Les stratégies d’éviction des populations vulnérables
Lorsque l’on parle de développement durable, le volet social concerne les populations les plus vulnérables qu’il faut protéger124. Or requalifier un quartier risque d’entraîner le départ des habitants les plus vulnérables, problème qui a été évoqué tout au long de cette partie, comme s’il était consubstantiel à la réhabilitation des centres anciens. A Marseille, dans le quartier du Panier, les réponses des habitants concernant les conséquences pour les habitants de la rénovation de leur quartier évoquent ce problème : l’expulsion des habitants. « lieu d’accueil pour les immigrés dans des logements dégradés, les habitants sont relogés en mieux à l’extérieur du Panier le plus souvent, peu à peu l’habitat insalubre est rénové, les habitants modestes sont relogés, les logements qui ont été réhabilités sont loués à des populations extérieures à Marseille, plus jeunes et plus aisées » (25-29, profession intermédiaire, La Timone) « Il y a des nouveaux qui arrivent, les logements rénovés ne sont pas pour les vrais habitants du Panier, les habitants eux ne voient pas de changement directement » ( 25-29, demandeur d’emploi, Panier) Les réactions des habitants du Panier, aux opérations de renouvellement urbain sont faites de méfiance et de passivité. « des fois ils critiquent que les autres prennent leurs logements, les habitants se méfient de ceux qui viennent d’ailleurs ; parfois cela créé de la jalousie de la haine de la méfiance » (18-24, demandeur d’emploi, Panier) « la dégradation de l’ambiance par le manque de civilité ; les relations se dégradent entre les anciens habitants et les nouveaux venus » (30-39, cadre, Panier ) La désignation du quartier sous le vocable de parc social de fait, illustre la déshérence des politiques publiques du logement social dans le centre ancien. La concentration de logements indignes, voire insalubres, en toute connaissance de cause, remplace bien des discours convenus sur la mixité sociale. La longue déliquescence du quartier populaire du Panier, trente années durant, provient de décisions publiques, ou plutôt de l’absence de décisions publiques à long terme, en faveur des habitants les plus vulnérables, qui paient le plus lourd tribut de la rénovation. Pourtant, la conduite de politiques publiques du logement social en centre ancien revient, de facto, à la puissance publique. Ce qui consiste à, d’une part améliorer le patrimoine et d’autre part maintenir les populations sur place. Or les résultats constatés125, restent modestes, donc demeurent incapables d’entraîner une dynamique de reconquête à long terme. « Une intervention HLM par le biais d’acquisition-amélioration de logements s’est donc petit à petit développée dans les villes, pour permettre un meilleur contrôle de l’évolution des quartiers anciens au profit d’un habitat social de qualité. »126 Les équilibres à définir entre les prérogatives de la puissance publique et les responsabilités de l’initiative privée, ne figurent que rarement dans les documents ou les études sur la rénovation des centre anciens. D’autre part, les procédures publiques ne tranchent pas clairement entre les dispositifs incitatifs, les démarches persuasives et la contrainte. « Une fois le démarrage positif d’une opération, une autre question se pose : faut-il laisser l’initiative privée générer certains phénomènes spéculatifs ou faut-il engager totalement la puissance publique ? C’est-à-dire doit-on choisir un modèle libéral où la puissance publique interviendrait le moins possible laissant le soin de la réhabilitation à l’initiative privée (propriétaires, promoteurs) en les encourageant seulement grâce à des mesures indirectes ou doit-on choisir un modèle volontariste où l’intervention publique est massive ? »
Les stratégies de résistance de la population traditionnelle
Nous allons essayer de montrer en quoi, les résistances d’une partie de la population à la modernisation des habitations près du centre sont expliquées par la survalorisation foncière, immobilière, fonctionnelle de ces espaces. A Marseille, dans le quartier du Panier les habitants répondent à la question concernant la connaissance de groupes qui participent activement au soutien des habitants mécontents du quartier de manière différente suivant qu’ils sont anciens ou nouveaux.140 Les anciens habitants bien qu’ils identifient les acteurs institutionnels semblent percevoir de manière moins distincte le rôle des acteurs de la société civile dans les cycles de renouvellement urbain. En revanche les nouveaux habitants paraissent mieux cerner les différents acteurs non institutionnels du centre ville de la métropole. Le Comité d’Intérêt de Quartier qui se rattache à une forme traditionnelle de relations de type clientéliste, conserve aujourd’hui le statut d’acteur de la participation. L’association un Centre Ville Pour Tous141, (CVPT) qui rassemble des luttes locales en un seul combat, jouit d’une bonne visibilité chez les nouveaux venus, elle exprime par sa forme d’organisation et l’utilisation d’un site Internet qu’elle privilégie, une approche de la participation qui concourt à la nouvelle centralité. Cet acteur émergent se positionne face à la dégradation de la convivialité et à la recrudescence du commerce de détail de la drogue sur la voie publique ; il fédère ponctuellement, certains commerçants. Sa proximité du terrain et sa rigueur documentaire, sa connaissance des institutions promeuvent CVPT au rang de membre crédible de la société civile dans le processus de participation. Cette connaissance par les habitants de l’association CVPT, le CIQ du Panier est confirmée par la réponse directe à l’une des questions. « une association active, un Centre Ville Pour Tous (CVPT) ; qui fait l’interface entre les bailleurs opérateurs et les habitants, en accompagnant des personnes concernées par la réhabilitation » (40-49, cadre, Les Chartreux « par le biais du Comité d’Intérêt du Quartier (CIQ) » (50-69, retraité, Les Chartreux) Les conséquences sociales de la sélectivité des fonctions au sein du centre ancien, s’avèrent réelles. Le renchérissement du foncier en position de centralité et les hausses de baux au moment de leur renouvellement insécurisent les habitants les plus vulnérables. « La réhabilitation s’ouvre sur deux possibilités pour des immeubles vacants ou insalubres et en péril. Il est possible soit de les démolir, soit de les réhabiliter dans le cadre de la ZPPAUP du Panier en vue d’une future location. La méfiance entre anciens et nouveaux habitants du quartier provient de l’écart de langage et de culture. La promotion immobilière publique, le PRI, l’achat d’immeubles dégradés, puis la revente à de nouveaux propriétaires pour la réhabilitation, ne permet pas de spéculer. Le prix d’achat correspond au prix de vente : 3000 € le m2 pour la place des Moulins, une moyenne autour de 2400/2500 € le m2 et 1500 € le m2 pour la rue des Mauvestis. La rénovation a permis ce rattrapage, le prix de l’ancien dégradé sur le secteur était de 900 € le m2 . Pour Marseille tous quartiers confondus on est passé du simple au double entre 1999 et 2007 !! » (N ° 4) Certains interlocuteurs analysent plus finement le processus, qui met en avant certaines associations ou acteurs du renouvellement urbain. « Les OPAH, qui font intervenir des acteurs public sont lentes, parce que il y a une logique d’informer les habitants de laisser du temps, pour que les gens puissent être relogés, donc il y a une certaine durée par définition. A partir du moment où on rentre dans la promotion immobilière, on est dans des processus de temps beaucoup plus courts. Les promoteurs immobiliers, ou Marseille Aménagement qui agit comme un quasi promoteur privé, ils sont à un moment donné dans une logique où il faut qu’on trouve tous les moyens rapides, pour que les gens se décident, bougent, soit acceptent de payer plus soit acceptent d’acheter, soit acceptent de partir. Dans ces cas là effectivement on noie un peu les gens sous un déluge d’informations. Il n’y a aucun intérêt pour les promoteurs immobiliers, à être bien identifiés, comme étant l’interlocuteur qu’il faut aller voir pour se renseigner. La gestion de l’information ou la gestion dégradée de l’information joue un rôle très important. Je n’aurais pas dit cela il y a trois ans, mais là, je suis un peu persuadé maintenant que ça fait partie d’une logique qui est presque un savoirfaire. En plus généralement, il y a quand même un lien entre le fait que les gens qui ont des revenus moins importants sont des gens qui ont une moins bonne maîtrise de l’écrit ou un rapport à l’administration qui est moins bon. » (N ° 9)