Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les usages sanitaires de la rivière Yamaska sur le territoire urbain du grand Saint-Hyacinthe sont à l’origine de divers conflits locaux auxquels l’État prend part. Face à la rivière contaminée, source de danger, les populations riveraines et les gouvernements se mobilisent pour remédier au problème sanitaire. Dans ce chapitre, nous nous intéressons au renversement d’autorité décisionnelle lié aux usages sanitaires de la Yamaska, le pouvoir se transférant du local au provincial. L’étude des interactions entre ces différents acteurs nous permet ultimement de mieux comprendre les modalités de prise en charge de la rivière.
D’abord, nous abordons la montée de l’expertise provinciale, interpelée par les autorités locales afin qu’elle joue un rôle de conciliateur. La double utilisation sanitaire de la rivière, comme déversoir d’eaux usées et comme source d’eau potable, est à l’origine de désaccords entre les différentes municipalités avoisinantes, ce qui les incite à faire appel aux instances supérieures pour régler leurs litiges.
Au tournant des années 1960, le renversement s’amorce lorsque l’État impose sa vision de ce qu’est et ce que devrait être la rivière, notamment avec la Régie des eaux du Québec qui contraint les municipalités de la région maskoutaine à traiter de façon commune leurs eaux usées. À l’instar de la double utilisation de la rivière, cette réalité entraîne à son tour diverses tensions locales, qui concerne, entre autres, le choix du site de l’usine d’épuration des eaux usées de la région.
Le paradoxe de la double utilisation de la rivière est en fait un vestige de la fin du XIXe siècle. Les motivations financières justifient souvent l’ implantation d’ un système d’aqueduc puisque, à l’époque, les municipalités sont rivales face au recrutement de nouvelles entreprises. L’implantation d’un réseau d’eau et la présence de bornes-fontaines en milieu urbain sont attirantes pour ces dernières puisqu’elles diminuent le prix des primes d’assurance. À Saint-Hyacinthe, une initiative privée est à l’origine de l’établissement du premier réseau de distribution d’eau potable, qui avait pour objectif d’améliorer la lutte aux incendies.
De son côté, le rejet d’eaux usées à la rivière se veut être une réponse à de nouvelles préoccupations sanitaires en lien avec des conditions de vie plus difficiles, comme la maladie et la saleté, occasionnées par une urbanisation et une industrialisation intensive. Afin de bien saisir les réalités qui entourent les défis du réseau d’ eau maskoutain au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il est primordial de comprendre d’abord les particularités démographiques et territoriales de la zone urbaine du grand Saint-Hyacinthe qui inclut les municipalités de Saint-Hyacinthe, Saint-Joseph, La Providence et Douville.
Plusieurs raisons nous poussent à regrouper ces municipalités et à laisser SainteRosalie et Saint-Thomas-d’Aquin de côté. La principale est que ces quatre municipalités fusionnent en 1976 . Avant cette date, ces municipalités doivent s’entendre sur divers projets riverains, notamment sur la question du montant chargé aux municipalités qui profitent des infrastructures liées à l’aqueduc maskoutain . Ajoutons à cela le fait que ces quatre municipalités forment un noyau en bordure de la rivière regroupant les zones urbanisées les plus anciennes de la région.
D’autre part, le projet régional d’épuration des eaux usées mis de l’avant par l’Office de planification et de développement du Québec (OPDQ) et les Service de protection de l’environnement (SPE) durant les années 1970 et 1980 prévoit dévier l’ensemble des réseaux d’égout de ces quatre municipalités vers une seule usine d’épuration . Avant la mise en place de ce projet, ces municipalités utilisent la rivière Yamaska comme déversoir pour les eaux usées. Près de 50 émissaires d’égout se déversent alors dans le cours d’eau près de la zone urbaine . Cette situation engendre divers conflits liés à la double utilisation de la rivière comme source d’adduction et réceptacle des effluents.
L’origine de ces conflits remonte à la période de la fin du XIXe siècle aux années qui suivent la Seconde Guerre mondiale. Elle est marquée par des campagnes de propagande sanitaire au Québec. Tout est mis en œuvre pour « populariser le microbe» : campagnes d’éducation populaire et renforcement des pratiques sanitaires. L’objectif des hygiénistes est alors de « [ … ] susciter la crainte de la contagion en insistant sur l’omniprésence du microbe ».
Ajoutons à cela l’éclosion d’une épidémie de poliomyélite en 1946 qui marque l’imaginaire de la population québécoise. Dans la grande région de Saint-Hyacinthe, le Dr Marc Bergeron, directeur de l’Unité sanitaire, répertorie 17 cas de poliomyélite . Afin de contrer cette épidémie, le ministre de la Santé, Dr Joseph-Henri-Albiny Paquette, y va de plusieurs recommandations auprès de la population, comme boire de l’eau filtrée ou bouillie et ne pas se baigner dans un cours d’eau pollué . Le rejet d’ eaux usées d’origine domestique dans la rivière représente ainsi une source de danger pour les populations qui s’y abreuvent.
Damase en 1947, alors que cette dernière prévoit entreprendre la construction d’un réseau d’égout se déversant dans la rivière. Le conseil maskoutain adopte une résolution qui a pour but de protester « [ … ] auprès des autorités compétentes contre ce projet qui est de nature à polluer des eaux de l’Yamaska, source d’approvisionnement de l’aqueduc de la ville ».
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