L’information quantique
La theorie de l’information remonte aux annees cinquante, avec la contribution majeure de Claude Shannon [Shannon48] qui introduisit les outils n´ecessaires pour quantifier la notion d’information, et de ce fait les ressources necessaires `a sa manipulation et `a son stockage. Il a ´egalement pos´e les bases th´eoriques de la compression des donn´ees, et des codes correcteurs d’erreurs. L’information est encod´ee en utilisant les symboles d’un alphabet, pouvant ˆetre compos´e d’un ensemble d’´el´ements discret, c’est le cas du codage num´erique prenant les valeurs 0 ou 1, ou d’un ensemble d’´el´ements continu, comme pour le codage analogique. Dans les deux cas, les ´el´ements de l’alphabet peuvent correspondre `a di↵´erents ´etats d’un syst`eme physique. Les ´etats 0 et 1 peuvent par exemple ˆetre stock´es dans une m´emoire en utilisant deux ´etats d’aimantation d’un mat´eriau, et le codage analogique peut correspondre `a l’amplitude d’une tension ou d’un champ ´electromagn´etique. Tous ces syst`emes ont la particularit´e d’ˆetre d´ecrits par les lois de la physique classique, du fait de leur taille macroscopique. En revanche, depuis quelques d´ecennies il a ´et´e r´ealis´e que les propri´et´es de base des syst`emes quantiques pouvaient ˆetre utilis´ees comme des ressources fondamentales pour traiter et communiquer de l’information, donnant naissance `a un domaine en plein d´eveloppement : l’information quantique.
En codant un bit sur deux ´etats |0i et |1i d’un syst`eme physique ob´eissant aux lois de la physique quantique – niveaux d’´energie d’un atome, ´etats de vibration dans un pi`ege, polarisation d’un photon, etc…– le bit quantique, ou qubit, peut se trouver dans une superposition arbitraire c0|0i+c1|1i alors que le bit classique ne peut ˆetre que dans l’´etat 0 ou 1. Cette superposition est `a la base du calcul quantique, qui l’exploite afin de pouvoir r´esoudre certains probl`emes exponentiellement plus rapidement qu’avec un ordinateur classique. De nombreux syst`emes physiques font l’objet de recherches actives : atomes, ions, photons, supraconducteurs, etc. . . Chacun de ces syst`emes poss`ede ses propres avantages et ses limites pour une mise en oeuvre efficace. Exploiter ces propri´et´es quantiques reste un formidable d´efi technologique, tant elles sont fragiles et tendent `a ˆetre estomp´ees par l’environnement externe et les imperfections exp´erimentales. Beaucoup de recherches sont e↵ectu´ees en vue de trouver des impl´ementations robustes et utilisables `a grande ´echelle.
Les corr´elations quantiques, ainsi que le principe d’incertitude de Heisenberg – selon lequel certaines grandeurs quantiques ne peuvent pas ˆetre d´etermin´ees en mˆeme temps – ont permis de d´evelopper les communications quantiques, dont l’exemple le plus avanc´e est la cryptographie quantique, qui commence `a atteindre un stade commercial. La cryptographie quantique, plus pr´ecis´ement la distribution quantique de cl´e, consiste `a transmettre une chaine de bits entre deux partenaires, `a travers un environnement sous le contrˆole d’un espion tentant d’intercepter la communication. L’information est le plus souvent transmise en utilisant de la lumi`ere envoy´ee dans une fibre optique, ou se propageant `a l’air libre. Sa grande force est de garantir que la cl´e extraite en e↵ectuant un certain nombre de manipulations sur les donn´ees sera parfaitement secr`ete, quelles que soient les ressources physiques dont dispose l’espion. Elle peut ensuite ˆetre utilis´ee pour coder un message, soit avec des algorithmes utilisant des cl´es plus courtes que le message `a transmettre, soit en utilisant une cl´e de la mˆeme longueur que le message, ce qui rend ce dernier parfaitement ind´echi↵rable. Ce secret est cependant obtenu au prix de d´ebits pouvant ˆetre tr`es faibles compar´es `a ceux atteints aujourd’hui par les communications classiques standards.
Ce taux de cl´e secr`ete est d’autant plus faible que le canal quantique introduit des pertes et du bruit, et peut mˆeme devenir nul si les conditions de la transmission sont trop d´efavorables. Les recherches sur les di↵´erents protocoles de cryptographie quantique visent `a am´eliorer ces performances, tout en n´ecessitant un dispositif exp´erimental le plus simple possible, voire afin de pouvoir utiliser les technologies telecom tr`es avanc´ees. L’information quantique ne se limite toutefois pas au calcul quantique et `a la cryptographie quantique. De nombreux autres protocoles permettent d’utiliser les ressources quantiques pour le traitement de l’information. Enfin, deux domaines, plus ou moins disjoints, peuvent ˆetre di↵´erenci´es : celui o`u l’information est cod´ee sur un ensemble d’´etats discret. On parle alors de variables discr`etes ; et celui o`u l’information est cod´ee sur un ensemble d’´etats continu, comme l’amplitude du champ ´electrique. On parle alors de variables continues. Certains syst`emes physiques sont naturellement d´ecrits par des variables discr`etes ou continues : les niveaux d’´energie d’un atome sont discrets, tout comme les ´etats d’excitation d’un oscillateur harmonique, alors que la position ou l’impulsion d’un ´electron sont continues. D’autres syst`emes, comme le champ ´electromagn´etique quantique, peuvent ˆetre aussi bien d´ecrits par des variables discr`etes que par des variables continues. Le photon, quantum d’´energie par nature indivisible, semble ˆetre naturellement d´ecrit par des variables discr`etes, toutefois, le champ ´electromagn´etique qui lui correspond prend des valeurs continues.
Variables discretes
On parle g´en´eralement de variables discr`etes lorsque l’information est encod´ee dans un sous espace de dimension finie, associ´e `a un spectre discret. Le codage utilise deux ´etats quantiques orthogonaux pour former un qubit, g´en´eralisant ainsi la notion de bit classique. Ces deux ´etats, traditionnellement d´enomm´es |0i et |1i, correspondent aux deux valeurs 0 et 1 d’un bit classique. Alors que classiquement un bit ne peut prendre qu’une seule de ces deux valeurs `a la fois, la physique quantique autorise une superposition quelconque ↵|0i+3|1i, avec |↵|2+|3|2=1. Cette possibilit´e de superposition est au coeur des algorithmes de calculs quantiques surpassant leurs homologues classiques. Les qubits peuvent ˆetre form´es `a l’aide d’une multitude de syst`emes physiques : niveaux atomiques dans des ions ou des atomes neutres, mat´eriaux supraconducteurs, mol´ecules, … et bien sˆur avec les ´etats du champ lumineux. Les ´etats de Fock, discrets par natures, peuvent ˆetre utilis´es pour former un qubit en utilisant simplement les ´etats |0i et |1i, contenant respectivement z´ero et un photon. Cet encodage pose toutefois de nombreux probl`emes technologiques (efficacit´e des d´etecteurs pour d´etecter le vide, e↵et des pertes, …) qui peuvent ˆetre en partie contourn´es en utilisant un encodage avec un photon dans deux modes di↵´erents, par exemple deux ´etats de polarisation |Hi et |Vi.
Pour le calcul quantique, cet encodage permet de r´ealiser tr`es simplement les portes quantiques `a un qubit (par exemple les rotations, la porte de Hadamard) `a l’aide de lames s´eparatrices et de lames `a retards. Nous reviendrons plus en d´etail sur ces portes dans le chapitre 6 concernant la caract´erisation d’une porte de phase. Les photons uniques ont de plus l’avantage d’ˆetre relativement r´esistants au bruit, et de permettre des transformations donnant une tr`es bonne fid´elit´e [Loock11]. L’inconv´enient majeur est par contre la difficult´e `a faire interagir les photons pour former des portes `a deux qubits. Les mat´eriaux non lin´eaires ne pr´esentent pas une efficacit´e suffisante pour assurer un couplage entre deux photons uniques, si bien que d’autres alternatives doivent ˆetre utilis´ees. L’une d’entre elles est par exemple l’utilisation de non lin´earit´es g´eantes dans les atomes de Rydberg [Peyronel12, Sa↵man10]. Une autre approche tr`es prometteuse est d’utiliser des non lin´earit´es induites par des mesures [Knill01, O’Brien03, O’Brien07], associ´ees avec le principe de la “t´el´eportation de portes quantiques” [Gottesman99]. Une op´eration quantique arbitraire peut alors ˆetre r´ealis´ee avec de l’optique lin´eaire et des compteurs de photons, mais de mani`ere probabiliste. Un fonctionnement “quasi d´eterministe” est en th´eorie possible, mais n´ecessite une quantit´e de ressources difficilement int´egrable `a grande ´echelle, mˆeme si des am´eliorations du protocole existent [Kok07].
De nombreux protocoles de communications quantiques utilisent un encodage discret sous forme de qubit. Outre les protocoles de t´el´eportation quantique [Bennett93, Bouwmeester97], citons par exemple le fameux protocole de cryptographie quantique BB84 [Bennett84]. Le principe est relativement simple : Alice choisit al´eatoirement un des quatre ´etats |0i, |1i, |+i= 1 p2 ( |0i+|1i), ou |−i= 1 p2 ( |0i− |1i), qu’elle envoie ensuite `a Bob. Ce dernier choisi al´eatoirement une base de mesure { |0i, |1i} ou {|−i, |+i}, qu’il r´ev`ele ensuite `a Alice, en gardant le r´esultat de sa mesure secret. Tout un ensemble d’algorithmes classiques permettent ensuite d’extraire une cl´e parfaitement secr`ete d’un ´eventuel espion, dont la taille d´epend bien sˆur des conditions exp´erimentales. En plus de la faible interaction entre photons uniques, les variables discr`etes posent un certain nombre de d´efis technologiques qui ne sont pour l’instant pas compl`etement surmont´es. Un des plus importants est que les photons uniques sont difficiles `a produire de mani`ere d´eterministe dans un mode pr´ecis. De nombreuses sources de photons existent [Grangier04], mais en g´en´eral le photon est soit ´emis de mani`ere d´eterministe mais dans un mode al´eatoire (par exemple avec des atomes pi´eg´es [McKeever04, Darqui´e05, Hijlkema07], ou les centres NV du diamant [Kurtsiefer00, Brouri00]), soit ´emis dans un mode pr´ecis mais de mani`ere non d´eterministe (par exemple avec la fluorescence param´etrique). La d´etection est un autre facteur limitant des variables discr`etes. Le d´etecteur le plus courant est la photodiode `a avalanche (APD), qui indique plutˆot la pr´esence “d’au moins un photon” sans en pr´eciser le nombre, avec une efficacit´e d’environ 50 %. D’autres syst`emes permettent de r´esoudre le nombre de photons avec une meilleure efficacit´e, mais au prix d’une mise en oeuvre technique contraignante et/ou d’une plus grande lenteur (par exemple les d´etecteurs de types VLPC [Waks03], ou supraconducteurs [Rosenberg05]).
1 Introduction |