LE DÉVELOPPEMENT DE L’ENFANT MALADE
Tous les enfants ne présentent pas la même vitesse de croissance et n’acquièrent pas forcément les mêmes compétences au même âge car chacun possède son propre rythme, son bagage génétique et ses expériences antérieures. Toutefois, il semble important de rappeler que le développement suit toujours le même déroulement. La croissance, faisant référence à des changements d’ordre physique, se distingue du développement, qui intègre plutôt l’évolution croissante des capacités ou des fonctions. Ainsi, ce dernier se produit grâce à l’interaction entre les capacités innées et acquises de l’enfant, son environnement et le soutien dont il bénéficie de la part de son entourage. (Ball & Bindler, 2010). Le développement de l’enfant intervient à différents niveaux, qui peuvent être physique, cognitif ou encore psychosocial. Ce dernier comprend le développement de la personnalité, processus évolutif, mais qui n’est pas forcément acquis. Il repose essentiellement sur les besoins de l’autre, souvent les parents, puis sur le besoin de détachement, permettant ainsi à l’enfant de devenir une personne à part entière. Ce processus est difficile, et d’autant plus lorsque l’individu doit faire face à de multiples hospitalisations (Graindorge, 2005).
Lorsque la maladie intervient au sein de la famille, plus particulièrement chez l’enfant, le développement de ce dernier peut ainsi être gêné. Ce phénomène sera d’autant plus marqué lorsqu’il y a présence d’une souffrance psychique non-exprimée qui interfère sur la relation entre le malade et ses parents (Graindorge, 2005). Ainsi, les enfants souffrant d’une maladie chronique « peuvent développer un sentiment d’infériorité et une faible estime d’eux-mêmes lorsqu’ils se rendent compte des différences qui les singularisent » (Ball & Bindler, 2010, p. 378). A la période de l’adolescence, soit entre 12 et 18 ans, intervient la phase de recherche d’identité et le besoin d’indépendance et d’acquisition de l’autonomie. C’est la raison pour laquelle les parents doivent s’impliquer de moins en moins et laisser leur enfant se prendre en charge d’avantage. L’adaptation et les difficultés pour les parents seront donc bien spécifiques durant cette période car, ajoutées aux difficultés habituelles rencontrées par les parents d’adolescents, elles se situeront plus sur l’angoisse de le laisser gérer sa maladie (Pinzon & Harvey, 2006). Ce travail portera uniquement sur des familles ayant un enfant souffrant de FK et âgé entre 5 et 12 ans, c’est-à-dire sur un enfant d’âge pré-scolaire ou scolaire. Les parents ayant un enfant atteint d’une maladie chronique doivent, en plus de leurs responsabilités parentales habituelles, adopter un rôle de fournisseur de soins (Tong, Lowe, Sainsbury & Craig, 2008). Ainsi, il semble évident que leur implication dans la prise en charge de la maladie varie en fonction du stade de développement et de l’âge de leur enfant.
LES PHASES DE LA MALADIE CHRONIQUE
Dans les années 1970, un sociologue, Anselm Strauss et une infirmière, Juliet Corbin, ont élaboré un modèle de soins spécifique à la maladie chronique qu’ils ont nommé « le modèle de la trajectoire vécue de la maladie chronique ». Ce dernier tient compte de l’aspect biologique qui entoure la maladie, mais permet également de mettre en évidence les aspects psycho-sociaux qui peuvent découler de la maladie chronique, tant sur la personne malade que sur la famille qui l’entoure. Neuf phases de la trajectoire de la maladie ont été représentées en insistant bien sûr sur le fait que l’individu peut passer plusieurs fois par la même phase, avancer ou revenir en arrière : la pré-trajectoire, le début de la trajectoire, la crise, la phase aigüe, la phase stable, la phase instable, la rémission, la détérioration et le décès. Quelle que soit sa phase, la gestion de la trajectoire peut être influencée par les perceptions de la personne malade et sa famille et par les nombreuses conditions, facilitantes ou contraignantes, de la situation (Sager Tinguely & Weber, 2011). Le modèle de la trajectoire de Corbin et Strauss peut être relié au schéma de la trajectoire de la maladie chronique de Gravelle. Cette dernière a divisé la maladie d’une façon différente et en quatre phases : l’absence de symptômes, la présence de symptômes mineurs, la condition chronique complexe et la phase palliative (Gravelle, 1997).
Chacune des étapes citées par Corbin et Strauss peut être insérée dans une des quatre phases citées précédemment car elles sont décrites de façon plus globale, tout en tenant compte de l’aspect physique et psycho-social. Dans ce travail, c’est la troisième phase qui sera investiguée, impliquant ainsi la phase stable du modèle de Corbin et Strauss. La condition chronique complexe est caractérisée par la progression de la maladie jusqu’au point où l’enfant malade nécessite des soins spécialisés quotidiens ; la phase terminale se situe donc dans les mois, voire les années à venir. Durant cette phase de la maladie [figure 1], les parents se trouvent face à une boucle perpétuelle dans laquelle ils doivent d’abord « définir l’adversité », c’est-à-dire exprimer et expliquer les difficultés rencontrées dans la prise en charge de la maladie de leur enfant, puis « faire face à l’adversité », c’est-à-dire apprendre à gérer la maladie. La circularité de cette prise en charge amène à deux composantes positive et négative : d’une part cela signifie qu’un apprentissage est réalisé grâce aux expériences antérieures, d’autre part, cela peut engendrer un épuisement pour les parents. (Gravelle, 1997).
Maintenir le bon équilibre entre le contrôle de la maladie et la qualité de vie semble être un objectif primordial. Ainsi, il s’agit donc « d’intégrer la maladie et les nombreuses activités qu’elle engendre dans un quotidien déjà organisé » (Sager Tinguely & Weber, 2011, p. 46). Durant cette période de condition chronique complexe, l’enfant se trouve très vulnérable et il est plus à risque de présenter des fluctuations au niveau de sa santé ; des infections mineures peuvent ainsi vite nécessiter une hospitalisation (Halliday, 1990, cité dans Coyne, 1995) et la douleur et la fatigue sont connues et interférent avec la vie quotidienne (Barlow & Ellard, 2005). La maladie chronique est donc faite de hauts et de bas, avec des moments de rémission, mais également des crises aigües (Barlow & Ellard, 2005). La condition chronique de l’enfant et son impact sur la vie de tous les jours peut lui faire ressentir des sentiments variés. Il peut en résulter des absences à l’école qui entraînent le sentiment d’être différent, mais aussi engendrer des difficultés au niveau scolaire. L’isolement a d’autant plus été rapporté par ces enfants qui perdent contacts avec leurs pairs (Barlow & Ellard, 2005). Rappelons qu’à cet âge-là, l’identification à des groupes de pairs est très importante dans le processus de développement (Ball & Bindler, 2010).
LE MODÈLE TRANSACTIONNEL
Le stress Il est important de faire en sorte que l’enfant malade ait une vie la plus « normale » possible afin qu’il puisse s’épanouir de façon optimale (Bellon & Desmazes-Dufeu, 2006). Pour diminuer l’impact de la FK sur l’enfant, la plupart des traitements sont réalisés à domicile ; médication, régime alimentaire, physiothérapie font ainsi partie de la routine de l’enfant malade, mais également de sa famille (Eiser, Zoritch, Hiller, Havermans & Billig, 1996). Une étude de Diehl & al. (1991) a démontré que les enfants ayant des besoins médicaux complexes requièrent une quantité et une qualité extraordinaires de soins qui demandent une organisation minutieuse et qui placent des exigences énormes sur les parents (cité dans Gravelle, 1996). Ainsi, le temps consacré quotidiennement aux soins est variable, mais peut être supérieur à deux heures par jour (Berge & Patterson, 2004, cité dans Gayer & Ganong, 2006). La prise en charge sur le long terme à domicile d’un membre de la famille peut devenir un fardeau chez le proche aidant et engendrer du stress (Kozier, Erb, Berman & Snyder, 2012). Selye (1975), pionnier des études sur le stress, définit ce dernier comme « une réponse non spécifique de l’organisme à toute sollicitation qui lui est faite (perçue comme agréable ou désagréable) et qui se traduit par un syndrome spécifique ; c’est le syndrome général d’adaptation » (cité dans Morin, p. 86). Ce concept possède une composante physiologique qui à trait à toutes les réactions de l’organisme face à un agent stressant, mais également une composante psychologique qui sera mise en évidence lors de ce travail. Ainsi, le stress psychologique est défini par Lazarus et Folkmann (1984) comme « une relation particulière entre la personne et l’environnement qui est perçue par la personne comme taxant ou excédant ses ressources et menaçant son bien-être » (cité dans Morin, p. 89). Le stress est donc un élément subjectif et propre à chacun ; c’est l’individu qui perçoit une situation comme stressante, mais ce n’est pas l’événement en lui-même qui est stressant (Abbott, 2003). C’est la raison pour laquelle tout le monde ne réagit pas de la même manière et adopte différentes attitudes ou comportements, appelés stratégies d’adaptation ou coping.
Le coping
Le coping est un concept élaboré par Lazarus et Launier en 1978 qui fait référence au stress psychologique. Il désigne « l’ensemble des processus qu’un individu interpose entre lui et l’événement perçu comme menaçant, pour maîtriser, tolérer ou diminuer l’impact de celui-ci sur son bien-être physique et psychologique » (Paulhan, 1992, p. 18). L’individu met donc en place « des efforts cognitifs et comportementaux destinés à maîtriser, réduire ou tolérer les exigences internes ou externes qui menacent ou dépassent [ses] ressources » (lazarus & folkman, 1984, cité dans Paulhan, 1992, p. 18). C’est un processus dynamique en évolution constante. En effet, la situation de l’individu change et doit sans cesse être réévaluée afin que les stratégies d’adaptation soient réajustées (Abbott, 2003). Dans un premier temps, l’individu va évaluer la situation, c’est donc un processus cognitif qui permet à la personne d’apprécier la dangerosité de la situation et d’évaluer préalablement ses ressources pour y faire face. Selon Lazarus et Folkman (1984), il y a deux catégories qui permettent cette évaluation : l’évaluation primaire et l’évaluation secondaire.
L’évaluation primaire permet à la personne d’évaluer la nature de la situation et lui permet ainsi d’identifier l’intensité des émotions que cela va lui procurer. Durant l’évaluation secondaire, la personne choisit les stratégies de coping qu’elle va utiliser pour faire face à cette situation. Il en existe deux catégories : les stratégies de coping centrées sur le problème, qui visent à modifier la situation ou les stratégies centrées sur les émotions, qui tendent à diminuer et réguler les émotions engendrées par la situation, sans pour autant la modifier, c’est-à-dire qu’elles visent à modifier la personne elle-même afin qu’elle parvienne à supporter la situation. Une notion récente peut également être ajoutée comme troisième catégorie, c’est la recherche de soutien social. Ces trois catégories ont donc pour but de diminuer le stress face à une situation particulière. Le choix pour l’une d’elle dépend de la situation et de la personnalité de l’individu (Paulhan, 1992). Ainsi, ce concept instaure une vision différente du stress ; les stratégies mises en place pour gérer les facteurs stressants prennent plus d’importance que la façon dont l’individu réagit à ces facteurs (Paulhan, 1992).
1. INTRODUCTION |