Les structures en AVOIR du chinois
Typologie des constructions existentielles et présentatives – précisions terminologiques
Verbe existentiel et phrase existentielle
Yǒu Ŭ est considéré le verbe existentiel du chinois par excellence. Cependant, lorsqu’on parle de « phrase existentielle » dans la littérature concernée on se réfère plus généralement à une construction syntaxique particulière comportant un élément locatif en position préverbale, et où le SN dénotant l’entité dont l’existence est assertée est placé en position postverbale (Teng 1978 ; Huang 1987), correspondant à la configuration qu’on désigne par « phrase existentielle » d’un point de vue typologique (voir le chapitre I, section 1.2.2.2 pour une discussion en linguistique générale et le chapitre V, section 5.1 pour les détails quant au chinois). En mettant l’accent sur la fonction qu’elles portent, d’autres auteurs parlent de « phrases présentatives » (Huang 2013 : 244). Voici la définition donnée par Li et Thompson (1981 : 510) de la phrase existentielle : « An existential sentence is one that contains the existential verb you or a verb of posture […] such as zuo ‘sit’, tang ‘lie’, or piao ‘float’, describing where something has been put or placed, as its main verb. Existential sentences always signal the existence of the referent of a noun phrase, usually at some place, which we can call the locus. As with all presentative sentences, the noun phrase naming what exists comes immediately after the existential verb » (Li et Thompson 1981 : 510). Chez ces auteurs, les phrases existentielles(monoclausales) en yǒu Ŭ (IV.1a), comme les phrases existentielles incluant un verbe de posture (IV.1b), sont donc catégorisées en tant qu’un sous-type de phrases présentatives.
« Structure présentative biclausale » et « construction clivée »
Nous avons vu (dans le chapitre 3) que d’après certains auteurs dont notamment Lambrecht (1988a, 2001, 2004), Léard (1992), Verwimp et Lahousse (2016), Karssenberg (2016, 2017, 2018a, 2018b), Karssenberg et Lahousse (2017, 2018), les structures en il y a … qui du français sont incluses dans la catégorie des « clivées », à côté de ses instances considérées prototypiques, comme les tournures introduites par it en anglais et c’est en français. Le terme clivée est une traduction de l’anglais cleft (pp. de cleave ‘to split something in two’) dont l’introduction en linguistique est due à Jespersen (1927). Rappelons que : « [a] cleft sentence is a complex sentence in which a simple sentence is expressed using a main clause and a subordinate clause »141. En l’absence de pronom relatif, les structures présentatives biclausales du chinois ne peuvent pas être qualifiées de « clivées » au sens propre du terme. Remarquons toutefois que la forme en [yǒu + SNF + V] dispose bien d’un équivalent monoclausal [SNF + V] exprimant le même contenu sémantique, ce qui est souvent mentionné comme le critère définitoire des clivées. Or, la forme du chinois ne comporte pas de subordonnée relative, contrairement à l’anglais et au français (il y a Jean qui arrive), étant donné l’absence de pronoms relatifs en chinois.
Le verbe existentiel et possessif yǒu Ŭ
Depuis le premier ouvrage grammatical chinois, le Mashi Wentong publié en 1898, le verbe yǒu Ŭ n’a pas cessé d’intriguer les linguistes (Céng et Wáng 2004). Dans son sens de base, il s’agit d’un verbe exprimant la POSSESSION et l’EXISTENCE. Sa structure prototypique est [SN1 + yǒu + SN2] : (IV.4) «AŬ ž) Zánmen yǒu qiāng. 1PL AVOIR pistolet ‘Nous avons un pistolet.’ (Cài 2004) Sur la base de la relation sémantique entre les deux syntagmes nominaux qui interviennent dans la structure tripartite [SN1 + yǒu + SN2], on distingue souvent comme le font Zhāng et Fàn (1996) trois types de phrases en yǒu, à savoir celles dénotant l’appartenance (lǐngshǔ jù }), la possession (lǐngyǒu jù }/) et l’existence (cúnzài jù À.). Puisque dans la littérature en langue chinoise on considère généralement que le SN préverbal est le « sujet » de la phrase, autant quand il exprime un référent animé (notamment encodé par un 189 pronom personnel) que quand il s’agit d’un SN dénotant la référence spatio-temporelle, cette classification se base sur des critères sémantiques. L’appartenance et la possession renvoient à ce qu’on appelle généralement la possession aliénable et inaliénable, respectivement. Le troisième type « existentiel » de structure en yǒu s’insère dans la catégorie plus large des phrases existentielles, où d’autres verbes peuvent également apparaître dans la position ici occupée par yǒu, indiquant la présence en un lieu donné (SN1) d’une certaine entité (SN2) et en précisant la configuration spatiale (horizontale, verticale, collée sur un support, etc.) – voir la section précédente. En suivant Huang (1987), Cài (2004) énumère les interprétations possibles du verbe yǒu (les termes en anglais correspondant aux termes chinois sont donnés dans l’article d’origine) : • °/ yǒngyǒu (possessive) • À. cúnzài (locative-existential) • Ă[ chéngxiàn (presentational) • g6 wánchéng (perfective) • Ñ[ duàndìng (assertive) Dans son usage possessif (IV.5a) et existentiel (IV.5b), yǒu est considéré comme un verbe à double valence, tandis que dans les autres cas il serait un prédicat mono-argumental se combinant avec une phrase (IV.5c) ou avec un composé verbal (IV.5d et IV.5e), et donc déjà grammaticalisé en « verbe auxiliaire » (les exemples illustrant chacune de ces catégories sont tirés de Cài 2004).
La structure en yǒu biclausale
Dans la typologie de phrase discutée jusqu’ici ([SN1 + yǒu + SN2]), quelle que soit l’interprétation sémantique de yǒu, possessive ou existentielle, nous avons une structure où interviennent deux syntagmes nominaux et le verbe yǒu entre les deux. Nous nous intéressons maintenant aux structures en yǒu biclausales. On peut schématiser la structure de la phrase ainsi : [SN1 + yǒu + SN2 + V2]. L’objet de yǒu – dénotant l’entité introduite dans le discours – est suivi par un syntagme verbal, comme dans l’exemple (IV.12), où rén ‘personne, quelqu’un’ est en même temps l’objet du verbe existentiel yǒu et le sujet du prédicat qui le suit