LE BASSIN DE MADINA KOUTA (SENEGAL ORIENTAL)
Les rites et croyances liés au monde végétal chez les ethnies minoritaires
Chez les Bassaris et les Bedik, le végétal est considéré comme ce qui « habite » avec un sujet humain. Il partage avec l’homme et avec tout ce qui vit un principe que l’on peut traduire par âme. C’est un principe qui est responsable du rêve : ce dernier s’explique par le voyage de l’âme qu’on possède en plusieurs exemplaires, généralement trois. Quand une seule âme nous quitte, on rêve, on voit son voyage, mais si deux âmes quittent le corps de l’homme, il tombe malade et meurt quand il perd la dernière. Le végétal n’est donc pas isolé, il est en relation avec l’ensemble des êtres morts ou vivants, naturels ou surnaturels, et il possède une âme. Les grands arbres peuvent être habités par les esprits, les ancêtres. Les tas de pierre, sur lesquels sont aussi déposés bracelets ou objets 169 Ucad-ed-pcstui-fst_Thèse de Doctorat_Dynamique, Ressources et Environnements des Bassins Sédimentaires. Cheikh Ibrahima YOUM. Le bassin de Madina Kouta : Contribution à l’étude Lithostratigraphique Sédimentologique, Pétrographique et Notions de Géoparc, Géoconservation et Géotourisme Appliquees à la Réserve Naturelle Communautaire de Dindéfélo. Année 2019 de laiton, ou d’aluminium aujourd’hui, rassemblés au pied de certains caïlcédrats, témoignent des sacrifices offerts à l’habitant surnaturel de cet arbre. L’univers végétal, réel ou virtuel, participant de ce qui vit, renvoie sans cesse aux animaux ou aux hommes : « fructifier », « accoucher », « mettre bas » est traduit par un seul verbe qui est proche du radical « germer » dans les autres langues, ou aussi « habiter, prendre racine ». Cette charge rituelle et symbolique apparaît, avec le recul, comme un puissant instrument de protection de la faune et de la flore, dispositif beaucoup plus efficace que certains règlements ont rendu difficiles par le déficit en personnel de surveillance. A côté de ces deux groupes nous avons une importante communauté de Peulhs sédentarisés. Contrairement aux Peulhs nomades, ils sont devenus agriculteurs et ont gardé d’importants troupeaux de bovins et de caprins. Tous islamisés, ils n’en ont pas moins élaboré un paysage culturel et une économie de subsistance en tous points originaux. Ils pratiquent l’agriculture du mil, du maïs, du fonio à côté d’importants apports en protéines animales (lait et viande) apportés par le troupeau. Ils entretiennent maintenant des relations pacifiées avec les Bassari et les Bédik après avoir été leurs pires prédateurs durant la période de la traite.
L’importance historique, un potentiel archéologique en devenir
Longtemps éclipsés des paysages culturels vivant du pays Bassari, les vestiges archéologiques sont restés en marge des préoccupations des chercheurs plutôt attirés par l’ethnologie. Il y a eu peu de recherches archéologiques effectuées dans le Sud du Sénégal oriental et dans les régions habitées aujourd’hui par les populations bassari, bédik et Peul. Jean Joire (1947) a publié une note sur la découverte d’un gisement de microlithes, qu’il a attribué à la période néolithique, dans la vallée de la Mitji, aujourd’hui en Guinée Conakry. Cette région, qui se trouve dans l’aire d’extension de l’occupation bassari dans sa portion guinéenne, aurait donc connu un peuplement préhistorique datant de ce qu’il est convenu d’appeler l’Age de la Pierre. Raymond Mauny, (1963) a effectué une mission de prospection archéologique dans la région de Kédougou. Dans son rapport, il annonce la découverte de plusieurs sites néolithiques « trouvés, tant sur les basses terrasses exondées des bords mêmes de la Gambie que sur le rebord du plateau latéritique enserrant la vallée ». Les sites découverts lors de cette prospection ont été répartis en deux catégories, les sites préhistoriques et protohistoriques. Les sites dits « préhistoriques » contiennent essentiellement des pièces lithiques variées. Des outils en pierre sont trouvés en surface dans le site de Kédougou‐Nouvelle Résidence. Des disques, nucleus et éclats en quartz sont trouvés à 3km au SE de la ville de Kédougou. Un biface 170 Ucad-ed-pcstui-fst_Thèse de Doctorat_Dynamique, Ressources et Environnements des Bassins Sédimentaires. Cheikh Ibrahima YOUM. Le bassin de Madina Kouta : Contribution à l’étude Lithostratigraphique Sédimentologique, Pétrographique et Notions de Géoparc, Géoconservation et Géotourisme Appliquees à la Réserve Naturelle Communautaire de Dindéfélo. Année 2019 est trouvé à Kédougou-Camp militaire. Des disques et éclats en quartz sont trouvés en surface à Fadiga‐Sud-Est et des pièces lithiques non précisées ont été mises à jour à Angueniapissa et Samékouta. Des pierres sonnantes trouvées à Iwol-haut et Iwol-Aperg, des dossiers de siège en pierre à Iwol-haut, et les ruines d’un tata à redoute de 100 x 100m à Yourou-Moussa à une vingtaine de kilomètres au NNO de Kédougou (Mauny, 1963). En ce qui concerne les vestiges archéologiques, Monique de l’Estrange (1947) a publié une note à propos d’une terre cuite bassari découverte à Itiu, à Youkounkoun. À proximité des placers d’or de la haute Falémé qui ont livré haches polies, sphères de quartz et pierres percées, les sites découverts aux environs de Kédougou ont livré un matériel divers : pebble-tools, disques, nucléus, pièces et éclats en quartz et grès quartzites taillés, « enclume » à cupules opposées, bifaces roulés, haches polies, fragments de poteries. Depuis les premières prospections, les découvertes de sites livrant des hachettes en hématite se sont multipliées. Aux environs de Kédougou, l’outillage présente une certaine unité de l’ensemble oriental par la présence de petites haches polies en hématite, trouvées ou signalées dans 120 localités du Sénégal oriental et une vingtaine autour de Kédougou. Elles sont traditionnellement considérées comme tombées du ciel au moment des orages et sont supposées pouvoir protéger leur détenteur. Il existe également des mégalithes sur des lieux de culte, mais ils sont moins spectaculaires que ceux de Sénégambie inscrits au patrimoine mondial en 2006.
L’importance artistique : savoir-faire et artisanat chez les ethnies minoritaires du pays bassari
En raison de leur mode de vie, essentiellement articulé autour de l’exploitation des ressources naturelles du terroir ainsi qu’à la relative faiblesse de l’impact des produits importés, les populations du Pays Bassari ont gardé un important patrimoine artisanal. Ce patrimoine qu’ils ont généralement su préserver malgré les assauts de la modernité peut devenir une valeur économique forte dans le cadre de l’aménagement culturel du Pays Bassari dont le Plan de gestion sera un des maillons forts. C’est ainsi que les hommes savent généralement encore allumer le feu à la manière traditionnelle. Il s’agit, à l’aide d’un anneau ouvert de fer plat, de frapper sur un morceau de galet de rivière, pour faire jaillir une étincelle avec laquelle on enflamme des fibres conservées dans une noix de rônier, ou une corne d’antilope, parfois après les avoir trempées dans de l’eau filtrée sur des cendres amères. Cette maîtrise du feu trouve son expression la plus achevée dans une pratique artisanale aujourd’hui disparue depuis la fin du siècle dernier, il s’agit de la technique de l’extraction du fer. Les Bassaris d’Ethiolo se souviennent du temps où l’on 171 Ucad-ed-pcstui-fst_Thèse de Doctorat_Dynamique, Ressources et Environnements des Bassins Sédimentaires. Cheikh Ibrahima YOUM. Le bassin de Madina Kouta : Contribution à l’étude Lithostratigraphique Sédimentologique, Pétrographique et Notions de Géoparc, Géoconservation et Géotourisme Appliquees à la Réserve Naturelle Communautaire de Dindéfélo. Année 2019 extrayait le fer de la latérite, « la pierre des Bassari ». Pour s’éclairer la nuit dans les maisons, en plus de la lueur du foyer, on peut utiliser des torches de tiges sèches de mil ou de graminée sauvage. Dans cette société qui n’a pas développé le système des castes, les forgerons (Figure 75 ; photo 1) fabriquent essentiellement des instruments agricoles, des outils à travailler le bois, des clous, des armes, des instruments de musique (cloches et grelots) (Figure 75 ; photo 2). Ils sont aussi bijoutiers et fabriquent des anneaux, bracelets et plaques. Les anneaux se placent aux mains, aux pieds, ou sont attachés à la ceinture, les plaques de cuivre s’attachent à même la ceinture ou contre la peau de chèvre dont les femmes se servent pour porter leur nourrisson. Ils fabriquent les manches aussi bien que les lames des outils, il n’y a pas d’artisans spécialisés dans le travail du bois ; les forgerons feront à l’occasion des portes de maison en bois ou divers types de tabourets, taillés dans un tronc de fromager ou un bois plus dur, en forme de sablier. De légers sièges en palmier raphia que savent faire de nombreux hommes et garçons sont également fréquents. Figure 75. Photo 1 : Atelier de Forgeron ; Photo 2 : Instruments de musique. En hivernage, ils font des houes, en saison sèche ils fabriquent des bracelets ou taillent des portes. Agriculteur, le forgeron a peu de temps à consacrer à son champ en hivernage, car c’est l’époque où tous ont des outils agricoles à faire réparer. Dans le domaine de la tannerie, les Bassari ont la réputation d’être habiles à préparer les peaux, épilées ou non, parfois blanchies, mises à plat ou non, pour en faire par exemple des contenants à grains. Les hommes en préparent pour eux-mêmes et aussi quelquefois pour en vendre. Grattée, séchée, la peau est tannée avec des cendres amères de bambou, ou de coques de pois de terre ou d’un mélange de bois et de fruits de fromager et de lianes. Les peaux (de chèvre, mouton, antilope ou divers petits mammifères sauvages) servent essentiellement à fabriquer des sacoches, des carquois à flèches, des sacs à provisions de bouche 172 Ucad-ed-pcstui-fst_Thèse de Doctorat_Dynamique, Ressources et Environnements des Bassins Sédimentaires. Cheikh Ibrahima YOUM. Le bassin de Madina Kouta : Contribution à l’étude Lithostratigraphique Sédimentologique, Pétrographique et Notions de Géoparc, Géoconservation et Géotourisme Appliquees à la Réserve Naturelle Communautaire de Dindéfélo. Année 2019 pour la journée, des sacoches pour récolter le miel, des porte-bébés, des ceintures triangulaires de peau, des fourreaux, des ornements de danse et des chasse-mouches. La vannerie est une autre spécialité des Bassari. Leurs nattes et leurs paniers en bambou sont d’une exécution remarquable. Les meilleurs ouvriers sont ceux qui tressent les grands paniers, dits Bassari. Les vanniers sont toujours des hommes, sans qu’il semble interdit aux femmes de faire de la vannerie. La calebasse est également un objet très utilisé. Sa préparation demande beaucoup d’habileté. Les grandes calebasses sont coupées en deux parties lorsqu’elles sont encore fraîches. Les calebasses plus petites sont vidées et utilisées telles quelles, comme récipients pour les liquides. Le fruit frais est alors percé d’un trou et mis dans l’eau pendant environ une semaine pour faire pourrir chair et graines. Cela enlève en même temps l’aigreur, on n’a donc pas besoin de les faire bouillir. La poterie n’est pratiquée que par un petit nombre de femmes. Ces femmes, souvent âgées, appartiennent à n’importe quelle lignée et peuvent épouser n’importe quel homme. Il n’y a donc aucune forme de discrimination pouvant rappeler le système des castes. Elles héritent fréquemment leur technique de leurs mères, sans qu’il n’y ait là rien d’obligatoire. La terre de termitière crue est également utilisée dans le modelage de lits, paravents, pots à conserver les graines, sièges bas, supports à poterie ou calebasses (Figure 76 ; photo 1) et greniers-pots à couvercle. Avec le même matériau cru et séché, les femmes bassari façonnent aussi des poupées jouets (Figure 76 ; photo 2). Enfin, les seins en terre de termitière, modelés par les jeunes filles lorsqu’elles construisent le mur d’un ambofor (case commune des adolescents) ou de la maison d’un jeune homme, relèvent de la même technique.
PREMIERE PARTIE : CADRE GENERAL |