Les variables de site tour d’horizon

 Les variables de site tour d’horizon

Contexte, texte et discours : méthode sémiotique « Tout ceci nous montre une fois de plus l’importance des codes

L’évaluation commune des circonstances et les correspondances communes à instituer entre signaux et significations relèvent toutes deux de la décision sociale : les lois de la projection de signification sur le contexte doivent être partagées. » 407 Ce que Klinkenberg nomme ici contexte est le contexte situationnel. Code et situation de communication vont de pair dans le processus sémiotique. Dans les théories sémiotiques, le contexte a fait l’objet de discussions méthodologies. Le principe d’une analyse sémiotique est de détourer son objet d’analyse (autrement appelé le texte), de tout élément contextuel. Cette méthode a permis de repérer ce qui était commun aux différentes formes de discours, aux récits notamment en débutant par des analyses littéraires – puis étendu à tout type de discours, verbal, non verbal, visuel, cinématographique, etc. En détourant le texte du contexte, il était ainsi possible de repérer les structures internes des objets analysés, et par conséquent d’observer les récurrences et dynamiques qui composent la signification, indépendamment de tout faisceau « contextuel » extérieur. Jacques Fontanille relève408 deux équations pour rendre compte des différents types de raisonnement vis-à-vis de l’objet d’analyse : [Discours = Texte + Contexte] et [Texte = Discours – Contexte] Le point de vue du texte peut poser souci lors de l’analyse, puisque l’observateur doit effectuer des allers et retours entre ce qui est considéré comme le texte et les éléments contextuels. Inclure le contexte d’emblée au sein du discours revient à dire que « tous les éléments qui concourent au procès de signification appartiennent de droit à l’ensemble signifiant » 409. Dans une perspective sémiotique, il convient de délimiter ce qui appartient au champ de pertinence du discours et ce qui en sort. Il nous faut ainsi cerner ce qui constitue le discours sonore via la notion de contexte, ce qui nous renseignera sur des variables propres au cadre de diffusion du son. En ce qui concerne la perception et la signification sonore, l’importance du contexte est régulièrement soulignée, quelle que soit la discipline. S’il s’agit d’un fait général concernant la signification, l’interprétation des sons est d’autant plus tributaire du contexte dans lequel ils sont émis et perçus410. C’est ce qui est relevé en tous cas pour les sons de l’environnement et du quotidien411 . « Nous promenant au bord d’un lac, nous observons, à quelques mètres, un enfant qui joue en lançant des pierres dans l’eau : nous entendons alors le son que fait une pierre qu’un enfant jette dans l’eau, autrement dit le son de l’eau qu’une pierre frappe, jetée par un enfant. Continuant notre promenade, nous percevons, mais maintenant dans le lointain, le son des pierres que l’enfant jette. Ce n’est pourtant plus le même objet sonore. En quoi diffère-t-il du premier ? Et maintenant supposons que l’on puisse entendre ces mêmes sons dans un autre contexte : dans un appartement, par exemple. Les identifierions-nous comme « le son d’une pierre jetée dans l’eau », dans le premier cas proche, dans le second plus lointain ? Probablement pas. Notre interprétation des sons est intimement liée à un faisceau contextuel. » 412 D’après cette citation, on voit que le contexte sonore est relatif (i) à l’espace de diffusion du son, et (ii) à l’action dans laquelle le sujet percevant est inscrit. Dans l’immédiat, nous nous focaliserons sur l’espace de diffusion du son. 

Paysage et discours sonore

 Parmi les contributions heuristiques sur l’analyse du monde sonore, Raymond Murray Schafer a produit un héritage conceptuel conséquent. C’est à travers lui que le phénomène sonore est approché dans un ensemble plus large et plus complexe que celui posé avant lui par Pierre Schaeffer. De l’objet sonore, circonscrit au phénomène sonore en tant que réalité physique et psychophysique, Murray Schafer envisage le fait sonore, qui comprend « les aspects référentiels du son et ses échanges avec son contexte » 413. Le fait, ou l’événement sonore désigne un son qui n’est plus un objet de laboratoire (l’objet sonore), mais une réalité analysable au sein d’une communauté et de son environnement. Il est une composante de la notion de paysage sonore (soundscape), notion centrale de la pensée de Murray Schafer avancée en 1977. Il s’agit d’un « champ d’interactions, même lorsqu’on considère individuellement les faits sonores qui le composent » 414. Le paysage sonore incite donc à l’analyse d’une scène sonore, prise dans sa totalité, composée de fond et de formes émergentes. Ce concept s’applique aussi bien à des scènes sonores naturelles qu’à des créations artificielles, qu’il s’agisse d’œuvres artistiques, expérimentales ou de montages sonores divers (musicaux, audiovisuels). Il est l’objet d’étude de l’écologie sonore, née sous l’impulsion de Murray Schafer et d’initiatives portées par Bernie Krause, qui enregistre, conserve, recense des scènes auditives (des paysages sonores), naturels ou non, et décrit les relations entre les éléments sonores qui le composent. L’écologie sonore questionne la préservation des milieux naturels et documente les évolutions sonores liées aux activités géologiques, biologiques, et bien sûr humaines. Elle s’affaire à développer la connaissance des manifestations sonores, et des interactions entre les sons, entre les sources qui les produisent et entre les sphères qui composent le paysage (biosphère, géosphère, anthroposphère). En ce sens, l’écologie sonore et les différentes composantes qu’elle étudie semblent essentielles pour la conception d’une signalétique sonore du site de stockage. C’est ce que Gérard Chandès avançait en 2016, à l’occasion du premier workshop Andra/CeReS : « L’écologie sonore intègre à côté de ses concepts propres tels que la géophonie, la biophonie, l’anthropophonie, certains acquis des sciences cognitives, des neurosciences, ainsi que de l’éthologie « humaine » (que l’on peut ici confondre avec l’anthropologie) et de l’éthologie animale. Ces données pourront servir à esquisser, de façon très large, les propriétés de la signalétique sonore ainsi que, par conséquent, celles de son instrumentarium. La signalétique s’intégrera dans un ensemble sonore, composé des éléments que nous connaissons, peut-être d’éléments d’origine animale et certainement d’origine humaine. Elle jouera donc sa partition dans le paysage local. » 415 Les concepts de géophonie et de biophonie sont apparus chez Bernie Krause, bioactousticien qui s’est affairé à enregistrer les paysages sonores aux quatre coins du monde. Ils désignent l’étude de deux réalités distinctes. Dominique Habellion, dans sa thèse portant sur l’exposition « sonolithes » de Louis Dandrel416, expose la genèse et les concepts propres à l’écologie sonore. Bien que Murray Schafer n’aborde pas explicitement la géophonie et la biophonie, il fait souvent appel à ces concepts de manière implicite ou en évoquant des « sons géophoniques » ou des « sons biophoniques ». Notons par ailleurs le caractère contemporain de Raymond Murray Schafer et Bernie Krause qui ont créé respectivement le World Soundscape Project (projet d’éducation à l’écoute, à la diversité sonore et à la pollution sonore) et le Wild Sanctuary (projet d’enregistrement et d’archivage de paysages sonores naturels), à la fin des années 1960. La géophonie (traduit de l’Anglais « geophony » 417), terme avancé par Bernie Krause, est l’étude des sons émis par la terre. Elle est décrite comme « le cadre sonore originel dans lequel s’inscrivent les autres sons » 418 . « Les sons produits par les animaux prédominent dans un paysage sonore à différents moments ; une écoute attentive montre cependant que la géophonie – les bruits provenant d’éléments naturels tels que le vent, l’eau, les mouvements du sol et la pluie – exerce une influence non seulement sur l’expression sonore de chaque animal, mais aussi sur le chœur qu’ils forment dans un habitat donné. Les sons géophoniques ont été les premiers émis sur terre et cette composante du paysage sonore est le contexte dans lequel ont évolué les voix animales, voire certains aspects importants de la culture sonore humaine. Tout organisme vivant sensible aux signaux acoustiques a dû s’adapter à la géophonie. » 419 Outre les sons directement émis par les éléments naturels (volcans, océans, avalanches, éclairs, rivières, etc.), Almo Farina relève des effets sonores liés à la nature et à ses forces, qui influencent la propagation du son et son spectre fréquentiel420 : « Différents effets sont prévisibles : la montée en température augmente l’absorption des fréquences graves mais fait ressortir les fréquences aiguës, bien que cet effet varie en fonction de la pression atmosphérique et d’une relative humidité. » 421 « La végétation est un système complexe composé du sol, de l’air, de l’eau, des tiges, des troncs, des branches, des feuillages, des herbes, des arbustes et des arbres. La réverbération, l’absorption et la dispersion sont autant d’effets sur les signaux acoustiques causés par la végétation. Dans les forêts, la propagation du son est strictement liée à cette loi fondamentale, la dispersion par les troncs et les branches, l’absorption par les feuilles. » 422 La biophonie, elle aussi formulée explicitement chez Bernie Krause, considère les sons produits par les organismes vivants. Elle procède à une description précise des interactions sonores entre les êtres vivants, et émet des hypothèses quant aux fonctions des sons et à leur développement phylogénétique. En milieu naturel, les êtres vivants s’adaptent au paysage sonore environnant, pour faire entendre leur voix là où elle peut se placer. Par exemple, des cris animaliers nécessaires à la communication vont se placer sur une hauteur spécifique et changer leur timbre, ce qui leur permettra de se détacher du fond sonore environnant423 . L’exploitation de la configuration du lieu est aussi observée, certains animaux exploitent les phénomènes acoustiques liés à l’architecture naturelle : réverbération sur la roche, exploitation de milieux ouverts sans atténuation du son, etc. 

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 Le discours sonore et l’environnement : stratégies de conception

Parmi les environnements sonores possibles, des profils généraux peuvent être imaginés. Par exemple, la composante sonore peut être exclusivement naturelle, exclusivement artificielle ou mixte. L’ambiance sonore peut être bruyante, calme, riche ou bien pauvre en signaux. Enfin, il est possible d’évaluer les distances critiques vis-à-vis des habitations se trouvant plus ou moins proches du site. Ces variables environnementales nous mènent à considérer des stratégies de configuration du rapport entre environnement sonore et signalétique. Elles permettent de déterminer et contrôler le rapport figure/fond donné par les relations cadre de diffusion/morphologie sonore : • Première stratégie : l’adaptation. On adapte le son à une situation acoustique et un paysage sonore de base, donnés par l’environnement ou la configuration du site sur la/les zone(s) de marquage. • Deuxième stratégie : le contrôle. On crée de toutes pièces un espace à l’ambiance sonore contrôlée (donc artificielle). Ces deux stratégies peuvent dialoguer : un contrôle de la diffusion du son et de l’environnement peut n’être que partiel (on n’isole pas totalement le son du cadre « naturel »). Ainsi, un mélange d’adaptation à l’environnement adossée à des contrôles artificiels de certains effets ou certaines sources peut être hypothétiquement envisagé. Elles peuvent mener aux cas de figure suivants : – Les séquences sont produites en milieu clos laissant peu de sons extérieurs pénétrer dans l’espace de diffusion ; – Les séquences sont produites et diffusées en milieu fermé filtrant peu les sons extérieurs, en milieu semi-ouvert, ouvert ou en plein extérieur. Dans ce cas, elles ne sont pas perçues isolément de leur environnement, il faut donc assurer leur saillance en termes d’intensité (en fonction du milieu prévisible : fort en milieu bruyant, mais à pondérer en cas de résidences proches), de durée, de timbre, de rythme, de dynamique. Le choix stratégique final sera certainement le fruit de dialogues successifs entre les objectifs du marquage sonore (fonction, information, type de saisie) – également en relation avec les autres composantes de marquage – et les profils environnementaux. Habellion commente l’acception du design sonore de Murray Schafer et décrit les relations entre « design sonore » et « écologie sonore » : « Cette dernière étudie l’environnement tel qu’il se présente à nos oreilles, tandis que la première intervient directement sur les sons en éliminant les sons nocifs pour ne préserver qu’un environnement sonore positif. L’ »écologie sonore » précède donc le « design sonore », ce qui explique la structure de l’ouvrage de R. Murray Schafer : le « design sonore » n’est traité en effet que dans la dernière partie du Paysage sonore. Mais ces deux domaines sont naturellement complémentaires. » 430 En commentaire à ces éventualités stratégiques, on relèvera les propos de Jean Chatauret qui explique combien les pratiques musicales ont été, avant l’apparition de technologies permettant l’enregistrement, liées à un cadre spatial : « […] la musique ne prenait vie que dans le lieu de son interprétation. Elle était parfois composée pour un lieu déterminé. On imagine mal le chant grégorien chanté dans un gymnase, pas plus que des danses folkloriques interprétées dans une abbaye, une grande symphonie romantique jouée en plein air sans sonorisation. Tout cela se fait cependant de nos jours, avec plus ou moins de bonheur, le plaisir de l’auditeurspectateur dépendant de ce qu’il attend de l’expérience. La littérature musicale foisonne d’effets sonores de mise en perspective, par des échos, des réponses, des contrastes. Souvent, le compositeur indique une scénographie sonore : trompettes de coulisse, cloches au loin, « banda » d’opéra défilant en fond de scène. » 431 Bien que les évolutions technologiques aient permis de délocaliser les interprétations musicales, il n’en reste pas moins que des qualités sonores spécifiques sont adaptées à certaines expressions et genres musicaux. Il conviendrait alors de se demander pourquoi la réverbération était aussi importante dans les lieux sacrés, ou encore ce qui est recherché lorsqu’un artiste et/ou un ingénieur du son appose certains effets de spatialisation et d’écho à une bande sonore. Malgré les qualités inhérentes à un espace, les manipulations techniques permettent par un artifice de simuler un espace, de provoquer l’effet originellement associé à une forme musicale, et même d’appliquer cet effet à des genres variés en vue de créer un effet de sens. La modulation sonore permet d’exagérer et de dépasser les expériences naturelles de la diffusion sonore. Il ne s’agit pas de préconiser l’usage de ces effets modernes (chorus, flanger, phaser, distorsion, etc.) dans une séquence de signalétique sonore. Plutôt de questionner l’apport informationnel et sémantique lié à l’exploitation de certaines caractéristiques sonores naturelles. C’est une des voies que la sémiotique sonore pourra explorer lorsque ses méthodes et observations constitueront un apport théorique opératoire, et probablement après quelques dialogues entre ces deux postures que sont l’écologie sonore (liée dans notre cas au contrôle de l’espace et à l’adaptation de la signalétique à l’environnement) et le design sonore (lié à la conception du message et de la morphologie sonore).

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