Les textes poétiques
Le périodique littéraire offre une représentation très complète des pratiques poétiques existantes. Le Mercure Galant est le premier périodique à insérer des « pièces fugitives » dans ses livraisons, avant que cela ne soit repris par le Journal des Dames. Il s’agit de distraire, d’amuser, de séduire, à l’instar des séances d’écritures collectives de poèmes dans les salons. Les autres périodiques, qui ne réservent pas de partie spécifique aux textes poétiques, publient ponctuellement un poème qui a été apprécié, ou qui a été envoyé au journaliste. La poésie est envisagée sous l’angle de la distraction et du badinage et non plus de la performance artistique et esthétique comme le souligne François Moureau : Le Mercure Galant offre l’image d’une société qui aime la poésie pour des raisons qui, souvent, n’ont pas grand-chose à voir avec elle, mais elle la pratique quotidiennement. Il n’y eut jamais tant de poètes qu’en ce début de siècle si peu poétique259 . Cette appréciation s’applique à l’ensemble des périodiques littéraires et évoque l’usage mondain de la poésie à l’époque. Dans son ouvrage sur le Mercure Galant, Monique Vincent fait le même constat et recense les différentes formes poétiques dans le journal, que l’on retrouve sans grand changement dans le Mercure de France et le Journal des Dames260 . Elle observe que les grands genres côtoient les plus petits, mais toujours dans une recherche de la simplicité : l’ode, l’églogue et le dialogue dominent largement. Les grands genres poétiques sont en perte de vitesse dès le milieu du XVIIe siècle, au profit d’une pratique mondaine et divertissante. De fait, le début de la publication des pièces fugitives dans les périodiques littéraires coïncide avec le développement de cette relation à la poésie, initiée dans les salons. On admire toujours les textes de Jean-Baptiste Rousseau ou de De La Motte mais on leur préfère de courts poèmes tels que le madrigal, l’épigramme, ou l’impromptu, plus divertissants et plus accessibles. Le périodique littéraire admet de surcroît, des textes poétiques qui rendent compte de pratiques passées et/ou étrangères. Il participe de la redécouverte des grands poètes de l’Antiquité puisque de nombreuses traductions ou créations « sur le mode de » sont publiées. Les fables d’Esope, les poèmes d’Horace ou les églogues de Virgile sont parmi les plus récurrents. Ils remplissent régulièrement les pages des mensuels et témoignent du goût des lecteurs pour ces poèmes faciles à comprendre. De la même façon, les journaux littéraires traduisent de nombreux poèmes étrangers, parfois accompagnés du texte original. Il leur arrive également de publier des poèmes inspirés de précédents succès poétiques, comme les nombreuses variations sur Les Saisons de Thomson, qui seront reprises notamment par Saint-Lambert. Ces exemples, qu’ils soient antiques ou contemporains, signalent l’intérêt des lecteurs pour une poésie de la nature imprégnée de lyrisme. La publication de ces poèmes étrangers contribue fortement à renseigner le lecteur sur les modes des cultures étrangères. Le Mercure de France publie en septembre 1763 un poème intitulé « Le Télémaque », rédigé en italien et traduit par le Cardinal de Tencin261 . L’originalité de l’article réside dans la juxtaposition du texte original et de la traduction française. De cette façon, le lecteur se familiarise s’il le souhaite avec la langue italienne, et s’il la connaît, il est plus à même de juger de la qualité de la traduction. La diversité des formes poétiques qui figurent dans le périodique limite la tentation de proposer un classement des différents types, classement qui ressemblerait plutôt à une longue liste sans intérêt réel. Par contre, les formes poétiques remplissent différentes fonctions qui reflètent le rôle de la poésie dans le périodique comme dans le monde : galante, divertissante, morale, réflexive, et apologétique. Au XVIIIe siècle, le langage poétique apparaît comme la principale modalité discursive pour tenir des propos galants. Il s’agit de plaire par le biais d’une pratique conventionnelle de la poésie. Le lecteur découvre de nombreux poèmes imités d’Anacréon ou de Marot, les poètes de prédilection de la société mondaine. La séduction par la poésie s’effectue par l’intermédiaire du trait d’esprit. Cela explique le penchant de la société pour les formes brèves telles que les bouquets, les étrennes, les madrigaux, les épithalames, les épitaphes, par exemple. La brièveté oblige à condenser les idées et témoigne du talent de son auteur pour la formule. Les auteurs de ces poèmes accèdent, bien que momentanément, à un simulacre de gloire et de reconnaissance poétique. Cette quête s’effectue par une recherche de la simplicité, du fond comme de la forme, comme le montre ce petit poème intitulé « Etrennes à ma femme » : C’est aujourd’hui que l’an commence, Dois-je en attendre quelque bien ? L’autre me fit, avec Hortence, Contracter un si doux lien. Quel an lui serait préférable ? Et que pourrait le nouveau né Pour se rendre si aimable, Autant que feu son frère aîné 262? Il ne s’agit pas, dans ce type de poème, de susciter l’admiration des lecteurs pour le talent poétique de l’auteur, mais plutôt de favoriser le divertissement en exprimant des idées simples et qui évoquent le plus souvent des scènes du quotidien. Dans les journaux littéraires, les poèmes expriment la douceur d’un moment, d’un événement, d’un sentiment, ou bien ils amusent par leur humour. En cela, ils relèvent d’une pratique mondaine récurrente dans les salons mais ils s’en distinguent dans la mesure où les rédacteurs ne publient pas de poèmes licencieux, critiques ou caricaturaux, pourtant fréquents dans ces lieux.
Les textes en prose
La variété des textes en prose est moindre par rapport à celle des pièces poétiques. Le lecteur peut découvrir des lettres, fictives ou non, des dialogues, des articles divers comme le compte rendu, l’annonce ou l’avis, des réflexions et des essais, et des récits brefs. Rédigés par les rédacteurs ou des lecteurs, ces textes sont de quatre sortes : soit ils relèvent de la fiction et du divertissement, soit ils sont fictionnels mais à vocation morale, soit ils visent à informer et renseigner le lecteur sur une réalité, soit enfin ils s’appuient sur un contenu réel mais dans une perspective d’amusement. La catégorie des dialogues illustre bien cette diversité. Elle regroupe des dialogues des morts et d’autres d’inspiration pastorale et encourage la réflexion philosophique ou retrace un épisode amoureux. Les dialogues sont publiés essentiellement dans la partie des Pièces Fugitives des mensuels, sans être totalement absents des autres périodiques littéraires. Lorsqu’ils sont philosophiques, les dialogues contribuent à développer la réflexion des lecteurs. Ils construisent un débat argumenté, au même titre que les dissertations, discours ou « réflexions » qui figurent dans ces journaux. Bien que ces derniers exemples ne fassent apparaître qu’un seul point de vue, contrairement aux dialogues, il convient de préciser que celui-ci s’exprime toujours par rapport à un autre point de vue, souvent bien connu des lecteurs pour son potentiel polémique. Ces textes visent à convaincre le lecteur d’une idée ou d’une théorie, hormis, dans le cas de certains dialogues philosophiques, qui, cette fois, mettent à l’épreuve l’esprit critique du lecteur, confronté à des arguments contradictoires mais solides. La fréquentation de ce type de texte sollicite la compréhension du lecteur sur des phénomènes parfois délicats ou difficiles à appréhender. Elle contribue à initier le lecteur à un certain savoir et parfois, à prendre position par rapport à ce qu’il lit. Outre ces textes à fonction argumentative, le périodique littéraire publie des textes informatifs tels que les avis ou certains récits274. Ils se caractérisent par une simplicité du style et une brièveté. Ils informent le lecteur sur les nouvelles importantes (arrêts divers, nouvelles politiques, etc.) ou font la publicité d’un produit ou d’un commerçant. Mais il existe d’autres types de récits dans le journal littéraire, qui révèlent la grande variété de ce genre d’écrire. Floue et imprécise, la catégorie du récit intègre toutes les productions narratives en prose publiées dans les périodiques c’est-à-dire les anecdotes de faits réels, les fictions assumées et présentées comme telles, ou encore des récits dont l’authenticité pose question. L’essentiel des textes en prose dans le journal littéraire, hormis les articles de comptes rendus ou les annonces d’ouvrages nouveaux, laissent planer un doute quant à leur origine réelle ou non. Les récits fictionnels, plus fréquents dans le Pour et Contre, le Mercure de France ou le Journal des Dames, sont publiés à la fois dans un but de divertissement et, dans certains cas, pour leur fonction morale. À l’inverse, le Nouvelliste du Parnasse et l’Année littéraire, avant tout périodiques de critique littéraire, font le récit d’événements réels et ne s’attardent guère sur les textes fictionnels, sauf dans les extraits qu’ils proposent dans leurs articles de critique. Les rédacteurs associent aux catégories génériques traditionnelles du récit bref, des adjectifs censés éclairer le lecteur soit sur la fonction du récit, soit sur son origine. C’est ainsi que la catégorie du récit fictionnel renferme des contes moraux ou non, des histoires allégoriques ou véritables, des nouvelles extraordinaires ou étrangères, des anecdotes véritables également, ou extraordinaires, etc. Plus d’une dizaine de titres et de sous-titres servent à caractériser l’histoire que le lecteur a sous les yeux mais ils agissent également comme des éléments de catégorisation du récit. Ils situent le récit dans un contexte fictionnel (conte, allégorie, etc.) ou signalent une pseudo authenticité (véritable, anecdote, etc.). Il s’agit alors de faire croire au lecteur que le texte raconte une histoire qui a réellement eu lieu, sans que cela n’abuse réellement les lecteurs. Ces récits peuvent être publiés en une livraison ou s’étendre sur plusieurs numéros, en fonction de leur importance. Ils s’inscrivent dans la tradition du genre mineur auquel ils correspondent mais s’inspirent également de la mode romanesque de l’époque, comme le souligne René Godenne dans son article sur la nouvelle et le petit roman publié en 1966275 . La relation amoureuse, souvent contrainte, est un élément fondateur de ces récits. Accidents, enlèvements, ou tempêtes sont des événements récurrents et permettent de faire voyager le lecteur. De nombreux récits signalent aussi leur origine étrangère. Le lecteur peut lire des « histoires chinoises », des « anecdotes anglaises » ou encore des « contes persans » qui témoignent de l’intérêt du public pour les mœurs des autres pays et qui s’inscrivent naturellement dans une tradition narrative initiée dès le début du siècle comme en témoignent le succès de la traduction des Mille et Une nuits de Galland, en 1704, ou la publication des Lettres Persanes de Montesquieu, en 1721. Les journaux littéraires contribuent à cet intérêt du public pour l’orientalisme en même temps qu’ils initient les lecteurs à celui-ci. De nombreux récits prennent alors pour cadre un environnement lointain et orientalisant. Ils sont l’occasion de souligner des différences de mœurs et s’efforcent de passer pour des histoires véritables grâce à des éléments de lieux ou de temps extrêmement précis, par rapport aux récits brefs habituels. Cependant, le lecteur s’aperçoit bien vite qu’il ne fait que retrouver des histoires galantes ou burlesques, très semblables à celles qu’il a coutume de lire. Pour augmenter l’illusion d’un fait réel, les récits sont souvent introduits par un « éditeur » qui raconte comment il a eu accès à ce manuscrit. Le topos du « manuscrit trouvé » est ainsi largement exploité dans ce type de récits. Ces pratiques ne visent pas à duper le lecteur mais sont constitutives du genre du récit bref fictionnel. Cette tendance à faire passer pour vrai un récit de fiction explique également que l’on retrouve des récits fondés sur le modèle de l’Heptaméron de Marguerite de Navarre. En 1714, le Mercure de France publie un conte intitulé « Histoire de Sainte Colombe » constitué d’un récit-cadre dans lequel plusieurs personnes se retrouvent isolées dans un lieu suite à de grosses inondations et qui choisissent de passer le temps en se racontant des histoires, également communiquées aux lecteurs276 . Cette structure rappelle l’ouvrage de Marguerite de Navarre et témoigne à la fois de l’influence des anciens récits brefs sur les productions des périodiques littéraires et de la mise en scène du réel par les auteurs de ces récits. Il arrive cependant que ces journaux diffusent des récits brefs dont le contenu est bien réel. Ils racontent alors la vie de femmes célèbres, dans le Journal des Dames notamment, ou ils illustrent des vérités proverbiales à partir de scènes de la vie quotidienne relatées aux lecteurs. Le mensuel féminin propose également un autre type de récits brefs. Il contient, selon les rédacteurs, une section intitulée « pensées diverses ». Ces petits textes, entre quinze et quarante lignes, traitent différents sujets, le plus souvent de façon réflexive, mais par le biais d’exemples de la vie courante277 . Ils n’ont pas forcément de vocation argumentative ni même morale mais suscitent la réflexion ou la surprise du lecteur. Enfin, certains récits de faits réels sont racontés aux lecteurs sur un mode fictionnel. Prévost, par exemple, qui importe d’Angleterre la plupart de ses récits, publie un texte dans lequel il narre la passion d’un homme pour le théâtre, son désir de monter une pièce de Voltaire et son décès le jour de la première. Le récit joue avec l’attente du lecteur, à la manière d’une fiction : M. Bond, homme d’esprit & d’excellent goût, célèbre surtout par sa passion pour le Théâtre, avait pris une inclination particulière pour la Zaïre de M. de Voltaire ; & ne se contentant point de la savoir par cœur en Français, il avait engagé un des meilleurs Poètes de Londres à la traduire dans la Langue du Pays. Son dessein était de la faire représenter sur le Théâtre de Drurylane. Il employa pendant plus de deux ans tous ses soins & ceux de ses amis pour la faire accepter aux Directeurs de ce Théâtre. […]. Le jour arrive. Jamais Assemblée n’avait été si brillante & si nombreuse. Les premiers Actes s’exécutent avec l’applaudissement de tous les ordres. […]On attendait Lusignan ; il paraît, & tous les cœurs commencent à s’émouvoir à la seule vue de ce Prince vénérable ; mais celui de M. Bond l’était plus que tous les autres ensemble. Il se livre tellement à la force de son imagination, & à l’impétuosité de ses sentiments, que se trouvant trop faible pour soutenir tant d’agitation, il tombe sans connaissance au moment qu’il reconnaît sa fille.