Les serveurs informatiques aux radiateurs data center et réseaux de chaleur au Val d’Europe
« Ils nous ont demandé, « mais, quand même à Bailly-Romainvilliers, vous faites de la récupération de chaleur, pourquoi vous ne le faites pas à Lieusaint ? ». Alors nous, on a dit, « on aurait bien voulu mais il n’y a pas de consommation à proximité ». Ils nous ont dit, « vous n’avez qu’à construire une serre ». Alors, moi, j’ai dit, « écoutez, on est une banque quand même, donc, notre travail, ce n’est pas de faire des légumes ! » » La seconde synergie que l’on se propose d’étudier est située au Val d’Europe, en Seine-et- Marne (voir sa localisation par rapport à Paris sur la Figure 5.1 et sa composition communale sur la Figure 5.2) et nous permet d’explorer notre problématique sous un angle différent : ici, la mise en œuvre de l’échange énergétique concorde temporellement avec le développement du territoire. Nous nous intéressons cette fois à la valorisation de la chaleur fatale produite par un data center, au travers d’un réseau destiné à desservir une zone d’activités tertiaires en développement. Présentée comme une première européenne par les acteurs ayant œuvré à son émergence, elle est effectivement l’un des seuls exemples dans lequel une valorisation externe de la chaleur fatale provenant d’un data center est envisagée à l’échelle d’un quartier (Voir Encadré 5.1). à trouver en France des exemples qui dépassent la valorisation interne, c’est-à-dire le chauffage de bureaux situés dans le même bâtiment que le centre de données. Nos enquêtes de terrain nous ont montré que des études sont menées dans un certain nombre de cas mais que l’étape de la mise en œuvre n’est en général pas passée, sans que les raisons n’en soient en général rendues publiques. C’est ainsi, par exemple, le cas de plusieurs data centers à Plaine Commune, dont le plus grand d’Europe en projet à La Courneuve sur une friche laissée par Eurocopter. La perspective de connexion des groupes de froid du centre au réseau de chaleur de la ville est présentée publiquement98 mais finalement abandonnée. De même, en 2012, une étude est menée pour analyser la possibilité d’une récupération sur un data center situé à Saint-Denis et montre qu’elle est techniquement et économiquement envisageable. Toutefois, le projet est abandonné car jugé trop difficile à organiser par les acteurs99.
Dans le monde, on trouve quelques exemples fréquemment mis en avant : à Helsinki, le réseau de chaleur de la ville est approvisionné en partie par un data center situé sous une cathédrale100 ; à Uitikon (Suisse), un data center d’IBM chauffe une piscine ; à Amsterdam, l’université chauffe ses locaux avec la chaleur dégagée par ses salles de serveur101 ; à Seattle le siège d’Amazon est chauffé par les calories provenant du data center de la ville Dans ce chapitre, nous commençons par replacer les acteurs de la synergie dans le processus d’aménagement local et présenter le fonctionnement technique de l’échange de chaleur (I). Nous montrons ensuite que la confrontation des intérêts des différents acteurs mène dans ce cas à un compromis fort sur la forme de gestion de la synergie (II). Puis, nous avançons que l’équilibre de l’exploitation de la synergie est fortement perturbé par l’inconnue que représente la dynamique de développement du territoire, tant du côté de la ressource que du côté des consommations (III). Enfin, nous analysons la façon dont cette inconnue entraîne une interaction entre la synergie et la planification de l’approvisionnement énergétique à l’échelle du territoire du Val d’Europe (IV).
Avec le cas du Val d’Europe, l’analyse de la synergie nous mène vers un autre « moment » de la production urbaine : celui du projet et de l’aménagement. Ainsi, si nous retrouvons comme à Dunkerque un énergéticien, une entreprise et une collectivité, viennent cette fois-ci s’immiscer les figures de l’aménageur et d’un protagoniste dont la mention ne peut manquer de surprendre : Euro Disney. La première section de cette partie explique le rôle de ces différents acteurs (A). La seconde explique l’origine du flux de chaleur et la manière dont il est distribué (B). Le Val d’Europe est le nom donné au secteur IV (c’est-à-dire le plus éloigné de Paris) de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée, en Seine-et-Marne, découpée lors de sa création en quatre secteurs donnant naissance à quatre intercommunalités. Ce dernier est composé de six communes, regroupées à l’origine au sein d’un Syndicat d’Agglomération Nouvelle (le SAN du Val d’Europe) possédant l’ensemble des compétences propres au développement urbain local, en cours. Le territoire urbanisé y est en effet en croissance constante : lorsqu’on observe le Val d’Europe, on observe la ville en train de se faire104. Fin 2015, le SAN devient une communauté d’agglomération.