsi la clef qui nous permettrait de dater la renaissance du subjonctif ? Y répondre suppose d’abord de connaître le moment où leur structure évolue de la rection d’un infinitif vers celle d’un verbe conjugué, et les facteurs à l’origine de ce changement. Les deux premiers, bāyistan et šāyistan, sont impersonnels et les deux autres, tavānistan et x v āstan, varient en personne. Mais nous les étudierons ensemble car ils suivent le même mouvement, causé par les mêmes facteurs, même si leur évolution peut se produire à des époques légèrement différentes en fonction de leurs propriétés morphologiques1237 . 16.1. Les verbes modaux en moyen perse En moyen perse, les verbes modaux se construisent avec un verbe à l’infinitif ou bien avec un verbe conjugué au subjonctif Or ni Brunner, ni Skjærvø ne proposent de répartition entre les deux constructions. Dans son dictionnaire, MacKenzie, lui, donne comme unique construction à abāyēd, « il faut », et tuwān, « il est possible de », la rection d’un infinitif. D’autre part, l’infinitif régi peut être antéposé ou postposé au verbe modal. Brunner fait de l’antéposition la structure habituelle des verbes impersonnels : « [‘agent’] [object of infinitive] complementary infinitive impersonal verb, inflected » . La situation étant loin d’être simple, nous avons exploré un texte dans son intégralité, le Kārnāmag ī Ardaxšēr ī Pābagān, afin d’établir la répartition des trois structures. On y constate que les infinitifs sont autant antéposés que postposés aux verbes abāyistan, « falloir », šāyistan, « être capable de », et tuwān, « il est possible de » .

Auxiliation

Dans certaines langues, les verbes modaux sont des auxiliaires. C’est le cas de l’anglais où ils sont défectifs et présentent une morphologie particulière (absence de la désinence -s à la troisième personne du singulier, absence de to devant l’infinitif, ainsi que d’autres propriétés morphosyntaxiques)1246. Doit-on alors considérer les verbes modaux persans comme auxiliaires ou non ? Pour répondre à cette question, il nous faut d’abord lister les critères d’auxiliation, en sachant qu’aucun d’entre eux n’est, pris isolément, ni nécessaire, ni suffisant. Appuyons-nous sur les trois critères de Creissels : – L’auxiliant est l’élément qui porte les renseignements morphologiques d’une forme verbale (temps, aspect, personne). C’est bien le cas pour tavānistan, « pouvoir », et x v āstan, « vouloir ». En revanche bāyistan, « falloir », et šāyistan, « être possible », sont défectifs et n’indiquent pas la personne, ni l’aspect pour le second. – Le verbe régi doit inclure un lexème susceptible d’être utilisé comme une forme verbale autonome dans d’autres circonstances. C’est bien le cas pour nos quatre verbes. – L’ensemble auxiliant-auxilié fonctionne comme un prédicat unique pour ce qui est de sa valence. En d’autres termes, les arguments sont en rapport avec l’auxilié et non avec l’auxiliant. Sur ce point, bāyistan peut agir différemment : quand la personne sur qui porte l’obligation est exprimée par un objet indirect, c’est en fonction de l’auxiliant qu’il faut l’interpréter et non en rapport avec l’auxilié (1). (1) va ō rā […] hamēša dar miyān-i zanān bāyistē būdan « et il lui fallait toujours être parmi les femmes […] » (TJG 253, 11-12) Selon ces trois critères, tavānistan et x v āstan seraient des auxiliaires, tandis que bāyistan et šāyistan ne le seraient pas. Y a-t-il d’autres critères qui pourraient confirmer cette répartition ? Voici ce que Feuillet dit de l’auxiliation : – L’auxiliant doit être délexicalisé. Ce n’est le cas d’aucun de nos verbes. – L’auxiliant et l’auxilié doivent former un « ensemble indissociable au niveau de l’information à transmettre ». Nos quatre verbes répondent à ce critère. Feuillet ajoute qu’il n’est pas besoin que l’auxiliaire soit seul à présenter les caractéristiques morphologiques d’une forme verbale. Que bāyistan et šāyistan ne remplissent pas cette condition n’est donc pas suffisant pour leur refuser le statut d’auxiliaire. – La notion d’auxiliation est également à lire en fonction des structures grammaticales de la langue étudiée. Si l’on considère la position du verbe dans la proposition en persan, on s’aperçoit qu’aucun des verbes ne répond à ce critère, par exemple (2). En (2a) comme en (2b), les modaux š’hst, « fut possible », et mēxv āstand, « ils voulaient », sont séparés de leur verbe régi d’štn, « tenir », et āvarand, « ils apportent », par des compléments. De plus, en (2b) le verbe régi est introduit par une conjonction, ki. Or il s’agit d’un critère qui exclut tout phénomène d’auxiliation.

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Evolution de la structure : de l’infinitif au verbe conjugué

Les données chiffrées laissent-elle apparaître une quelconque ligne d’évolution ? Les verbes utilisés isolément n’ont pas été comptabilisés, de même que les occurrences où le verbe est employé dans une tournure impersonnelle (dans ces cas, le verbe régi est toujours à l’infinitif, et ce encore dans la langue actuelle1252).

bāyistan, « falloir »

Les formes impersonnelles sont celles qui, par définition, ne présentent pas de sujet et ne varient pas en personne. Néanmoins, comme la structure à infinitif est la plus courante dans les textes anciens, il arrive que la construction de bāyad soit effectivement impersonnelle, mais que le contexte nous renseigne très clairement sur la personne visée par l’obligation1253. Par exemple en (3a), la personne qui doit à présent « examiner » est l’auteur du texte, qui y associe ses lecteurs ; en (3b), il n’est pas question d’une prescription générale incitant à tuer n’importe qui, mais c’est l’interlocuteur du vizir qui doit tuer tel individu. (3) a. aknūn bibāyad nigaristan1254 ki… « maintenant il faut examiner que… » (HM 59, 17) b. vazīr-aš guft bibāyad kušt « son vizir dit : « il faut (le) tuer » » (TS 8, 1-2) Si nous avions écarté, des premiers comme des derniers textes, ces occurrences, nous aurions eu une image erronée de l’évolution de bāyad : même s’il est possible que la personne sur qui porte l’obligation soit exprimée, elle l’est plus rarement dans la structure infinitive qu’elle ne l’est avec un verbe conjugué régi, qui, bien entendu, marque la personne. Or beaucoup de ces occurrences d’infinitif seraient exprimées avec un verbe conjugué en persan contemporain. Ce sont donc bien des impersonnels d’un point de vue morphologique mais ils ne le sont pas sur un plan sémantique parce que l’obligation n’y a pas une portée générale. C’est pourquoi nous n’avons écarté que les occurrences impersonnelles à valeur gnomique, c’est-à-dire celles où l’obligation ne concerne pas un (ou des) individu en particulier.

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