Les spécificités des sciences de la gestion

Les spécificités des sciences de la gestion

La recherche en sciences de la gestion présente des spécificités. En effet, puisqu’il est question de la gestion dans les organisations, ce type de recherche scientifique est effectué, habituellement, à partir de problématiques managériales d’actualité. Ces sujets peuvent être, par exemple, l’analyse ou la conception de modèles de gestion (David, 1999). Ce vaste champ de recherche appliquée inclut, également, la conception d’outils de gestion, les aspects sociaux et psychologiques dans les organisations publiques ou privées ainsi que la conception d’outils de recherche (Prévost et Roy, 2015). Un des objectifs de la démarche scientifique doit donc être un élément qui vise l’amélioration de la situation actuelle dans les organisations, que ce soit sur le plan technique ou humain. Au concept d’amélioration est ajouté celui de la performance organisationnelle. La recherche d’une meilleure performance des organisations impose alors aux chercheurs une réflexion sur les conséquences indirectes de leurs projets de recherche. En ce sens, ces recherches qui prennent racine sur le terrain peuvent contribuer au maintien des institutions et aux rapports de force inégalitaires hiérarchiques, puisque c’est souvent l’efficience et l’intérêt d’une seule catégorie d’acteurs qui sont visés. Cette catégorie d’acteurs est très souvent celle des gestionnaires au détriment des autres groupes d’employés. De surcroît, ce sont les entreprises performantes qui sont souvent sollicitées contrairement à celles qui vivent des difficultés (Spicer et al., 2009). Les chercheurs dans le domaine des sciences de la gestion doivent considérer la situation dans son ensemble, trouver une problématique managériale d’actualité, enrichir la connaissance issue de la revue de la littérature, réfléchir aux impacts de ces connaissances sur les plans théorique et pratique et ne pas perdre de vue qu’une des finalité est d’améliorer la performance des organisations. À l’intérieur de ce chapitre, ces différents éléments sont abordés.

Le positionnement épistémologique interprétativiste

Comme l’objectif d’un chercheur est la recherche de la connaissance, il doit se demander ce qu’il considère être la connaissance. L’étude de la constitution des connaissances scientifiques est l’épistémologie (Piaget, 1967). Deux grandes positions épistémologiques sont le positivisme et le constructivisme qui suggèrent l’existence d’une multitude de paradigmes qui suivent un continuum (Girod-Séville et Perret, 1999). Selon Kuhn (1962), un paradigme est l’unification des croyances, des valeurs et des façons de faire d’une communauté de scientifiques. Selon Avenier et Gavard-Perret (2012), le positionnement épistémologique « vise à clarifier la conception de la connaissance sur laquelle le travail de recherche reposera et la valeur attendue des connaissances qui seront élaborées » (p. 8). Dans le présent cas, l’objet de la recherche, soit l’interprétation personnalisée des conditions par lesquelles les employés peuvent favoriser collectivement l’amélioration des compétences de leurs collègues ainsi que des leviers organisationnels selon les gestionnaires, se veut ouvert pour une réflexion de la part des personnes qui ont accès à cette connaissance. En effet, ces conditions et ces leviers, à ce jour tangibles dans les organisations n’ont un sens qu’à travers les expériences et les besoins des employés et des gestionnaires. L’objet de la recherche n’est pas directement accessible pour le chercheur, mais devient compréhensible par l’entremise des personnes qui y ont accès. Par voie de conséquence, ces diverses perceptions font que la présente connaissance est subjective et qu’une énumération des possibilités est acceptée. Ces notions de possibilités de suggestions, d’interactions avec d’autres personnes et de réflexion renvoient à la définition de l’interprétativisme suggérée par Thiétart et al. (2014). Pour saisir les expériences des personnes directement concernées par l’amélioration des compétences des membres dans la cadre de la réalisation des projets, et pour contrer les forces inégalitaires hiérarchiques qui existent dans les organisations ainsi qu’en sciences de la gestion, les premiers participants à la présente recherche sont les membres des équipes et ensuite, les gestionnaires et les professionnels du bureau de projets ainsi que des employés du service des ressources humaines. À titre de rappel, ces forces inégalitaires sont issues du fait que les chercheurs s’intéressent davantage aux gestionnaires au détriment des subordonnés. De plus, au sein des organisations, ces cadres possèdent un pouvoir légitime d’imposer leurs idées aux employés et le contraire, est plus rarissime. Par ailleurs, l’implication des employés au cours de la première phase de la collecte de données présente également les conditions et la manière dont les MEP peuvent définir leur méthode d’évaluation ou d’analyse des besoins de formation et leur environnement potentiellement capacitant dans le cadre de la gestion de projet comme activité d’apprentissage. De ce fait, les résultats de cette recherche reflètent les expériences vécues, les réflexions, les questionnements et les besoins des employés occupant une double fonction (projet et métier). Les résultats sont ainsi analysés d’un point de vue théorique pour comprendre et décrire la manière dont les organisations publiques et les équipes de projet peuvent contribuer à l’amélioration des compétences de leurs membres en vue de proposer des composantes d’un cadre systémique selon les MEP, les gestionnaires des unités fonctionnelles et le service RH. Cette façon de concevoir la connaissance respecte l’essence de cette recherche ainsi que les principes fondamentaux des concepts de l’interprétativisme où la connaissance est une interprétation de la réalité ou une observation (principe de représentabilité) réalisée par les sujets de la recherche. Comme mentionné auparavant, les réalités observées et vécues par les employés d’une organisation municipale à structure matricielle alimentent l’objet de cette recherche. Cette interprétation est alors multipliée ou partagée par les sujets qui énumèrent des  possibilités (principe de l’Univers construit). La diversité des sujets mobilisés contribue ainsi à mieux saisir l’aspect social des projets considérant qu’il s’agit d’un système social intégré dans une organisation. Dans cette optique, l’objet de la recherche est atteignable grâce aux sujets(principe de projectivité) qui évoluent dans un contexte donné avec une subjectivité qui lui est personnelle (principe de l’argumentaire général) (Velmuradova, 2004). En somme, cette subjectivité de la réalité des sujets enrichit les conditions et la manière par lesquelles les membres des équipes ainsi que les gestionnaires peuvent contribuer à l’amélioration des compétences des employés qui occupent une double fonction. Les aspects sociaux et évolutifs au regard des réflexions des sujets sont nécessaires étant donné l’objet de cette recherche.

La recherche qualitative

Dans le cadre de la présente recherche, la connaissance produite est issue, entre autres, des réflexions professionnelles et des retours d’expérience de MEP, donc, de l’interprétation de leur réalité. Pour saisir ces interprétations plurielles des sujets, cette recherche est de type qualitatif (Paillé et Mucchielli, 2016). Selon Dumez (2011), la nature qualitative de la recherche suggère que les aspects relatifs à l’humain tels que la pensée et la parole permettent d’obtenir des descriptions et des explications cohérentes avec le contexte étudié. Or, cet aspect contextuel est intégré à l’objet de la recherche puisqu’il a une incidence sur l’évolution des théories de la gestion des ressources humaines dans les organisations. Sans oublier que les réflexions des sujets sont primordiales puisque l’objet de la recherche est la compréhension des modalités par lesquelles les organisations publiques et les équipes de projet peuvent contribuer à l’amélioration des compétences de leurs membres et à la prise en charge de cette fonction RH par les MEP. La connaissance recherchée provient donc des expériences passées et des réflexions des sujets ainsi que de l’interprétation de leur réalité. La richesse de cette recherche qualitative se trouve dans la description de l’articulation de divers concepts documentés dans la littérature scientifique tels que la gestion des ressources humaines, la gestion des compétences et la gestion de projet. En outre, jusqu’à présent, la littérature scientifique suggère que ces concepts ont un impact positif sur le succès des projets, des équipes et des organisations. Dans ce même ordre d’idées, la richesse de cette recherche provient également de l’identification des possibilités, des limites et des contraintes individuelles, techniques, sociales et organisationnelles au regard de l’amélioration des compétences des MEP. Dans le cadre d’une recherche qualitative, les observations des sujets sont colligées et apportent un éclairage intéressant et nuancé. En outre, le chercheur adopte une approche inductive puisqu’il est guidé par les objectifs de la recherche, et que le cadre de référence est présent uniquement à titre de repère, comme le suggèrent Blais et Martineau (2006). Bref, la revue de la littérature scientifique permet de délimiter certains concepts théoriques et par une méthode de type descriptif, qualitatif et inductif, le potentiel capacitant des projets reste à documenter. Dans cette perspective, le positionnement interprétativiste et l’aspect qualitatif de la recherche restent cohérents au regard de la possibilité d’offrir aux sujets la liberté de s’exprimer sur des éléments constitutifs d’un système adapté  d’amélioration des compétences adaptés à leur réalité au sein d’une organisation publique municipale à structure matricielle. En somme, l’approche qualitative permet de prendre en considération les aspects communicationnels et relationnels des projets perçus comme un système social ainsi que la gestion de projet défini comme un processus itératif d’actions et d’apprentissages. De surcroît, la méthode de recherche ainsi que les techniques de collecte de données reflètent cet aspect contextuel, systémique et humain présent dans l’objet de la recherche

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L’étude de cas et l’unité d’analyse

À la lecture de cet objectif général, l’unité d’analyse est clairement identifiée. À des fins de rappel, le cas de cette recherche est le contexte organisationnel particulier de la structure matricielle faible. À l’intérieur de ce contexte, l’unité d’analyse des données regroupe les éléments favorables à l’amélioration des compétences des MEP.

Pour illustrer le présent cas, une organisation publique à structure matricielle faible de projet œuvrant dans le secteur municipal participe à cette recherche. Lors de la sollicitation, 20 organisations publiques similaires répondaient aux critères de la recherche (organisation publique, structure matricielle faible de projet et présence d’un service des ressources humaines). Toutefois, une seule d’entre elles a mentionné sa préoccupation au regard de l’amélioration des compétences des membres des équipes projet. Le service des ressources humaines et les cadres de cette organisation participante partagent des préoccupations communes quant aux objectifs de la recherche et disent ne pas trouver de réponse satisfaisante à cette problématique managériale dans la littérature scientifique et celle destinée aux professionnels. Cette organisation possède une structure par fonction administrative, dont celle des ressources humaines, et réalise des projets (structure matricielle). En matière de gestion des ressources humaines, tous les postes de travail sont encadrés par une description de tâches précise, les employés sont syndiqués et les rapports hiérarchiques sont définis. En liaison avec la GP, les gestionnaires définissent les objectifs des projets pour estimer les ressources nécessaires, les coûts externes, les délais et la portée de ceux-ci; ils rendent disponibles des ressources humaines à temps partiel et maintiennent un certain contrôle des coûts. Depuis quelques années, un bureau de projets est également accessible pour gérer, entre autres, les projets d’envergure et soutenir les bonnes pratiques de GP. Considérant le fait que l’anonymat des participants doit être préservé, la description ne peut pas être plus précise.

En plus de s’assurer de la cohérence entre les questions, les objectifs de cette recherche et l’organisation choisie, un court séjour d’observation est effectué en mars 2017. Ce séjour d’observation intégré à la scolarité du doctorat en management de projets a pour objectifs de :
• réfléchir dans l’action sur les pratiques réelles en management de projets;
• mettre en relief les problèmes en appréciant leur nature et leur portée;
• colliger et codifier les informations relatives à une problématique priorisée par le milieu qui accueille la doctorante;
• examiner les possibilités de solution au problème retenu en appliquant les théories existantes ou en développant de nouvelles connaissances;
• analyser de façon critique le lien entre les théories et les pratiques en contexte de projet.

Table des matières

CHAPITRE 1 LE CONTEXTE ET LA PROBLÉMATIQUE DE LA RECHERCHE
1.1 Le contexte de la recherche
1.2 La problématique managériale
1.3 Les objectifs et les questions de la recherche
1.4 La conclusion et présentation du plan de la recherche
CHAPITRE 2 LE CADRE THÉORIQUE DE LA RECHERCHE
2.1 La gestion de projet
2.2 La structure organisationnelle matricielle de projet
2.3 Les compétences de projet
2.4 Les étapes du développement des compétences
2.5 Le cadre de référence de la recherche
2.6 La conclusion
CHAPITRE 3 LA MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
3.1 Les spécificités des sciences de la gestion
3.2 Le positionnement épistémologique interprétativiste
3.3 La recherche qualitative
3.4 La méthode de la recherche
3.5 Les méthodes de collecte de données
3.6 Les méthodes d’analyse des données
3.7 La validité et la fiabilité de la recherche
3.8 Le cadre éthique de la recherche
3.9 La conclusion
CHAPITRE 4 LA PRÉSENTATION DES RÉSULTATS
4.1 Le contexte organisationnel
4.2 L’évaluation des compétences
4.3 Les activités de formation
4.4 L’évaluation de l’efficacité du système de formation
CHAPITRE 5 LA DISCUSSION DES RÉSULTATS
5.1 L’environnement organisationnel
5.2 L’environnement capacitant en contexte de gestion de projet
5.3 Le système adapté type d’amélioration des compétences
5.4 La conclusion
CONCLUSION GÉNÉRALE

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