Les services conçus en amont appropriation et adaptation

Les services conçus en amont appropriation et adaptation

La revue de littérature montre la difficulté d’imaginer un processus de conception séquentiel, linéaire et vertical dans les services194. Ainsi qu’il a été dit, les innovations locales ont pu naître, être normalisées, ou non, et être diffusées, ou non, au sein d’une entreprise de services195. Pour autant, si même ces exemples mettent en évidence que l’innovation n’est pas l’apanage de services de conceptions centraux, ces derniers n’en demeurent pas moins actifs.En effet, comme toute entreprise, La Poste dispose de services de conception centraux qui élaborent, organisent et mettent en place l’offre de prestations – produits et services. Ce sont principalement les services marketing de chacun des métiers et, à travers eux, les chefs de produits qui gèrent une ou plusieurs prestations spécifiques. La conception de l’offre de prestations postales est réalisée officiellement au niveau du siège et, si elle est pilotée par un service de marketing central, elle fait également appel à d’autres services centraux dans son déploiement – métiers de la production, de la vente, des RH, etc. La conception d’une prestation par des services centraux correspond à un deuxième espace de représentation de la prestation où les registres de valeur sont globaux, où il existe certes un apprentissage local, mais où la création de valeur au niveau local s’avère relativement limitée.

Ce qui attire l’attention, ce ne sont pas tant les débats qui existent lors de la conception initiale d’une offre au niveau des services centraux, que la manière dont le personnel de terrain, en charge de la réalisation des tâches opérationnelles, assimile et s’approprie les nouvelles prestations développées par le siège. La critique d’un modèle vertical de la conception dans les services revient-elle, peu ou prou, à remettre en cause l’approche top-down d’un service de conception central dans un exemple comme celui de La Poste ? Si la base, à travers ses apprentissages, fait preuve d’innovation et peut concevoir de nouvelles prestations, accepte-t-elle et adopte-t-elle sans ciller les nouvelles prestations développées par le siège ? Existe-t-il, comme dans le cas des innovations locales, un débat entre le siège et les entités territoriales, ou, au contraire, la relation n’est-elle qu’unilatérale ? Quelles sont les capacités d’adaptation ou de négociations dévolues ou auto-attribuées à des espaces intermédiaires territoriaux ? Dans quelle mesure, la création de connaissances au niveau local permet-elle d’enrichir un dispositif global ?La réponse à ces questions passe par l’observation de trois prestations dont la mise en place par des services de conception centraux est plus ou moins récente. Il s’agit, tout d’abord, de la dématérialisation du livret A – officiellement dénommée « modernisation » du livret A – qui est, à proprement parler, non pas une nouvelle prestation commerciale, mais bien l’adaptation du mode de servuction d’un produit financier traditionnel : la mise en place des nouvelles modalités de la prestation a fait l’objet d’un déploiement hétérogène, une délégation se démarquant trèsnettement par son approche volontariste (§ I). Il s’agit, ensuite, des bornes Cyberposte, accès Internet proposés dans les bureaux de poste aux clients, qui créent de l’interactivité locale et obligent à repenser l’innovation à partir d’allers et retours entre le siège et les bureaux de poste (§ II). Il s’agit, enfin, du publipostage non adressé dont la refonte récente de son organisation a mis en évidence l’emprise des services de conception centraux (§ III).

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La dématérialisation du livret A

Aux XIXème et XXème siècle, la Poste a élargi son domaine de compétence à des activités financières, permettant à toutes les populations d’accéder aux moyens de paiements et autres services financiers. Elle participe ainsi à la création de nouveaux services et commercialise des produits et services financiers au grand public : le mandat postal sécurise le transfert d’argent entre particuliers (1817) ; le livret d’épargne collecte et rémunère l’épargne des particuliers (il est distribué par la Poste à partir de 1874) ; le compte chèque postal démocratise l’accès à la monnaie scripturale (1918) ; les produits d’assurance vie élaborés par la Caisse nationale de prévoyance sont distribués par la Poste (1959). À partir des années 1960, la Poste offre également à tous ses clients la possibilité d’accéder aux services financiers commercialisés chez d’autres intermédiaires financiers ou bancaires : PEL, SICAV, Codevi, etc. En 2006, l’opérateur postal, à travers sa filiale La Banque Postale, acquiert le statut de banque à part entière, qui lui ouvre l’accès à des produits et services financiers qui lui étaient jusqu’alors interdits. Ce changement de statut, combiné au respect de la réglementation européenne, remet aujourd’hui en question le monopole qui était accordé à La Poste – et aux Caisses d’épargne – sur la distribution du livret A.Le livret A, dont la dénomination date de 1966, mais dont l’activité existe depuis presque deux siècles, fait partie des produits financiers les plus populaires. Le livret rouge des Caisses d’épargne et le livret jaune de La Poste qui le matérialisent sont inscrits dans la mémoire collective des Français. Pourtant, depuis deux décennies, les Caisses d’épargne et La Poste ont entrepris une démarche de dématérialisation du livret. Le livret physique tend à disparaître et peut être remplacé, à la demande du client, par une carte de retrait. La Poste réfute le terme de dématérialisation et préfère parler de modernisation du livret A dans la mesure où la carte Postépargne se substitue au carnet comme support physique du livret A. En toute rigueur, c’est le terme de dématérialisation qui mérite d’être retenu, non seulement parce qu’il est plus significatif que celui, trop vaste, de modernisation, mais aussi parce que la suppression du livret physique n’entraîne pas systématiquement son remplacement par une carte de retrait.

 

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