LES SYSTÈMES NANO-ÉLECTROMÉCANIQUES
Un NEMS est un oscillateur mécanique à l’échelle mésoscopique pour lequel l’interface avec l’extérieur est gérée par des phénomènes électriques. La figure 1.2 illustre le concept général d’un NEMS : un signal électrique est traduit en excitation mécanique pour notre résonateur mésoscopique (dans le cas où l’on veut exciter le système, sinon cette étape est optionnelle) puis la réponse mécanique est transformée en signal électrique pour être mesurée. Il est également possible d’appliquer toute une variété de perturbations mécaniques pour modifier la résonance de l’oscillateur. La figure 1.3 montre un exemple de ce genre de système. Dans ce cas le système mécanique est un nanofil de silicium doublement encastré. Un signal électrique permet d’exciter la résonance via par exemple un moteur piézoélectrique monté sur une plaque en dessous du système. Un interféromètre optique permet une détection précise du mouvement qui est converti en signal électrique avec une photodiode .
Les avantages des NEMS et leurs applications
Les NEMS ont de nombreux avantages. Dans un système mécanique, typiquement un système masse ressort, la fréquence de résonance peut s’exprimer comme 2πf0 = k/m avec k la raideur du ressort et m la masse de l’oscillateur. Il s’avère que la vibration d’un NEMS peut mathématiquement s’apparenter à un système masse ressort avec une masse et une raideur effectives [12]. Les NEMS ayant de faibles masses (jusqu’à 10−18 grammes), ils peuvent atteindre de hautes fréquences de résonance, et donc des temps de réponse rapides, sans la nécessité d’être très rigides. Une autre caractéristique est qu’ils dissipent peu d’énergie, ce qui est dû à leur facteur de qualité élevé (bien plus élevé que ceux des circuits électriques [6]). En conséquence ils sont extrêmement sensibles aux mécanismes de dissipation externe, ce qui est crucial pour un grand nombre de capteurs. En outre, le bruit thermomécanique y est réduit (ce bruit étant l’équivalent du bruit Johnson pour les circuits électrique, i.e des fluctuations de tension/position dues à l’interaction avec un bain thermique) car il est inversement proportionnel au facteur de qualité. Les variations aléatoires de position y sont fortement réduites, en faisant de bons candidats pour des capteurs de force ultra sensibles [13, 14]. La combinaison d’un bon facteur de qualité et d’une fréquence de résonance élevée en font également de bons candidats pour le traitement du signal [15]. Leur très faible masse les rend également extrêmement sensibles à un ajout d’une quantité infime de matière, en faisant d’exceptionnels capteurs de masse pouvant détecter des yoctogrammes (10−24g) [16, 17, 18]. Du fait de leur très petite taille leur réponse spatiale est très localisée. De plus leur design peut être étudié de façon à ce que l’élément vibrant ne soit sensible qu’à des forces dans une direction spécifique. Cet aspect a largement été développé dans la création de sondes pour la microscopie notamment avec la microscopie à force atomique [19, 20]. Enfin les NEMS consomment très peu de puissance. La puissance fondamentale requise est dictée par le rapport entre l’énergie thermique kBT et le temps de réponse de l’oscillateur Q/ω0 avec ω0 la fréquence de résonance f0 multipliée par 2π. A température ambiante, c’est à dire 300K, la vibration d’un NEMS est noyée dans le bruit thermomécanique seulement s’il est alimenté avec une puissance d’un attowatt (10−18W). En l’alimentant avec un picowatt (10−12W) on peut alors espérer un rapport signal sur bruit de 106. Ainsi l’opération d’un million de NEMS dans ces conditions ne consommerait qu’un microwatt (10−6W), ce qui reste quatre ordres de grandeur inférieur au coût d’opération d’un processeur électronique conventionnel (comportant quelques dizaines de millions de transistors).
Le facteur de qualité mécanique
Généralités sur le facteur de qualité
Facteur de qualité et amortissement
Le facteur de qualité est une grandeur en mécanique qui est liée à la dissipation d’un système oscillant. Prenons le cas d’un système masse ressort. On obtient l’équation d’un tel système avec la seconde loi de Newton appliquée à la masse m en déplacement selon un axe x : mx¨ + kx = 0 (1.1) Avec k la constante de raideur du ressort. Si on suppose qu’à t = 0 la masse était déplacée d’une distance x0 par rapport à sa position d’équilibre en x = 0 alors cette équation admet pour solution x(t) = (x0 exp(iω0t)) = x0 cos(ω0t) avec k = mω2 0. La masse va osciller indéfiniment autour de sa position d’équilibre avec une amplitude absolue 2×0 et avec une pulsation ω0, l’énergie du système se conserve. Pour modéliser plus fidèlement ce qu’il se produit quand on fait l’expérience on introduit en général une force supplémentaire. Le rôle de cette force est de modéliser la dissipation d’énergie du système. A cause des frottements avec le milieu extérieur (avec l’air environnant, avec le support sur lequel repose la masse…), le système perd de l’énergie. On introduit donc une force de dissipation visqueuse avec un coefficient constant, et cette force est proportionnelle à la vitesse de déplacement de la masse (dans un milieu visqueux, à résistance égale il est plus coûteux de se déplacer plus vite). mx¨ + mγ0x˙ + kx = 0 (1.2) Pour résoudre cette équation on cherche des solutions sous la forme A exp(rt), comme pour l’équation précédente. On aboutit à la résolution d’un polynôme caractéristique de second ordre : r2 + γ0r + ω2 0 = 0 (1.3) La variété des solutions obtenues dépend du signe du discriminant Δ = γ2 0 − 4ω2 0. Le cas qui nous intéresse le plus est celui du faible amortissement car les systèmes que nous étudierons par la suite sont sous vide, le frottement y est donc faible. Dans ce cas Δ = γ2 0 − 4ω2 0 < 0 et les solutions sont complexes.
Définition du facteur de qualité
Il existe deux définitions courantes du facteur de qualité. La première que nous avons déjà évoqué sans vraiment l’expliquer utilise les grandeurs du domaine fréquentiel. Elle stipule que Q = ω0/γ0, quand on a la réponse Lorentzienne le facteur de qualité est donc obtenu en divisant la fréquence centrale par la largeur. L’autre définition fait le lien entre l’énergie stockée dans l’oscillateur W et l’énergie dissipée par cycle d’oscillation ΔW : Q = 2πW/ΔW. Le lien entre ces deux définitions n’est pas vraiment trivial puisque, bien qu’équivalentes, ces deux définitions ne peuvent pas se comparer telles quelles (terme à terme). Pour éclaircir cela nous revenons à l’équation de l’oscillateur et nous raisonnons énergétiquement. Supposons un oscillateur harmonique amorti forcé à sa fréquence de résonance : mx¨ + mγ0x˙ + kx = F0 cos(ω0t) (1.11) Le système va répondre à l’excitation à la fréquence de résonance avec une amplitude x0 et un déphasage φ : x(t) = x0 cos(ω0t − φ). La force dissipative dans ce système est la force de frottement.
Canaux de dissipation multiples
Supposons que l’on ait plusieurs canaux de dissipation, à chacun de ces canaux on peut attribuer un facteur de qualité. Comment exprimer alors le facteur de qualité global du système ? Supposons que l’on ait un système masse ressort avec plusieurs forces de friction, chacune représentée par un dissipateur visqueux. La situation se représente comme sur la figure 1.4. Les différentes forces, indépendantes entre elles, s’appliquent en parallèle et chaque Atteindre un facteur de qualité élevé Atteindre un facteur de qualité extrêmement élevé reste un enjeu important pour de nombreuses applications. En effet les systèmes micro et nano-fabriqués approchent les limites fondamentales de la dissipation [26]. Une bonne compréhension des divers phénomènes de dissipation permet cependant d’atteindre des facteurs de qualité toujours meilleurs. Il existe pour cela une variété de méthodes.
Des températures cryogéniques
Comme nous l’avons vu précédemment, la dissipation totale dans un résonateur se décompose en différents canaux et il s’avère que certains d’entre eux sont sensibles à la température. Ainsi si ces derniers sont ceux qui dissipent le plus d’énergie, un changement de température peut aider à augmenter le facteur de qualité. Parmi les canaux fréquemment considérés on retrouve : la dissipation visqueuse par frottement dans l’air, la dissipation thermoélastique (TED), les pertes de surface (SL) et les pertes à l’ancrage du résonateur. Pour ces différents canaux la dépendance en température du facteur de qualité est la suivante : Qair ∝ 1/ √ T (à basse pression dans une chambre hermétique), QTED ∝ 1/T a avec a ∼ 2, 36. Dans une situation où ces mécanismes sont dominants une baisse de température s’accompagne donc d’une augmentation du facteur de qualité. Les deux autres types de dissipation ne dépendent pas de la température. La dissipation de surface devient importante pour des résonateurs de taille réduite car le ratio surface volume augmente. Sur la surface on peut avoir des impuretés, des adsorbats, des défauts d’arrangement cristallin qui peuvent induire une dissipation d’énergie. Ainsi réduire la taille d’un oscillateur augmente l’impact de ces défauts et peut s’accompagner d’une chute de facteur de qualité. Des modèles quantitatifs ont été développés pour modéliser ce phénomène [28] et expérimentalement un recuit permet d’augmenter significativement le facteur de qualité des oscillateurs de petite taille . La dissipation à l’ancrage sera abordée juste après cette section et il existe bien évidemment d’autres mécanismes de dissipation non évoqués ici. Des simulations ont été menées pour des nanotubes de carbone mono feuillet en configuration encastré libre via une méthode de dynamique moléculaire. Le résultat est présenté en figure 1.5, on y voit que le facteur de qualité a une dépendance en 1/T0,36 avec la température T. Des expériences à des températures cryogéniques ont été menées sur ces configurations et sur d’autres et des Q égaux voire supérieurs ont été atteints, avec des valeurs pouvant atteindre 106 . En revanche à température ambiante les valeurs sont en dessous des prédictions et dénotent d’un manque de compréhension de certains mécanismes de dissipation.
L’ingénierie de contact et de contrainte
Outre le changement de température on peut faire varier le facteur de qualité en jouant sur des aspects plus mécaniques : il s’agit de l’ingénierie de contact (qui concerne la dissipation à l’ancrage que nous avons mis de côté précédemment) et de l’ingénierie de contrainte. L’ingénierie de contrainte exploite le phénomène appelé dilution de dissipation. Nous reviendrons plus en détail sur ce phénomène dans le chapitre 2 mais nous l’expliquons succinctement ici. Si on reprend la formule Q = ω0/γ0 alors on voit que si on augmente la fréquence de résonance ω0 en conservant la largeur de la résonance γ0 constante alors on augmente Q. Autrement dit on augmente la raideur de l’oscillateur sans ajouter de dissipation. dissipateur visqueux a son propre coefficient : c1 = mγ1 et c2 = mγ2 associé à des facteurs de qualité Q1 et Q2.