Un simulateur de conduite est un dispositif de réalité virtuelle permettant d’étudier les comportements et stratégies des automobilistes, au travers des interactions qu’ils entretiennent avec leur véhicule et l’environnement routier. Parmi les différents intérêts de la réalité virtuelle, elle offre la possibilité de mener des recherches dans un environnement contrôlé expérimentalement qui ne présente pas de risque pour les participants. Ces dernières années, les recours à la simulation de conduite se sont multipliés, aussi bien pour évaluer les caractéristiques et limites des conducteurs lorsqu’ils doivent faire face à des conditions dégradées (telles que conduire dans le brouillard, sous la pluie ou de nuit ; e.g., Bernardin, Brémond, Ledoux, Pinto, Lemonnier, Cavallo & Colomb, 2014 ; Caro, Cavallo, Marendaz, Boer & Vienne, 2009 ; Shahar, Brémond & Villa, 2016), que pour développer des systèmes d’aide à la conduite (e.g., Bueno Garcia, Fabrigoule, Ndiaye, & Fort, 2014 ; Navarro, Deniel, Yousfi, Jallais, Bueno & Fort, 2017) ou évaluer de nouveaux aménagements routiers (e.g., Mecheri, Rosey & Lobjois, 2017).
Il existe une grande diversité de simulateurs, allant de dispositifs statiques à « bas coût » jusqu’à des dispositifs à base mobile très évolués et plus onéreux. Quel que soit le degré de sophistication d’un simulateur de conduite et l’usage qui en est fait, il est important que les observations réalisées en réalité virtuelle puissent être exploitables pour des applications en conduite réelle. Les avancées récentes au plan technologique et informatique ainsi que dans le domaine des sciences du comportement humain ont permis de réduire les écarts existants entre situation virtuelle et situation réelle. Néanmoins, la réalité virtuelle et les simulateurs de déplacement ne peuvent pas prétendre à reproduire le réel (voir, par exemple, Pinto, Cavallo & Ohlman, 2008, ou Stoffregen, Bardy, Smart & Pagulayan, 2003). Dans ce contexte, il parait important de développer des méthodologies permettant d’identifier les différences et similarités entre virtuel et réel pour déterminer la portée des résultats obtenus et leur possible exploitation pour améliorer les conditions de conduite en situation réelle.
Le champ de l’évaluation des dispositifs de réalité virtuelle et des simulateurs de conduite s’est doté, depuis une trentaine d’années, d’un cadre théorique marqué par un foisonnement de méthodes et de critères convoqués pour caractériser les simulateurs du point de vue de leur validité pour l’étude des comportements. S’il est indispensable de préciser que la validité d’un simulateur de conduite ne peut pas être déterminée en tant que telle, mais bien au regard de son domaine d’application (voir Pinto et al., 2008), il ne peut être écarté que ce foisonnement de méthodes et de critères d’évaluation rend difficile la définition de principes communs et consensuels. Certaines études ont ainsi mis en avant la validité physique, qui renvoie au fait qu’une expérience simulée doit être le strict pendant de son équivalent réel au plan des stimulations sensorielles, tant dans le nombre de modalités couvertes que de leur cohérence (Blaauw, 1982). D’autres se sont intéressées à la validité comportementale, c’est à dire à la proximité entre les actions produites en virtuel par rapport aux actions réalisées en situation réelle (e.g., Godley, Triggs & Fildes, 2002). Il apparait néanmoins qu’une majorité de travaux a mesuré les effets des caractéristiques des dispositifs sur le ressenti subjectif des utilisateurs en termes d’immersion, de réalisme ou de présence (e.g., Buttussi & Chittaro, 2017 ; Grechkin, Plumert & Kearney, 2014 ; McMahan, Bowman, Zielinski & Brady, 2012 ; Stanney, Kingdon, Graeber & Kennedy, 2002 ; Witmer & Singer, 1998). Néanmoins, certaines limites aux mesures subjectives ont été mises en évidence, lorsque comparées à des mesures objectives (e.g., Morice, Siegler & Bardy, 2008). De même, certaines études laissent penser que, parmi les mesures objectives, les mesures comportementales peuvent également être confrontées à une moindre sensibilité aux variations des caractéristiques des dispositifs. Pour dépasser ces limites, certains auteurs tels que Malaterre et Fréchaux (2001) proposent de mesurer la demande attentionnelle des utilisateurs. Ces dernières mesures, qui ont montré leur intérêt pour mettre en évidence le coût cognitif inhérent à la réalité virtuelle (e.g., Chen, Chung, Proffitt, Wade & Winstein, 2015), permettent de poser la question de la validité psychologique des dispositifs de réalité virtuelle. Cette dernière fait référence à l’équivalence, en réel et en virtuel, des processus sous-tendant les comportements adoptés (Malaterre & Fréchaux, 2001). Le développement de nos connaissances sur ce niveau de validité pourrait contribuer à mieux cerner les effets de l’exposition aux dispositifs de réalité virtuelle sur le positionnement sensori-moteur et cognitif des utilisateurs.
La réalité virtuelle est une discipline à l’interface des sciences informatiques, technologiques et humaines. Elle a notamment été développée à partir de 1960 pour répondre aux besoins de formation du personnel de l’aviation militaire (Arnaldi, Fuchs & Tisseau, 2003) avec l’exigence de reproduire artificiellement des situations opérationnelles réalistes. Il existe de nombreuses définitions de la réalité virtuelle. Mais, nous pourrons détailler ses principes et ses enjeux à partir de la description qu’en donne Fuchs en 1996 : « La finalité de la réalité virtuelle est de permettre à une personne (ou à plusieurs) une activité sensorimotrice et cognitive dans un monde artificiel, créé numériquement, qui peut être imaginaire, symbolique ou une simulation de certains aspects du monde réel. ».
En gardant à l’esprit cette première définition, nous pouvons envisager la réalité virtuelle comme un ensemble de technologies permettant de créer une expérience numérique. Le participant est alors immergé dans un monde artificiel avec lequel il peut interagir. L’interaction se fait grâce à des métaphores, c’est-à-dire des systèmes de commande qui sont utilisés pour traduire une intention. Par exemple, le participant peut utiliser un joystick pour contrôler ses déplacements dans le monde virtuel. Dans ce cas, la manipulation du joystick peut être perçue comme une métaphore de l’action « marcher ». Et par généralisation, le joystick lui-même est considéré comme une métaphore de la marche.
Le principe d’interaction implique que l’environnement évolue en fonction de l’activité du participant. Les informations provenant des systèmes de commande sont analysées par un ou plusieurs ordinateurs, qui gèrent l’état courant du monde virtuel. Les conséquences d’une action sont rapidement calculées et sont traduites par des modifications appropriées de cet état courant. Il existe cependant un temps de latence dans chaque dispositif, qui sépare une action de sa conséquence. Ce délai dépend d’une part de la quantité d’informations à traiter et de la complexité des changements à opérer dans l’environnement et d’autre part des limites technologiques, comme la puissance et le temps de calcul du système et la fréquence de rafraîchissement des différents éléments qui sont mis en réseau (systèmes de commande, ordinateurs, systèmes d’affichage). Ce temps de latence doit tendre à ne pas influencer le comportement de l’utilisateur (Arnaldi et al., 2003).
La qualité et la fluidité des interactions que l’individu entretient avec l’environnement virtuel participent à l’immersion. Le concept d’immersion désigne l’ensemble des technologies et des techniques susceptibles de générer les conditions favorables pour qu’un utilisateur transfère son attention du monde réel vers l’environnement virtuel (Burdea & Coiffet, 1993 ; Larrue, 2011). L’immersion repose donc sur les caractéristiques matérielles et logicielles des dispositifs de réalité virtuelle. Elle doit permettre à l’utilisateur de se sentir exister dans l’espace virtuel et de l’accepter comme un espace dans lequel il peut agir.
Parmi de multiples finalités et intérêts, la réalité virtuelle permet de fournir des environnements crédibles, contrôlables et sûrs. Les champs d’application de la réalité virtuelle sont nombreux et il serait sans doute difficile d’en donner une liste exhaustive. Toutefois, il est intéressant de présenter plusieurs exemples qui illustrent la diversité des utilisations qui en sont faites avant de détailler dans la suite de ce cadre théorique, celles qui relèvent de la simulation de la conduite automobile.
Comme indiqué précédemment, la réalité virtuelle a notamment été développée dans le domaine militaire où les systèmes sont principalement employés pour l’entraînement des soldats. Plusieurs études mettent en avant leur utilité pour évaluer les effets de la fatigue ou du stress (Borghini, Astolfi, Vecchiato, Mattia & Babiloni, 2014). En médecine, la réalité virtuelle est utilisée à des fins de formation des personnels soignants, avec l’objectif de réduire les coûts liés aux enseignements pratiques et les risques d’accidents (e.g., Gallagher, McClure, McGuigan, Crothers & Browning, 1999). Il existe aussi des applications pour des
processus de soins aux patients. Plusieurs études ont montré qu’il est efficace d’immerger des personnes ayant subi des brûlures dans des environnements virtuels de glace de façon à réduire la perception de la douleur, notamment pendant les soins (Hoffman, Doctor, Patterson, Carrougher & Furness, 2000).
La réalité virtuelle a également permis de développer des applications dans le but de diagnostiquer des troubles cognitifs liés au vieillissement ou à des traumatismes crâniens (Dejos, Sauzeon & N’Kaoua, 2012). Par rapport à des tests sur papier, la réalité virtuelle permet de confronter les patients à des situations familières, telles que faire les courses dans une épicerie. Cela permet de mieux évaluer les conséquences d’un trouble sur leur quotidien. Lors de processus de remédiation, les environnements virtuels sont aussi perçus comme plus concrets que les exercices d’entraînement qui sont classiquement proposés (Klinger, Kadri, Sorita, Le Guiet, Coignard et al., 2013). Dans le domaine des thérapies cognitivocomportementales, la réalité virtuelle est utilisée pour évaluer et traiter les troubles de l’anxiété (e.g., Côté & Bouchard, 2008). Des environnements spécifiques ont également été développés pour des traitements de l’hyperactivité (e.g., Bioulac, Lallemand, Rizzo, Philip, Fabrigoule & Bouvard, 2012). Pour ces dernières applications, la réalité virtuelle présente surtout un avantage de sécurité et la possibilité de confronter progressivement le sujet aux situations qui lui posent problème.
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