LES TECHNIQUES DE BASE DE L’ANALYSE
FINANCIÈRE DES AGENTS
Une analyse financière doit être menée pour tous les agents dont les activités sont significativement modifiées ou qui sont mis en place par le projet. Ces agents ont été repérés au cours de l’étude de l’insertion du projet dans l’économie (tableau 2.1). L’analyse sera rapide ou approfondie selon l’importance des modifications pour l’agent et l’importance de l’agent pour le projet. En situation ex-ante (c’est-à-dire avant la mise en œuvre du projet), l’étude financière des agents doit être précédée par : ! les études de marché : taille du marché, estimation de la demande future (nature, quantités, croissance, prix, structure), part du marché visée par le projet, conditions de commercialisation, réglementation, etc. ; ! les études techniques : technologie retenue, dimensionnement, besoins en intrants, besoins en formation, localisation, etc. Bien qu’elle interagisse avec ces études, elle requiert, pour pouvoir être mise en œuvre, que le marché et les principales solutions techniques aient été envisagés, quitte à les modifier par la suite. En situation ex-post (c’est-à-dire après la fin du projet), ces différentes études peuvent être lancées simultanément, l’analyse financière pouvant même précéder les autres afin d’en orienter les contenus. L’objet de l’analyse financière est de : ! comprendre le fonctionnement de l’agent à travers l’examen des flux physiques et monétaires ; ! étudier son équilibre financier et la viabilité financière de ses opérations ; ! calculer son efficience et en particulier la rentabilité des capitaux investis. Ce chapitre expose les grandes lignes de l’analyse financière. L’annexe F présente l’analyse financière de façon plus précise pour les agents disposant d’une comptabilité classique d’entreprise.
Les coûts d’investissement
D’un point de vue comptable, les investissements sont définis, comme les moyens de production dont l’utilisation s’étale sur plusieurs exercices (§ B.4). De façon plus large, les investissments sont des mobilisations de ressources à moyen ou long terme dans le but d’en tirer des avantages nets dans le futur. (a) Investissements Les investissements initiaux correspondent à la mise en place de l’outil de production. On identifie l’ensemble des flux : ! liés à l’acte d’investissement : études préalables et recherches, achat des terrains, constructions et génie civil, équipements ; ! résultant de la mise en route du projet : frais de premier établissement, formation du personnel, besoins en fonds de roulement. D’autres investissements seront réalisés en cours d’exploitation afin : ! de maintenir l’outil de production : renouvellements d’équipement, réhabilitations ; ! d’en accroître la capacité de production (ou de la diversifier) : nouveaux équipement, augmentations du fonds de roulement. Enfin, des intérêts intercalaires viennent parfois s’ajouter au montant des investissements. Il s’agit des intérêts sur le capital emprunté payés durant la phase d’investissement initial, avant le démarrage de l’exploitation.
N.B. : En situation ex-ante, le besoin en fonds de roulement doit figurer dans ce tableau. Son calcul, fondé sur les prévisions d’exploitation, est présenté au §
Les apports « en nature »
(sous forme de travail pour la construction d’un système d’irrigation, par exemple) sont des flux non monétaires que l’on comptabilise en leur appliquant la valeur du marché (taux de salaire de la main-d’œuvre journalière, coût de travaux analogues…). Un calendrier des investissements et de leurs renouvellements, en prix constants, est aussi établi. On y fait figurer des provisions pour imprévus (§ (b) suivant). Toutefois, pour les projets dont la phase d’investissement s’étale sur plus d’une année, ou dans les pays à très forte inflation, il convient d’établir un budget des investissements en prix courants afin de permettre à l’organisme de gestion du projet de piloter correctement cette phase.Au fur et à mesure de son utilisation (usure), et du simple fait du temps (obsolescence), le capital productif perd de sa valeur initiale. Dans l’optique de la trésorerie et du bilan des flux, si à l’horizon choisi pour l’analyse on considère que ces investissements ont conservé une valeur marchande (valeur de revente), on en tient compte en incorporant cette valeur aux recettes de la dernière année (en simulant ainsi une revente de ces actifs). Cette valeur résiduelle est introduite dans le dernier exercice bien que, dans la réalité, on ne sache pas si l’exploitation continuera avec les mêmes équipements ou s’ils seront revendus, voire abandonnés. La valeur résiduelle(1) est souvent inscrite négativement sur la ligne des dépenses en investissement. Amortissements Les amortissements représentent la perte annuelle de valeur des investissements (§ B.4). Cette charge calculée – et non réelle – n’apparaît que dans les comptes de production-exploitation (où les dépenses d’investissements n’apparaissent pas en tant que telles), et jamais dans les comptes de trésorerie ou de bilan des flux. Les amortissements sont calculés sur la base de dépense passée(2).
LES TROIS SENS DU MOT AMORTISSEMENT
L’amortissement fiscal : Il vient en déduction du montant du Résultat Brut d’Exploitation pour déterminer le Résultat Net d’Exploitation fiscal servant d’assiette pour l’impôt sur les revenus des sociétés. Pour chaque catégorie d’investissement, son mode de calcul est fixé par l’administration fiscale. Il sert ainsi d’outil d’incitation à tel ou tel type d’investissement : plus l’amortissement est élevé sur les premières années d’utilisation de l’investissement, plus la « récupération » est rapide et plus l’on favorise les investissements en question. L’amortissement technique ou économique : Il est utilisé dans les calculs de prix de revient et les analyses économiques. Relevant du compte d’exploitation, il permet aussi de calculer un RNE, non plus dans un but fiscal mais exprimant le résultat global de l’activité (tenant compte de toutes les charges d’exploitation et de capital). Son mode de calcul ne dépend plus de règles fiscales mais de la durée de vie réelle de l’investissement. Dans cet ouvrage, le terme d’amortissement renvoie à cet amortissement économique. L’amortissement financier : Cette expression désigne les annuités de remboursement d’un emprunt. Il relève donc du compte de trésorerie, et non du compte d’exploitation.
Provisions pour imprévus Elles sont de deux types
les provisions pour aléas techniques. Ces provisions permettent de tenir compte de l’incertitude pesant sur les prévisions techniques et les coûts (en prix constants). Par exemple sur la foi des informations disponibles au moment de la formulation la profondeur des fondations d’un barrage ou d’une école peut être sous-estimée entraînant une augmentation des coûts réels ; de même le mauvais temps peut rendre nécessaire des opérations de pompage sur le chantier entraînant aussi une augmentation des coûts… ! les provisions pour aléas financiers dues aux variations relatives de prix (en prix constants). Il s’agit de l’augmentation d’un bien ou service indépendamment de la hausse générale de prix (donc hors provision pour hausse de prix – voir § A.1). Certains équipements ou pièces détachées sont particulièrement sujets à ces hausses difficiles à prévoir. De même certains biens difficilement substituables peuvent subir des variations plus ou moins rapides de leurs prix du fait de l’évolution du marché, de mesures politiques nouvelles de limitation des importations, de difficultés de production ou parce que l’importance du projet crée une brusque augmentation de la demande. Pour tenir compte de ces aléas techniques et financiers, on prend généralement un pourcentage des estimations initiales totales de coût, le plus souvent entre 5 et 15 %. Cependant, pour les grands postes d’investissement, il est souhaitable de déterminer : ! les postes sur lesquels pèse la plus forte incertitude ; ! l’ordre de grandeur des variations « les plus probables », de façon à justifier le montant du poste « imprévus ». De la sorte, les provisions pour imprévus correspondent à une fourchette raisonnée et à des dépenses vraisemblables… et ne dissimulent pas une insuffisante préparation technique ! Remarque : Des « provisions pour hausse des prix » permettent parfois de passer des prix constants aux prix courants – voir § A.1.
Les coûts et avantages de fonctionnement
On identifie l’ensemble des flux entrants et sortants : ! volume et valeur de la production ; ! valeur des intrants (matières premières, transports, autres services et produits consommés, frais divers de gestion), frais de personnel et impôts et taxes. En analyse ex-ante, on raisonne le plus souvent sur le compte de trésorerie (recettes et dépenses) et de bilan des flux (produits et charges – les flux ne donnant pas lieu à une contrepartie monétaire effective étant valorisés au prix du marché). En situation ex-post, le manque d’information conduit fréquemment à ne disposer de données que pour une partie de la période dploitation (une ou deux années), et l’on raisonne alors sur le compte de production-exploitation (produits et charges). Ces différents comptes sont présentés en annexe D. Pour le compte de trésorerie on ne tient compte que des flux monétaires ayant effectivement lieu au cours de l’année. Pour le compte de production-exploitation et pour le compte de bilan des flux il faut également tenir compte des flux ne donnant pas lieu à contrepartie monétaire (autofournitures, troc en milieux non monétarisés…) ainsi que des variations de stock. Ainsi, dans le cas d’un paysan autoconsommant une partie de sa récolte, vendant une autre partie, produisant ses propres semences et stockant le reste de sa récolte, le produit est alors : Produit = Ventes + Autofournitures + Stock final – Stock initial Il en va de même pour les flux d’intrants : Intrants consommés = Achats + Autofournitures + Stock final – Stock initial
Le montage financier
A partir de la préparation technique du projet et de ses implications financières (coûts d’investissement et flux de fonctionnement), cette étape de l’analyse financière d’un agent consiste à : ! déterminer le fonds de roulement nécessaire au fonctionnement continu et régulier des opérations ; ! élaborer le plan de financement permettant de réaliser les investissements prévus, sans problèmes de solvabilité. Il s’agit de permettre à l’agent, ! de faire face à ses besoins de financement en assurant sa solvabilité : par la constitution du fonds d’un roulement adéquat et par un plan de financement compatible avec ses possibilités de remboursement monétaire ; ! tout en lui garantissant une rentabilité minimale des capitaux investis et, en cas d’entreprise familiale, la couverture de ses besoins minimaux. Ex-ante, en pratique, on effectue des itérations entre la définition des éléments techniques du projet, la comptabilisation des avantages et coûts qu’ils engendrent et le montage financier, jusqu’à obtenir la combinaison d’ensemble la plus satisfaisante. # Figure 3.1. (a) Fonds de roulement Le fonds de roulement est une des formes de l’investissement ; il fait partie de l’outil de production (« capital économique ») de la même façon que les constructions ou les équipements engagés pour le projet. Il s’agit d’un facteur essentiel de la viabilité financière. Le besoin en fonds de roulement provient du « cycle d’exploitation ». Pour réaliser son objet, un agent productif achète, transforme puis vend : c’est le cycle « Achat-TransformationVente ». Au début du cycle l’achat des matières premières, le paiement des salaires, la rémunération des agents commerciaux, le stockage, etc., créent des besoins de financement avant que la vente du produit transformé ne vienne (en fin de cycle) rémunérer l’activité. Ces besoins de financement se renouvellent à chaque cycle. Pour un même produit ces cycles sont souvent continus, s’imbriquant les uns dans les autres, sauf dans le cas des activités fortement saisonnières (agriculture, certaines industries agro-alimentaires, tourisme, industries du jouet…). Ce décalage dans le temps entre les flux monétaires sortants (achats d’intrants) et les flux monétaires entrants (vente du produit) oblige l’agent à disposer de fonds pour faire face à l’excédent de ce qui est dû sur les cycles engagés par rapport à ce qui a été récupéré (par la vente) sur les cycles passés. Ce besoin évolue selon le volume de production (montée en puissance initiale du projet, croissance des activités…). De plus : des délais de paiement sont souvent accordés par les fournisseurs, et, de l’autre côté, des délais de paiement sont consentis aux clients…Financièrement, le cycle d’activité se traduit donc par une immobilisation de capitaux sous forme de stocks (d’intrants et de produits), immobilisation qui est raccourcie par les délais de paiement aux fournisseurs (dettes commerciales), mais prolongée par le délai de paiement accordé aux clients (créances commerciales). En termes comptables, le besoin en fonds de roulement d’exploitation (BFRE) est ainsi égal à : BFRE = Stocks produits + Stocks intrants + Sommes dues par clients – Sommes dues aux fournisseurs Remarque : Il faut généralement prévoir un fonds de roulement supérieur au BFR d’exploitation du fait de la nécessité de financer également la trésorerie (besoins résultant du service de la dette, par exemple). L’accroissement d’activité durant les premières années (période de montée en puissance du projet), ou à certaines phases du projet (nouvel investissement…) se traduit par des augmentations du fonds de roulement servant à financer de manière stable l’augmentation des besoins. On inscrit ces augmentations du fonds de roulement au fur et à mesure en investissements. A la fin de la durée de vie du projet, le montant total du fonds de roulement constitue une valeur résiduelle et doit donc, à ce titre, faire l’objet d’une « reprise » du fonds de roulement.