ÉTUDE DE L’INTERTEXTUALITE DANS MACBETT D’EUGENE IONESCO
La démarche théorique développée en complémentarité du volet « création » de ce mémoire s’est imposée tout naturellement: l’intertextualité. L’étude des relations que mon texte entretient avec l’oeuvre d’Eugène Ionesco et d ‘ autres auteurs qui ont servi d ‘ inspiration à mon travail créatif est fort instructive pour qui veut parvenir à une lecture plus approfondie. Il sera intéressant, je crois, d’étudier ces liens non pas seulement de façon unidirectionnelle (présent passé , hypertexte hypotexte), dans une dynamique qui va constamment du texte à sa « source », mais en fonction des rapports qu ‘ ils nouent entre eux dans une perspective atemporelle qui « fouille la bibliothèque » dans tous les sens si je puis dire – j ‘y reviendrai . À la lecture de l’oeuvre d’Ionesco, on constate rapidement que l’ intertextualité a occupé une place prépondérante dans son travail de création. Sa première pièce, La cantatrice chauve, en est d’ailleurs un bon exemple. Il s’était alors inspiré d ‘un manuel scolaire d’anglais, L’anglais sans peine, dont il avait extrait de longs passages pour en souligner le caractère absurde et étrange. Par ces emprunts, qu ‘i l remaniait et disposait à sa façon , il amplifiait le côté comique de son oeuvre, créant ainsi une distance avec le caractère foncièrement tragique du texte. Un autre exemple serait celui de Macbett , une réécriture de l’oeuvre de Shakespeare qui m’est apparue comme le cas d’intertextualité le plus intéressant et dont j’examinerai plus avant les procédés ici. Mais d ‘abord, attardons-nous à la notion d’intertextualité afin de définir clairement le cadre théorique de l’analyse.
Le cadre théorique
Bien avant que les Kristeva, Barthes, Genette et autres théoriciens définissent l’intertextualité et qu’elle devienne une notion essentielle de la critique littéraire, les auteurs, de tout temps, y ont eu recours à des degrés divers, comme à un mécanisme indispensable de leur processus créatif. De Shakespeare à Racine en passant par Molière, Cocteau, Joyce ou Claude Simon, le phénomène de l’intertextualité a étendu ses ramifications à travers toute l’histoire de la littérature. Si la Renaissance et le classicisme ont fait de l’imitation des Anciens le moteur même de tout un pan de la littérature, il revient tout de même au XXe siècle d’en avoir circonscrit les contours et systématisé la pratique. En effet, les auteurs contemporains, et particulièrement au théâtre – pensons à Giraudoux, à Anouilh, à Cocteau – ont allègrement « pillé » leurs prédécesseurs afin de réactualiser leurs propos et, du coup, ils ont réactualisé et modernisé certaines oeuvres phares de la littérature. Dès la diffusion de la notion au cours des années 1970 en France, on voit s’ opposer deux conceptions de l’intertextualité : l’intertextualité dite « restreinte », qui tend à cantonner la notion aux textes littéraires en incorporant la « littérarité » dans la dimension intertextuelle ; c’est l’époque de la « mort de l’auteur » annoncée par Barthes, Foucault et d’autres tenants du structuralisme. Depuis, plusieurs théoriciens 1 se sont prononcés en faveur d’un concept d’intertextualité « généralisé » ou « globalisant », notion « étendue» qui tend à unir tous les discours, qu ‘ ils soient sociaux, politiques ou autres. Avec l’arrivée de nouvelles formes de communication (Internet notamment), plusieurs théoriciens, dont Michael Riffatene et Marc Angenot, conçoivent aujourd’hui l’ intertextualité dans un contexte plus global qui permet d ‘ analyser la pratique littéraire en regard d’autres usages du langage: le texte n’est alors qu ‘ un cas particulier de 1’« interdiscursivité » pensée comme canefour de discours ou « dialogisme », ainsi que l’envisageait Bakhtine2
Les relations de coprésence
La citation constitue la forme la plus évidente et la plus commune de coprésence. En effet, elle est explicite et décelable typographiquement (guillemets, italique). Utilisée fréquernn1ent, elle provoque un effet d’hétérogénéité qui donne au texte des airs de patchwork, de mosaïque textuelle. Elle a le mérite d’être claire et de ne requérir du lecteur aucune érudition particulière. Son utilisation va parfois servir à renforcer une opinion émise par l’ auteur, à l’authentifier. En d’ autres occasions, la citation servira de miroir au texte, établissant des parallèles entre 1′ hypotexte (ou texte fondateur) et 1 ‘hypertexte (ou texte dérivé) ; elle se fera le reflet de la thématique de l’histoire ou de son écriture même, de sa structure interne. Autre type de coprésence, la référence, qui est, au même titre que la citation, une forme d’intertexte explicite. Par contre, son emploi n ‘ implique pas une indication directe du texte auquel elle renvoie. Ce type d’intertexte sert à renvoyer le lecteur à un autre texte sans avoir à le convoquer littéralement. La référence peut être interne et se rapporter à d’autres textes du même auteur, ou encore externe et convoquer d’autres discours.
Elle implique nécessairement une certaine érudition de la part du lecteur, érudition propre à lui permettre d’établir des liens de connivence avec l’auteur. Autre relation de coprésence, le plagiat est une citation non démarquée par l’auteur qui en fait usage. On parle de vol et d’atteinte à la propriété intellectuelle. Le texte est reproduit intégralement avec parfois quelques changements, mais l’origine en est clairement identifiable. On tend aujourd’hui à considérer le plagiat non plus seulement comme une pratique condamnable, mais aussi comme un élément qui participe au discours global, le nourrit et le transforme à sa façon. Le caractère de plus en plus courant de cette pratique oblige cependant les théoriciens à en réévaluer le fonctionnement et l’impact: Au moment où l’écrit parcourt la planète en quelques secondes, et alors que les mots deviennent d’éphémères impulsions lumineuses voyageant grâce à Internet, le texte littéraire est plus que jamais susceptible d ‘appropriations et de transformations, et une fois de plus le plagiat se retrouve au centre des enjeux littéraires6. Au coeur de ces enjeux se retrouvent les concepts d’originalité et de moralité, concepts qui, depuis les premières études sur le sujet, font partie de l’équation. D ‘un point de vue philosophique, ces concepts sont à l’origine même de la définition du plagiat. Depuis peu cependant le phénomène étant directement relié au développement d’Internet par lequel transitent des milliers de textes chaque jour, on pose à nouveau la question de la propriété légale des textes, question au coeur des préoccupations de nos sociétés de consommation.
Le concept est donc en pleine évolution et devrait être graduellement redéfini grâce, entre autres, à des théoriciennes comme Ysabel\e Martineau7, qui s’attarde aux multiples liens entre la pratique du plagiat et son contexte socio-économique. Elle constate ainsi une opposition entre, d ‘un côté, des valeurs de plus en plus axées sur la consommation et, de l’ autre côté, une forme de libre-échange culturel imposé par Internet et d’autres technologies nouvelles . L ‘allusion, pour sa part, n ‘est ni littérale ni explicite. Elle présente l’avantage de ne pas briser le rythme, la continuité du texte. Une allusion éveille chez le lecteur une idée reliant deux textes ou deux discours. L’allusion présuppose que le lecteur va comprendre ce que le narrateur cherche à insinuer sans qu ‘il ait à l’exprimer directement. Elle est généralement courte et peut se présenter sous forme de jeu de mots, sorte de clin d ‘oeil au lecteur, ou sous forme de reprise plus ou moins littérale et implicite.
Les relations de dérivation
Le deuxième type de relations intertextuelles que je vais évoquer, les relations de dérivation, comporte deux types principaux : la parodie et le pastiche. La première transforme l’hypotexte tandis que la seconde l’imite. La parodie consiste à transformer le texte et son sujet tout en conservant le style. Son efficacité réside souvent dans sa capacité à rester au plus près du texte original tout en trahissant sa signification, en la tournant au ridicule. Ionesco, comme on le verra plus loin, a procédé à une réécriture de Macbeth que l’on pourrait qualifier de parodique, mais non dans le but de ridiculiser le texte original. Véronique Lochert, dans son article « MacbethlMacbett: répétition tragique et répétition comique de Shakespeare à Ionesc08», parle d’ailleurs de parodie sérieuse qui tend avant tout à s’approprier et à réactualiser le texte. . Le travestissement burlesque, une sous-catégorie de la parodie, reprend le sujet, malS s’éloigne du style de l’oeuvre qu’il détourne. L’exemple le plus célèbre est le Virgile travesti de Scarron.
Au delà du simple jeu littéraire, Scarron manifeste un souci de naturel (dans le style notamment) qui met en lumière l’écart excessif du genre parodié par rapport au réel qu’ il décrit. En ce sens, le procédé contribue à réactualiser une oeuvre qui autrement pourrait être oubliée ou figée dans son contexte historique, politique, social, etc. Ce type de parodie a aussi une fonction critique de commentaire de l’oeuvre parodiée, ce qui parfois participe de quelque chose d’ iconoclaste, d’une désacralisation de l’hypotexte. On verra en ce sens comment Ionesco s’est servi de plusieurs procédés propres au travestissement burlesque (langage ordurier, syncopés, quiproquos, etc.) dans sa réécriture de Macbeth. L’ efficacité du travestissement burlesque pour la parodie ou le pastiche va dépendre de la reconnaissance, par le lecteur, du texte détourné par l’ auteur et de l ‘habileté de ce dernier à souligner le côté comique d’une situation donnée, aussi dramatique ou tragique soit-elle. «Le comique et la satire naissent en effet d’une discordance, fondatrice du burlesque, entre le type de sujet et le registre stylistique dans lequel il est traité . Le texte est travesti comme le serait un roi déguisé en gueux et qui tiendrait son langage9 . »
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