LES TUMEURS PRIMITIVES DE L’INTESTIN GRELE

LES TUMEURS PRIMITIVES DE L’INTESTIN
GRELE

Les tumeurs primitives de l’intestin grêle désignent l’ensemble des néoformations bénignes ou malignes nées à partir d’une ou de plusieurs de ses tuniques et développées soit à sa surface soit dans son épaisseur [1, 2]. Elles représentent moins de 5% de l’ensemble des tumeurs du tractus digestif [1]. Aussi, leur détection est généralement difficile et tardive, sinon exceptionnelle avant l’exploration chirurgicale [3]. Ce retard diagnostique tient à leur grande latence clinique, à leur symptomatologie très peu spécifique et à une difficulté d’exploration de l’intestin grêle. Ce segment digestif est resté en effet pendant longtemps, non seulement, le moins accessible aux techniques classiques d’endoscopie, mais aussi, le plus difficile à explorer par les techniques usuelles d’imagerie, induisant une forte méconnaissance de ses tumeurs [1-4]. Mais depuis quelques décennies, la mise au point de moyens d’exploration performants du grêle tels que l’entéroscanner, l’entéro-imagerie par résonnance magnétique, l’entéroscopie et la vidéocapsule endoscopique (VCE) a efficacement contribué à améliorer ce diagnostic, jadis délicat [1, 4]. Cependant, dans les pays en voie de développement, malgré ces avancées technologiques, les tumeurs du grêle se distinguent encore par leurs circonstances de découverte mais aussi et surtout par un long délai à la consultation, source d’un diagnostic tardif. Elles y sont, souvent encore, reconnues au cours d’une exploration chirurgicale, requise en urgence devant une complication aiguë. Il est de ce fait primordial, d’en faire précocement le diagnostic avant l’installation des complications, car la lourde mortalité de ces tumeurs reste imputable à ce double retard diagnostique et thérapeutique [3, 5]. Dans cette étude, nous rapportons 52 observations de tumeurs primitives de l’intestin grêle prises en charge au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) Aristide Le Dantec et à l’hôpital Principal de Dakar, entre janvier 1995 et 10 décembre 2010. L’objectif de notre travail était d’analyser les aspects épidémiologiques, diagnostiques, thérapeutiques et évolutifs de ces tumeurs. Nous avons adopté le plan suivant :  Introduction  Rappels  Patients et Méthodes  Résultats et Commentaires  Conclusion et Recommandations.

HISTORIQUE 

  • En 1746, Hamburger rapporta, au cours d’une autopsie, le 1er carcinome perforé du duodénum. • En 1808, Von Merling décrivit la 1ère tumeur carcinoïde. Biork et Thorson feront ensuite en 1954, à l’aide de 2 cas, le lien entre le tableau clinique du syndrome carcinoïde et la sécrétion de sérotonine. • En 1824, Sorlin rapporta le 1er carcinome du jéjunum et différencia les épithéliomas des sarcomes. • En 1876, Leichtenstein publia la 1ère série de cancers du grêle et Fleiner rapporta en 1885 la 1ère résection tumorale couronnée de succès. • En 1881 fut décrit le 1er léiomyome et Wesener décrivit en 1888 le 1er léiomyosarcome. En 1907, Chandler et Baldauf rapportèrent le 1er lipome. • Les premières grandes séries seront publiées en 1894 par Pic (120 tumeurs) puis en 1974 par Wilson et Potet qui colligèrent respectivement 2144 et 3188 cancers. • En 1970, Stout décrivit la 1ère tumeur stromale gastro-intestinale (GIST). Ces GIST seront connues à partir de 1980 avec le développement de l’immunohistochimie et de la microscopie électronique, puis mieux décrites avec la découverte de la protéine proto-oncogène c-Kit en 1998. Ainsi, en 2000, Blanchard répertoria 1074 léiomyomes et 1689 léiomyosarcomes. 

EPIDEMIOLOGIE 

L’incidence annuelle des tumeurs du grêle est en nette augmentation aux Etats-Unis (25053 adénocarcinomes recensés entre 1985 et 2005 avec 6110 nouveaux cas en 2008). La même tendance s’observe en France depuis 1976 avec 0,23 à 0,31 cas/100 000 habitants. En Afrique, elle se dégage difficilement. Mais, ces tumeurs restent, malgré leur diversité histologique, rares et ne représentent que 0,095 à 5% des tumeurs du tractus digestif .La prédominance masculine est admise dans cette pathologie. Les tumeurs malignes, plus fréquentes, surviennent entre la 6ème et la 7ème décade dans les pays développés et entre la 4ème et 6ème en Afrique. Quant aux tumeurs bénignes, elles se développent à tout âge. En occident, on retrouve par fréquence décroissante, les tumeurs épithéliales, les tumeurs endocrines, les lymphomes et les tumeurs mésenchymateuses. Au niveau du pourtour méditerranéen et au Moyen-Orient, les lymphomes sont plus fréquents et certaines études maghrébines ne rapportent pas d’adénocarcinome .La répartition topographique des types histologiques très est variable. Néanmoins, il est admis que du duodénum à l’iléon, les adénocarcinomes diminuent inversement aux lymphomes. Les carcinoïdes semblent spécifiques à l’iléon et les sarcomes et les GIST seraient sans préférence de siège. Les lipomes sont iléaux et les adénomes duodénaux 

 ANATOMIE, HISTOLOGIE ET PHYSIOLOGIE 

ANATOMIE DE L’INTESTIN GRELE 

 L’intestin grêle est la partie du tube digestif intermédiaire à l’estomac et au côlon. Il comprend 3 parties : duodénum, jéjunum et iléum. Sa longueur moyenne est de 7 m.

 LE DUODENUM 

→ Anatomie descriptive 

Partie initiale et fixe du grêle, le duodénum fait suite à l’estomac (au niveau du pylore) et se continue par le jéjunum (au niveau de l’angle duodénojéjunal de Treitz). Il présente des connexions intimes avec le pancréas. Fig. 1 : Morphologie, configuration interne et structure du duodénum [13]. 

Crânial Latéral 

  • Situation 

 Il est profondément situé contre la paroi postérieure de l’abdomen et croisé en avant par la racine du mésocôlon transverse. Il est à cheval sur les étages sus et sous-mésocoliques de l’abdomen. • Configuration externe : Le duodénum dessine une anse incomplète en forme de « C » : le cadre duodénal. Il présente trois coudures (angles duodénaux supérieur, inférieur droit et inférieur gauche) qui définissent quatre segments : supérieur (D1), descendant (D2), horizontal (D3) et ascendant (D4). • Dimensions : Sa longueur est de 20 à 25 cm et son diamètre d’environ 4 cm. • Configuration interne : C’est au niveau de la partie médiale de D2 que s’ouvrent les orifices des conduits bilio-pancréatiques : l’ampoule hépatopancréatique (Vater) au niveau de la papille majeure (grande caroncule) et le conduit pancréatique accessoire (Santorini) au niveau de la papille mineure (petite caroncule). L’ampoule de Vater présente les abouchements des canaux pancréatique principal (Wirsung) et cholédoque dans un orifice commun, muni de 3 sphincters (Oddi) (Fig. 1). • Fixité : Le duodénum est la partie la mieux fixée du tube digestif ; seule la portion faisant suite au pylore est mobile. Il est fixé par ses connexions au pancréas, son accolement au méso duodénal, le muscle suspenseur du duodénum et les racines du mésocôlon transverse et du mésentère qui le plaquent à la paroi abdominale dorsale. → Rapports (Fig. 1 et 2)

  • Rapports péritonéaux

 Le duodénum est moulé autour de la tête du pancréas et contenu dans la loge duodénopancréatique. Son péritoine viscéral se prolonge respectivement en haut et en bas par le petit et le grand omentum. Chirurgicalement, le décollement rétro-duodénopancréatique est à la base de la chirurgie pancréatique. 16 Fig. 2 : Artères du duodénum, du pancréas et de la rate [13]. Crânial Latéral 17 • Rapports avec les organes voisins ♦ Dans la loge duodénopancréatique, les rapports fondamentaux du duodénum, au nombre de cinq (arcades pancréaticoduodénales, vaisseaux mésentériques supérieurs, veine porte, canal cholédoque et tête du pancréas) concernent : ◦ La face postérieure et le bord inférieur de D1 : pancréas (tête et isthme), veine porte, canal cholédoque et vaisseaux pancréaticoduodénaux supérieurs ; ◦ La face médiale de D2 : tête du pancréas, abouchement des canaux biliopancréatiques et arcade pancréaticoduodénale inférieure; ◦ La face supérieure de D3 : tête du pancréas, processus unciné et vaisseaux mésentériques supérieurs ; ◦ La face médiale de D4 : processus uncinatus (unciné). La fixité du duodénum et ses rapports avec le pancréas et les axes biliaire et mésentérico-portal le différentient et l’isolent du reste du grêle (Fig. 2). ♦ En dehors de la loge duodénopancréatique, le duodénum est en rapport avec : le foie (lobe carré) et la vésicule biliaire (D1), le côlon transverse, le fascia de Told, le psoas et le rein droits (D2), l’aorte et la VCI (D3), la face gastrique postérieure, le pyélon et le psoas gauches (D4). → Vascularisation et innervation (Fig. 2) • Les artères proviennent de 2 sources principales : le tronc cœliaque par l’artère gastroduodénale et l’AMS, anastomosés par deux arcades artérielles pancréaticoduodénales (para-duodénale et juxta-duodénale). Les deux extrémités duodénales sont un peu particulières : le bulbe duodénal est très vascularisé et la partie terminale (D3 et D4), parfois mal vascularisée, au 18 moins sur une de ses faces peut rester avasculaire ; il peut donc être dangereux de faire porter en chirurgie une suture ou une anastomose à cette zone. • Le retour veineux est assuré par un réseau doublant le système artériel avec deux arcades tributaires de l’axe mésentérico-portal (système porte hépatique). • Les lymphatiques se drainent dans un réseau pancréaticoduodénal supérieur et inférieur puis dans les territoires hépatique et mésentérique supérieur. • Les nerfs proviennent des plexus cœliaque et mésentérique supérieur. 

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 LE JEJUNO-ILEUM 

→ Anatomie descriptive 

Le jéjunum et l’iléum représentent la partie terminale et mobile de l’intestin grêle ; le jéjunum correspond à la partie proximale (2/5) et l’iléum, à la partie distale (3/5). Ils s’étendent de l’angle duodénojéjunal au cæcum et leur fonction essentielle est l’absorption des aliments. • Situation-Forme : le jéjuno-iléum est contourné en des anses (environ 16) et est situé dans la région infra-mésocolique. Chaque anse présente deux faces convexes et 2 bords (anti-mésentérique, libre et mésentérique, adhérant aux lames péritonéales du mésentère). • Dimensions : sa longueur est d’environ 6 m et son diamètre est de 3 cm à la partie proximale et de 2 cm à sa terminaison. • Terminaison : L’iléum terminal s’abouche dans le cæcum au niveau de l’ostium valvulaire iléo-cæcal (Bauhin). On observe chez 2% des sujets, sur le bord libre, à environ 1 m de l’angle iléo-cæcal, le vestige du conduit vitellin (Meckel).  • Moyens de fixité : C’est le mésentère qui relie le jéjuno-iléum à la paroi abdominale dorsale. Il contient, noyés dans la graisse, l’AMS et la VMS, les nœuds et vaisseaux lymphatiques mésentériques supérieurs et les rameaux nerveux du plexus mésentérique supérieur. → Rapports Le jéjunum et l’iléum sont en rapport avec : • En arrière : la paroi abdominale postérieure, dont ils sont séparés par les organes rétro-péritonéaux médiaux (gros vaisseaux pré-vertébraux) et latéraux (reins, uretères, partie sous-mésocolique du duodénum et côlon (cæco-côlon ascendant à droite et côlon descendant à gauche)). • En avant : la paroi abdominale antérieure, dont ils sont séparés par le grand omentum. Les hernies intestinales sont possibles au travers de ses points faibles. • En haut : les organes sus-mésocoliques (foie, estomac, pancréas, rate), dont ils sont séparés par le côlon et le mésocôlon transverse. Ainsi, les montages chirurgicaux qui déportent une anse grêle à l’étage sus-mésocolique se font soit par voie trans-mésocolique soit par voie pré-colique pré ou transomentale. • En bas : le côlon sigmoïde et les organes du petit bassin : rectum et vessie dans les 2 sexes, ligaments larges et utérus chez la femme. • A droite : le côlon ascendant, volumineux, refoulant les anses grêles vers la ligne médiane. • A gauche : le côlon descendant, de plus petit calibre, plaqué contre la paroi postérieure et précroisé par les anses grêles qui atteignent la paroi abdominale. 

→ Vascularisation et innervation

  • Les artères du jéjuno-iléum naissent du bord gauche de l’AMS et descendent dans le mésentère. Elles sont richement anastomosées entre elles, dessinant des arcades d’où naissent les artères droites. Chaque vaisseau droit se divise en 2 rameaux pour chacune des faces du grêle et ces rameaux sont terminaux ou anastomosés à l’intérieur de la paroi intestinale. La vascularisation des deux extrémités est particulière (souvent médiocre) : celle de l’angle et de la 1ère anse jéjunale peut être compromise lors d’une DPC. Aussi, la dernière anse ménage avec l’artère colique ascendante une zone d’insécurité (aire avasculaire de Trèves). Il est ainsi recommandé lors d’une hémicolectomie droite, nécessitant la ligature de l’artère iléo-colique, de réséquer la dernière anse iléale. • Les veines jéjuno-iléales, nées d’arcades veineuses superposables aux arcades artérielles, se drainent vers la VMS puis à la veine porte hépatique. • Les nœuds lymphatiques jéjuno-iléaux sont adjacents aux artères homonymes. Les chylifères se drainent aux nœuds mésentériques, juxta-intestinaux, puis aux nœuds mésentériques centraux et enfin aux nœuds mésentériques supérieurs, à partir desquels se forme un tronc intestinal aboutissant à la citerne du chyle (Pecquet). • Les nerfs proviennent du plexus mésentérique supérieur. 

Table des matières

Introduction
Première partie : Rappels
1. Historique
2. Epidémiologie
3. Anatomie, histologie et physiologie de l’intestin grêle
4. Anatomopathologie
5. Etiopathogénie
6. Aspects cliniques et paracliniques
6.1. Signes cliniques
6.2. Signes paracliniques
6.2.1. Biologie
6.2.2. Imagerie médicale
6.2.3. Techniques endoscopiques
6.2.4. Examens isotopiques du grêle
7. Critères prédictifs de malignité
8. Bilan pré-thérapeutique
8.1. Bilan d’extension tumorale
8.2. Bilan d’opérabilité
8.3. Bilan de résécabilité
8.4. Bilan complémentaire
9. Diagnostic différentiel
10. Aspects thérapeutiques et évolutifs
10.1. Buts
10.2. Moyens et méthodes
10.2.1. Moyens médicaux
10.2.1.1. Réanimation
10.2.1.2. Moyens médicamenteux
10.2.1.3. Traitements complémentaires
10.2.2. Moyens instrumentaux
10.2.3. Moyens chirurgicaux
10.2.3.1. Chirurgie curative
10.2.3.2. Chirurgie palliative
10.3. Indications
10.4. Résultats, pronostic et surveillance
10.5. Prévention et dépistage
Deuxième partie : Notre travail
1. Objectif
2. Cadre et type d’étude
3. Patients et méthodes
4. Résultats
4.1. Aspects épidémiologiques
4.2. Aspects cliniques et paracliniques
4.3. Aspects thérapeutiques et évolutifs
5. Discussion
Conclusion
Références

 

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