Les stratégies d’apprentissage et la démarche réflexive

L’improvisation, le jeu et le plaisir d’enseigner

Dans une idée conclusive de cette première partie, il est important de cibler les différents éléments qui doivent être mis en place par l’enseignant pour rentrer dans la démarche de l’utilisation de l’outil-théâtre. Cet outil, encore une fois, n’est pas obligatoire mais peut être une méthode pour pouvoir gagner une aisance supplémentaire dans sa pratique. La première chose qu’il faut mettre en avant est la notion de mise en énergie. Que ce soit chez les comédiens, où un échauffement est nécessaire avant d’entrer en scène, ou chez les enseignants, où l’on peut également se préparer, il est nécessaire d’entrer dans un état différent pour pouvoir communiquer au mieux son message. Le public reçoit en effet immédiatement cette information de la bonne disposition ou non de la personne qu’il est venu écouter. Nous l’avons vu précédemment, un enseignant ou un comédien peu intéressé par ce qu’il a à transmettre va être corporellement désinvesti, sa voix va faire transparaître un ennui certain et son public ne va pas lui donner l’attention nécessaire à une bonne communication (Quentin, 1999, p.80).

De plus, il est plus que possible que d’autres soucis nous accompagnent lors d’une présentation. Un enseignant peut se mettre en condition par ce que l’on a vu précédemment dans la partie consacrée au geste psychologique. Pour être plus complet, un enseignant entrant dans une salle de classe comme un comédien arrivant sur un plateau de théâtre ne peut pas le faire sans porter en lui un objectif ou une motivation. Pour l’enseignant, une des meilleures motivations est le désir de communication avec son auditoire (Quentin, 1999, p. 81-82). Si ces conditions sont réunies, la concentration de l’enseignant et sa présence seront obtenues, il s’agit de ne pas les perdre. Nous avons vu précédemment que de nombreux facteurs peuvent perturber un cours, qu’ils soient internes (défaillance de l’enseignant, oubli d’un document, etc.) ou externes (communication en classe, élève perturbateur, etc.). Si la communication entre la classe et son enseignant est bien mise en place, ce genre d’élément ne pose pas de problèmes. Cela part du principe que l’enseignant n’a pas choisi de s’imposer un personnage de détenteur absolu du savoir, où une perte de concentration serait jugée comme une perte de pouvoir. Si le personnage choisi est dans une démarche de collaboration et de communication, les étudiants se remettront facilement d’une défaillance ou d’un élément perturbateur (Quentin, 1999, p.82).

Cette énergie à savoir activer et à savoir dispenser peut se travailler notamment par l’improvisation théâtrale. Lorsque l’on rentre dans une improvisation, on apprend à acquérir l’énergie d’oser et de se laisser porter par ses intuitions. Le fait de réagir et de se laisser surprendre permet d’acquérir une énergie positive qui permet de faciliter la communication. Il est ainsi important de consacrer ici quelques lignes pour souligner le lien entre l’improvisation théâtrale et la pratique de l’enseignement. L’improvisation est un vecteur permettant de laisser éclore son imagination (Héril & Mégrier, 1994). Appuyons-nous ici sur l’étude réalisée par Guillaume Azéma et Serge Leblanc. Ceux-ci partent du postulat que “l’improvisation est susceptible d’enrichir l’approche pédagogique ainsi que la constitution de situations d’accompagnements du développement professionnel“ (Azéma & Leblanc, 2011). Revenons sur la racine latine du mot “improvisation“, ce mot vient du contraire de providere qui veut dire “voir avant“.

L’improvisation serait ce que l’on n’a pas vu avant, ce que l’on n’a pas préparé. Ce terme, par sa notion d’absence de préparation, pourrait être jugé comme un manquement professionnel. Ce n’est pas dans ce sens qu’il s’agit d’intégrer cette notion mais bien dans un le cadre d’une leçon préparée, où cependant les imprévus peuvent intervenir. Pour amener cette notion, il faut partir du postulat qu’une situation de communication comprend des moments d’équilibre et de perturbations (Azéma & Leblanc, 2011). L’équilibre étant ces moments de communications “prévus“, les perturbations étant les moments où l’improvisation peut avoir sa place. L’improvisation est ainsi un moment temporel plus ou moins long de création, où celle-ci est accompagnée d’un sentiment d’illumination, d’imprévision, pour l’enseignant. On peut déterminer deux types de situations d’improvisation différentes : les improvisations contraintes, à savoir un moment où l’enseignement rattrape une situation défavorable, et les improvisations comme exploitations spontanées de la situation, où l’enseignant met à profit un événement pour favoriser la communication de la matière de son cours. Azéma et Leblanc ont également mis en évidence que l’improvisation favorisait l’efficacité de l’enseignement, particulièrement des enseignants novices (Azéma & Leblanc, 2011). Cette capacité permet en effet de rendre compatibles les différents éléments qui peuvent se passer simultanément dans une classe, et ainsi de les agencer dans un tout cohérent. L’improvisation, sous la forme d’une écoute de son groupe et d’une ouverture au réagencement de son cours, permet dans ce sens-là de favoriser sa pratique (Azéma & Leblanc, 2011).

Le théâtre comme développement personnel

Un projet de théâtre en classe est avant tout un projet interdisciplinaire ayant des objectifs, comme vu précédemment, plus vaste que la simple expression théâtrale. Compte tenu de l’engagement de chacun des participants, ces projets s’inscrivent dans l’éducation globale culturelle. L’activité théâtrale se prête à de multiples explorations, elle permet de travailler des notions littéraires comme historiques, philosophiques ou géographiques. Ce travail se fait de manière sous-jacente, par l’implication et le questionnement pour le projet. Ces explorations amènent l’enfant à être dans une posture active, s’ouvrant à des questions et à des univers qui sont aussi les siens et permettant ainsi d’étendre ses champs de connaissances du monde. Par ce travail, il se met en position de production, de création, qui l’inscrit comme l’acteur principal de la compréhension poétique de son monde (Tison-Deimat, 2008, p.53). Malgré cela, l’école reste un lieu ou l’on importe plus d’importance aux éléments rationnels qu’à la créativité. La place du théâtre reste marginale, bien que des efforts soient faits pour ouvrir les enfants à la culture comme expliqué précédemment, et elle est souvent le fruit de l’acharnement de quelques passionnés s’étant formés sur le tas. Ceux-ci sont principalement des professeurs de français, travaillant le texte, ou des professeurs de gymnastiques, travaillant l’expression corporelle et le mime (Zucchet, 2000, p. 27).

La théâtre se place en second plan de matière artistique telle que les activités créatrices sur textiles, la musique ou le dessin, où les professeurs reçoivent une formation didactique et de ce fait une légitimité. Une des tâches de l’école pourrait être de construire une culture des arts et donc, ce qui nous intéresse dans ce travail, du théâtre. Selon Malraux, il s’agirait de donner à l’enfant “les clés du trésor“ (Zucchet, 2000, p.31). Cette culture, comme pratique sociale, artistique ou culturelle, prend de multiples formes permettant à l’esthétique et au culturel de se rejoindre. Des repères peuvent se construire par une même démarche visant à connaître et reconnaître des objets porteurs de valeurs culturelles, opposer des points de vue, assister à des représentations par exemple. Cette démarche visant à ouvrir les enfants à la culture théâtrale les met devant des interrogations porteuses de sens. L’élève spectateur se trouve confronté à des images, des actes, des mots, des idées ou encore à des représentations du monde (Zucchet, 2000, p.32). La question est de savoir comment cet enfant va organiser ces informations et leur donner du sens. Une représentation théâtrale plonge les élèves et les comédiens dans un rapport privilégié le temps de la pièce. Sur un plateau, les comédiens communiquent avec des mots mais également avec leurs corps ou par l’intention qu’ils donnent à leurs textes. La pièce de théâtre est un espace où une fiction se joue en temps réel dans un lieu et une temporalité déterminés. Des interactions se créent constamment entre le public et les comédiens par le plaisir, l’émotion, les rires et l’intérêt, pour créer un nouveau spectacle à chaque représentation. Chaque présentation est unique et le groupe d’enfants spectateurs influence la prestation des comédiens (Zucchet, 2000, p.32).

La démarche d’ouvrir les enfants à la culture théâtrale permet ainsi de les connecter dans l’instant présent et de se rendre compte de la nécessité de s’intéresser à cet art. Si, comme le dit Robert Bresson, cinéaste français du début du XXème siècle, “L’art n’est pas un luxe mais un besoin vital“, il apparaît nécessaire de doter les enfants d’un référentiel de compétences nécessaires pour faire naître et accroître leur plaisir de spectateurs, du moins, et d’acteurs, peut-être (Zucchet, 2000, p. 32). Dans cette logique, il est essentiel de, dans un premier temps avant de le pratiquer, montrer aux élèves ce qu’est le théâtre à plusieurs reprises. Par comparaison, opposition et rapprochement, l’élève parviendra ainsi à développer un regard critique sur le spectacle qu’on lui présente. Par extension, ce regard critique dans le but de former des citoyens responsables est une des compétences visées principalement par les sciences humaines. La lecture d’un spectacle permet également à l’élève de comprendre combien une oeuvre s’inscrit dans l’histoire de sa représentation. La lecture d’un spectacle se réfère à la culture de l’élève et à ses fondements. Par la confrontation et le développement de son propre esprit critique, l’élève développe une connaissance qui peut lui permettre de se réaliser personnellement (Zucchet, 2000, p. 32).

Table des matières

INTÉRÊT POUR LE DÉVELOPPEMENT PERSONNEL0
INTRODUCTION
L’OUTIL-THÉÂTRE POUR L’ENSEIGNANT
LES LIENS ENTRE L’ENSEIGNEMENT ET LE THÉÂTRE
LE TEXTE
LE CORPS
L’IMPROVISATION, LE JEU ET LE PLAISIR D’ENSEIGNER
L’OUTIL-THÉÂTRE POUR L’ÉLÈVE
POURQUOI PRATIQUER LE THÉÂTRE À L’ÉCOLE ?
QUEL THÉÂTRE POUR QUEL ÉLÈVE ?
Le théâtre didactique
Le théâtre moralisateur
Le théâtre d’adaptation
Le théâtre ludique
Le théâtre poétique
Le théâtre d’animation
LE LIEN AVEC LE PLAN D’ÉTUDE ROMANM
La collaboration
La communication
Les stratégies d’apprentissage et la démarche réflexive
La pensée créative
LE THÉÂTRE COMME DÉVELOPPEMENT PERSONNEL
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE
ANNEXE 1 : SCHÉMA DE REPRÉSENTATION DE LA PLACE DE L’OUTIL-THÉÂTRE DANS
ANNEXE 2 : COMPÉTENCES DU PER (CYCLE 2) EN LIEN AVEC LE THÉÂTRE

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