Les systèmes élastiques désordonnés
en général
Les systèmes élastiques désordonnés sont des systèmes physiques relativement diérents en première approche, mais présentant en réalité des caractéristiques communes. Ces propriétés sont intimement liées au fait que tous ces systèmes sont décrits par les mêmes équations au niveau macroscopique. Les systèmes considérés peuvent se regrouper en deux grandes catégories : les interfaces (ou variétés) et les systèmes périodiques. En ce qui concerne les interfaces, en voici une liste non exhaustive : les parois de domaines dans les ferromagnétiques et les ferroélectriques, la ligne de contact d’un uide sur un substrat désordonné, le front d’imbibition d’un liquide dans un milieu poreux, la propagation de fronts de fracture. Pour ce qui est des systèmes périodiques nous pouvons citer les ondes de densité de charge, les réseaux de vortex dans les supraconducteurs de type II, les colloïdes, les bulles magnétiques, les cristaux de Wigner. Dans tous ces systèmes il existe une structure interne élastique soumise aux eets du désordre existant dans le matériau. Cette structure « interne » est un objet unique dans le cas des interfaces alors que pour les systèmes périodiques elle correspond aux structures cohérentes se formant au sein des systèmes concernés. L’existence d’une énergie élastique au sein du système tend à ordonner la structure, pour une variété on aura alors un « lissage » de l’interface qui préfère être plate, alors que pour les systèmes périodiques nous aurons un réseau périodique des diérents objets caractérisant le système. Le désordre quant à lui va s’opposer à cet équilibre en déformant la structure an de minimiser l’énergie globale du système. Ce désordre peut être intrinsèque et provenir de défauts dans le matériau (impuretés, lacunes …) ou bien extrinsèque en étant créé articiellement par l’expérimentateur.
Une compétition entre l’élasticité du système et le désordre s’installe alors et conduit à un problème d’une grande richesse de par son aspect vitreux : le paysage énergétique du système n’est pas trivial et présente de nombreux états métastables. De plus, et pour compliquer encore un peu le problème, une caractéristique propre à tous ces systèmes élastiques désordonnés provient du fait qu’ils peuvent être mis en mouvement en leur appliquant une force extérieure : la présence du désordre va donc modier leur mouvement naturel obtenu en absence de ce dernier. Nous sommes naturellement amenés à nous demander quelles sont les propriétés statiques et dynamiques de tels systèmes ? Pour ce qui est des propriétés d’équilibre nous pouvons nous demander comment varient les déplacements d’une interface avec la distance, ou bien qu’en est-il de l’ordre translationnel concernant les structures périodiques ? Et lorsque le système est hors-équilibre comment se met-il en mouvement, quelle est la nature de la phase en mouvement, la température joue-t-elle un rôle important sur sa dynamique ? etc … Ces questions, en apparence anodines, sont essentielles d’un point de vue expérimental étant donné les applications industrielles possibles. Deux exemples pertinents sont la création et le contrôle des parois de domaines de diérentes aimantations dans les ferromagnétiques, omniprésents dans les espaces de stockage magnétique (disques durs principalement), ou encore le contrôle des vortex dans les supraconducteurs de type II an de les piéger et d’éviter ainsi toute dissipation d’énergie néfaste à l’état supraconducteur, avec pour application évidente le transport de courant sans perte par eet Joule.
Deux types de structures
Dans cette section nous allons présenter diérents systèmes élastiques partageant les caractéristiques communes citées dans l’introduction. Nous tenterons d’avoir une approche principalement phénoménologique en insistant surtout sur les aspects microscopiques des diérents systèmes présentant des observations expérimentales similaires.
Interfaces
Nous commençons par présenter diverses réalisations expérimentales pouvant être décrites par le modèle d’interfaces élastiques en milieu aléatoire. Nous nous intéresserons principalement aux parois de domaines dans les ferromagnétiques et ferroélectriques, puis la ligne de contact d’un uide sur un substrat désordonné et enn nous verrons les fronts de fracture dans les matériaux hétérogènes.
Parois de domaine ferromagnétique/ferroélectrique
Ferromagnétiques Un matériau ferromagnétique est un matériau possédant une aimantation spontanée, c’est-à-dire que son aimantation a une valeur nie même lorsque le champ magnétique appliqué est nul. Les matériaux ferromagnétiques les plus courants sont le fer, le cobalt le nickel et certains alliages. Selon la température du matériau une transition de phase est attendue théoriquement : en dessous d’une température « critique » appelée température de Curie Tc, une phase ferromagnétique apparait où les moments magnétiques des atomes sont alignés parallèlement entre eux et créent ainsi une aimantation macroscopique spontanée. Pour des hautes températures avec T > Tc le matériau se trouve dans une phase paramagnétique où l’énergie thermique apportée est plus forte que l’interaction d’échange générant ainsi une orientation aléatoire des moments magnétiques et donc une aimantation macroscopique nulle. Pour avoir une idée de l’ordre de grandeur de la température de Curie on peut retenir que Tc = 1043 K i.e. environ 770C pour le fer En réalité dans la phase ferromagnétique des régions d’aimantation homogène, appelées domaines de Weiss existent, séparées par des interfaces que l’on nomme parois de Bloch. Imaginons deux domaines magnétiques d’un matériau ultramince à anisotropie uniaxiale (un seul axe de facile aimantation) ayant chacun une aimantation de même direction mais de sens opposé comme sur la gure 1.1. En appliquant un champ magnétique à cet échantillon nous aurons alors un retournement des moments magnétiques du domaine ayant une aimantation de sens opposé au champ magnétique. Le retournement des moments magnétiques va commencer au niveau de l’interface entre les deux domaines (ou par les bords de l’échantillon) an de minimiser la variation d’énergie. Lorsque la valeur du champ magnétique appliqué augmente, les moments magnétiques s’orientent progressivement dans la direction du champ induisant ainsi un déplacement de la paroi de domaine. Ainsi en faisant varier le champ magnétique appliqué nous arrivons à contrôler le déplacement de la paroi des domaines magnétiques. Comme on peut le voir sur l’exemple de paroi de domaine magnétique [1] de la gure 1.2, la paroi n’est pas plate mais présente une rugosité due à la présence de désordre magnétique (par exemple des défauts intrinsèques qui proviennent d’irrégularités dans la structure à l’échelle nanométrique du lm, entre autres les cristallites et leurs frontières etc … ou bien des défauts extrinsèques à une plus grande échelle (mésoscopique) tels que des impuretés …). Cette frontière entre deux domaines d’aimantations diérentes est un exemple expérimentalement accessible de la rugosité d’une interface élastique où la force élastique provient de l’interaction d’échange et le champ magnétique permet de déplacer la paroi dans le milieu désordonné. On se rend compte ici que la compréhension du phénomène de piégeage de l’interface, et donc de sa rugosité, possède un intérêt industriel évident : un lissage de la paroi qui sépare les diérents domaines permettant de représenter les bits informatique optimiserait l’ecacité des supports magnétiques tels que les disques durs.
Ferroélectriques
Les matériaux ferroélectriques présentent des caractéristiques qui ne sont pas sans rappeler celles des ferromagnétiques, c’est pourquoi le vocabulaire utilisé pour les ferroélectriques leur a été en majeure partie emprunté. Nous proterons de cette analogie pour présenter brievement les ferroélectriques. Un matériau ferroélectrique est un matériau possédant un moment dipolaire électrique permanent. Tout comme pour les ferromagnétiques, il existe une transition de phase au sein de tels matériaux : à basse température ils présentent une polarisation macroscopique spontanée (somme vectorielle des moments dipolaires microscopiques) et le système se trouve dans la phase dite ferroélectrique, alors que pour des températures supérieures à une température dite de Curie ferroélectrique Tc, les moments dipolaires sont orientés de façon aléatoire et la polarisation est nulle, le système est dans la phase paraélectrique. Un champ électrique extérieur peut être appliqué pour orienter les moments dipolaires dans le même sens. La ferroélectricité ne se rencontre que dans quelques structures cristallines particulières telles que les pérovskites (par exemple BaT iO3 qui possède une température de Curie ferroélectrique Tc ‘ 400 K). Lorsque le matériau est dans un état ferroélectrique les moments dipolaires s’ordonnent spontanément dans des directions déterminées par la structure cristalline et créent des domaines ferroélectriques présentant une polarisation spontanée et dont l’orientation varie d’un domaine à l’autre.