Les termes de la fabrique du religieux
Position religieuse et représentation : variations de points de vue au cours de l’histoire
Le regard catholique Alain Besançon (1994) fait remarquer que L’Egypte ancienne et la Mésopotamie, puis la civilisation grecque antique usaient de l’image sans rougir pour figurer les dieux, ce que l’auteur appelle une « situation d’innocence » (Besançon, 1994 : 10). Mais les philosophes grecs n’étaient pas tous d’accord avec cet usage figuratif, Platon soutenant que « le regard doit se tourner vers le divin et que lui seul vaut la peine d’être contemplé ; que le représenter est vain, sacrilège, inconcevable » (ibid. : 12). Nos ancêtres antiques ont donc déjà amorcé les questionnements concernant l’image et la représentation. Platon rejette l’activité mimétique car il est convaincu que l’artiste, en essayant de la reproduire se détourne de la vérité. L’imagination (phantasia) qu’il définit comme pensée par l’image et mélange de sensations et d’opinions, ne peut qu’éloigner de la vérité. Pour Aristote, au contraire, l’art qui reste une imitation peut permettre d’atteindre la vérité. L’âme aurait deux élans distincts vers l’image : pour l’un l’image est le signe de ce qu’elle représente, pour l’autre l’image est une réalité qui s’impose d’elle-même. On ne cesse de débattre sur l’intérêt de l’image pour atteindre le vrai. Et c’est particulièrement le cas dans la religion catholique.
La représentation, un débat sans fin
La Bible dit : « Tu ne te feras aucune image taillée, rien qui ressemble à ce qui est dans les cieux, là-haut, ou sur la terre, ici-bas, ou dans les eaux, au-dessous de la terre » (Exode 20, 4 ; cf. aussi Deut. 5, 8). Cependant, Jack Goody (2006) montre que la règle comporte quelques rares exceptions : Dieu aurait lui-même demandé et inspiré la création de l’arche d’alliance qui porte deux chérubins d’or forgé. Et Moïse a sculpté le serpent d’airain. L’Eglise porte tout au long de l’histoire un regard spécifique sur les pratiques marginales. Et, comme dans la plupart des sociétés et religions, le discours de l’Eglise sur le rapport à l’objet et aux représentations de l’invisible fluctue au court du temps, classant souvent ce rapport matériel avec les pratiques marginales combattues par l’institution officielle. L’autorité religieuse n’apprécie guère les dévotions populaires qu’elle qualifie parfois de blasphématoires, de barbares ou, à moindre échelle, de superstitieuses. Elle n’a néanmoins pas toujours le même point de vue radical. Jack Goody, dans son ouvrage intitulé La peur des représentations, retrace l’histoire des réactions face aux représentations iconographiques. Il nous montre tout d’abord que le problème de la représentation du « Créateur » est récurent dans beaucoup de sociétés. Car, par exemple, ce ne serait que vaine tentatives que d’essayer d’approcher la réalité ainsi, car les dieux ne sont souvent pas perceptibles visuellement. D’autres raisons plus sociales et politiques sont également à prendre en compte, comme l’accusation d’un trop grand luxe attribué aux représentations figuratives, par exemple. L’iconoclasme est toujours plus ou moins présent un peu partout. Il connaît des variations, revenant de plus belle de manière épisodique. Le rejet de l’icône et ses fluctuations sont observables dans les diverses régions du monde et diverses religions : Proche-Orient, par exemple, Bouddhisme primitif où l’iconoclasme était surtout une dénonciation du luxe. Mais Jack Goody affirme que le rejet des arts représentatifs est plus radicalement présent dans les « cultures écrites », bien qu’il y soit implicitement présent dans les autres cultures. En fait, l’écriture apporterait selon Goody une réflexion plus accrue. N’y voyons pas là pour autant une idée que les membres des sociétés à « cultures orales » ne sont pas capables de raisonner. Néanmoins, la question pourrait être gênante si elle n’est pas traitée avec assez de rigueur. Quoiqu’il en soit, elle ne nous sera pas utile ici
L’Eglise face aux pratiques populaires
L’Eglise s’oppose fermement aux croyances « magiques et merveilleuses » (Berthod, 2010 : 36) autour des objets. Elle s’oppose tout autant à une « religion à la carte » (ibid.), comme si elle voulait avoir le contrôle sur la cosmologie et les pratiques de la population. Mais voyant que les pratiques populaires persistent, l’autorité catholique comprend qu’elle doit accepter un minimum de ces conceptions et pratiques en se les appropriant et en les modifiant. Odile Vincent, lorsqu’elle étudie les ostensions en Limousin en dresse la brève histoire et constate que « les communautés locales, lorsqu’elles prennent en main la vénération des reliques de leur saint patron, se trouvent en position de requérir les compétences du clergé au service de l’avènement de ce saint ; et les prêtres sont bien obligés de s’exécuter s’ils veulent conserver le peu d’audience qui leur est encore accordée dans cette région » (Vincent O., 2002 : p.103). De la même façon que les reliques, des produits alimentaires ou objets de consommation courante sont transformés en sacramentaux. Mais ce mouvement, bien que toujours un minimum présent, s’estompe après le concile du Vatican II au profit d’un retour au Verbe et à la Parole. « Le culte des reliques est codifié et la congrégation catalogue les objets qui permettent aux fidèles d’obtenir des bienfaits spirituels et donne l’exemple en distribuant agnus dei, chapelets et médailles. » (ibid. : 35) Ayant déjà, au court du temps, encouragé les dévotions au Père, à l’Esprit, Marie et même le lieu de pèlerinage ou encore l’ange gardien, l’Eglise trouve de nouveaux enjeux pour en encourager davantage ; à savoir sa nouvelle concurrence avec le protestantisme : « Face au protestantisme qui récuse les « bondieuseries » vendues par les colporteurs, la ContreRéforme catholique utilise l’objet de dévotion pour toucher la sensibilité » (Hennique, 2010 : 21). Un nouvel accroissement des objets de dévotion s’observe justement à partir du XVIe siècle. L’autorité catholique autorise donc des dévotions populaires mais porte une attention particulière à ce qu’elle classe elle-même dans les « superstitions ».
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