Le système visuel est un système complexe permettant la transmission d’informations concernant l’environnement extérieur à différents centres de traitement de ces informations dans le cerveau. Il regroupe donc à la fois la rétine, ses projections et l’ensemble des cibles du cerveau qu’elles innervent. De par la séparation anatomique des structures qui le composent (la rétine et les différentes régions du cerveau) et la précision dans l’espace des différentes projections, il constitue un modèle de choix pour étudier les mécanismes de formation des connexions neuronales. De plus, les projections rétiniennes dans le cerveau étant facilement visualisables par différentes techniques de traçage, celles-ci ont été particulièrement bien décrites et cartographiées. Un tel contexte permet donc plus facilement de déceler de fines perturbations quant au développement des connexions. Plusieurs systèmes visuels ont été particulièrement étudiés, tels que ceux du macaque, du chat, de la souris et du rat, mais aussi du poisson zèbre et de la drosophile, chacun de ces systèmes ayant ses avantages pour l’étude de certains mécanismes. Dans cette étude, je me focaliserai surtout sur le système visuel de la souris mais ferai allusion également aux études faites chez d’autres espèces en particulier lorsque celles-ci ont mis en évidence des mécanismes cellulaires de guidage et de ciblage axonal.
La rétine des vertébrés est une structure composée de différentes couches : 3 couches de corps cellulaires et 2 couches dites plexiformes, s’intercalant entre les 3 autres et comportant les arborisations synaptiques de ces cellules. Dans ces différentes couches s’organisent 5 grandes classes de cellules neuronales permettant les premières étapes d’intégration de l’information visuelle .
La couche la plus externe de la rétine contient les cellules neuronales sensibles à la lumière que sont les photorécepteurs (cônes et bâtonnets) . Les cônes étant sensibles à des longueurs d’onde spécifiques, ils sont responsables de la vision de jour et des couleurs. Ils restent cependant beaucoup moins sensibles que les bâtonnets qui, eux, permettent la vision en basse luminosité. Les photorécepteurs traduisent l’information lumineuse en une information électrique puis chimique. Situés dans la couche nucléaire externe, ils la transmettent ensuite via leurs synapses au niveau de la couche plexiforme interne aux cellules bipolaires situées elles dans la 2ème couche cellulaire : la couche nucléaire interne . Cette couche comporte également des cellules horizontales capables de moduler l’activité des photorécepteurs . Parmi les cellules bipolaires, on distingue 2 grands types selon qu’elles se dépolarisent (type ON) ou s’hyperpolarisent (type OFF) suite à une augmentation d’intensité lumineuse. Les cellules bipolaires contactent enfin au sein de la couche plexiforme interne les cellules ganglionnaires de la rétine (CGRs). Celles-ci composent la couche la plus interne de la rétine et envoient leur axone jusqu’au cerveau . A ce niveau, ce sont les cellules amacrines qui jouent le rôle de modulateur de l’activité sur les CGRs .
Ces différentes étapes d’intégration et de modulation de l’information au sein de la rétine sont d’autant plus importantes que ces CGRs sont ensuite les seules cellules de la rétine qui projettent leur axone hors de l’œil formant le nerf optique pour transmettre l’information au cerveau. Il en existe plus de 30 sous-types différents recevant les données de plus de 70 types d’interneurones. Ainsi ces sous-populations de CGRs sont spécialisées dans la transmission d’informations concernant une caractéristique du champ visuel, comme le mouvement, la direction ou le contraste des couleurs (Sanes & Masland, 2015; Baden et al., 2016).
Toutes les cellules ganglionnaires sont des neurones glutamatergiques situés dans la même couche de la rétine qui porte leur nom, sauf quelques rares exceptions : les displacedCGRs que l’on retrouve dans la couche plexiforme interne et la couche nucléaire interne (Dräger & Olsen, 1980, 1981; Balkema & Dräger, 1990). Les CGRs arborisent dans la couche plexiforme interne et envoient leur axone dans une ou plusieurs cibles visuelles du cerveau. Elles expriment certaines protéines qui leur sont spécifiques et celles-ci peuvent donc servir de marqueur tels que la protéine membranaire Thy1 (Barnstable & Dräger, 1984), les facteurs de transcription Brn3 (Xiang et al., 1995; Badea et al., 2009), et la protéine de liaison à l’ARN RBPMS (Rodriguez et al., 2014).
Actuellement la classification des CGRs repose sur 4 critères : une morphologie équivalente (le critère historique défini historiquement par Ramon y Cajal), des propriétés physiologiques communes, une expression génique similaire et enfin un espacement régulier entre les cellules d’une même sous-population. En effet ce dernier critère est un bon moyen de confirmer l’existence d’une sous-population, car la rétine a la particularité que les CGRs d’un même type ont tendance à former une mosaïque, c’est-à-dire qu’elles évitent les cellules du même type et semblent indifférentes aux autres (Wässle & Riemann, 1978; Rockhill et al., 2000; Reese, 2008; Kay et al., 2012). Certains critères sont souvent liés, des études ayant montré un lien entre la morphologie de certains types de CGRs avec leur réponse physiologique (Cleland et al., 1975). Des chercheurs ont ensuite réussi à lier ces caractéristiques morphologiques et physiologiques à l’expression de molécules (Karten & Brecha, 1983). Suite à la démocratisation de l’analyse moléculaire qui s’est ajoutée aux 3 précédents critères, les CGRs ont pu être subdivisées en au moins 25 sous-types voire plus de 30 sous-types en comptant ceux qui nécessitent une caractérisation plus précise (Roska & Meister, 2014). Depuis, l’avancée d’une nouvelle approche d’analyse moléculaire reposant sur le séquençage d’ARN à l’échelle d’une seule cellule (singe cell RNA sequencing) (Jaitin et al., 2014; Klein et al., 2015; Macosko et al., 2015) a permis d’étudier les différences moléculaires entre chaque CGR individuelle. Ainsi l’analyse de plus de 6000 CGRs via des algorithmes de regroupement a déterminé de nouveaux sous-types amenant ce chiffre à 40 aujourd’hui (Rheaume et al., 2018). Etant donné le grand nombre de critères, on peut difficilement déterminer lesquels sont déterminants en premier pour établir une hiérarchie parmi les différents sous-types de CGRs, la répartition en sous-groupe ci aprés ne reflète donc pas forcément une hiérarchie dans les processus de différenciation des CGRs.
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