Les revendications des syndicats de transport

Les actions pour salariat déguisé

Le 14 Avril dernier, dix plaintes pour salariat déguisé ont été déposées devant le Conseil des Prud’hommes par les chauffeurs utilisant la plateforme.
Aujourd’hui, nombreux sont les coursiers qui souhaitent obtenir cette requalifi-cation de la relation qu’ils entretiennent avec la plateforme en relation salariale. En effet, les coursiers indépendants ne sont pas soumis à la Convention Collec-tive Nationale des Transports Routiers et Activités Auxiliaires des Transports applicable aux coursiers employés par les sociétés de transport traditionnelles. A ce titre, ils ne bénéficient pas d’une rémunération réglementée. En effet, ils n’ont pas de revenu fixe mais sont payés à la course, tout en sachant que sur le bénéfice obtenu à la fin du mois devra se soustraire les différentes charges so-ciales et fiscales. De plus, leur protection sociale est bien moins avantageuse que celle dont les salariés bénéficient – Ils n’ont ni droit au chômage, ni aux congés payés, ni à la mutuelle souscrite par l’entreprise pour ses salariés et co-tisent peu pour leurs retraites.
182. Aujourd’hui le débat se cristallise autour de la question suivante : les en-trepreneurs sont-ils réellement en situation de salariat déguisé leur permettant d’obtenir une requalification du contrat conclu avec la plateforme en contrat de travail ?
183. L’article L8221-6 du Code de Travail établit une présomption simple se-lon laquelle il n’existe pas de contrat de travail pour les personnes physiques
immatriculées au RCS92. Cependant selon une jurisprudence constante de la Cour de Cassation « L’existence d’une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté des parties, ni de la qualification qu’elles ont données à leur con-vention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des tra-vailleurs. Que doit donc être considéré comme salarié celui qui (…) accomplit un travail pour un employeur dans un lien de subordination juridique perma-nent »93.
184. La Cour de Cassation donne les caractéristiques du lien de subordination. Elle le définit comme « L’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécu-tion et de sanctionner les manquements de ses subordonnées »94.
185. C’est l’existence d’un lien de subordination avec la plateforme que les coursiers tentent de démontrer pour voir leur relation requalifiée en contrat de travail. Lors de l’entretien réalisé, Jérôme Pimot – Porte-parole du collectif coursier – donne des éléments de fait en ce sens : Planning géré par la plate-forme, port obligatoire de la tenue vestimentaire de celle-ci, les sanctions (Ac-cès bloqué pendant plusieurs jours par exemple) etc.
186. Il n’est pas possible aujourd’hui de savoir si la justice française tranchera ou non en faveur des coursiers puisque les plateformes n’ont été impliquées dans ce débat judiciaire que trop récemment. Cependant l’arrivée de ces acteurs sur le marché de la course à vélo à conduit à l’apparition d’un nouveau conten-tieux et donnera lieu à jurisprudence.

Les actions pour concurrence déloyale

187. Les coursiers indépendants ne sont pas les seuls à agir en justice contre les plateformes.
En effet le SNTL a engagé, fin 2016, un référé probatoire pour distorsion à la concurrence auprès du Tribunal de Commerce de Paris. C’est la raison pour laquelle, les sociétés Colisweb, Deliver.ee et Stuart ont dû faire face, le 6 Janvier dernier, à l’arrivée de plusieurs huissiers de justice, experts comptables et ex-perts informatiques au sein de leurs sièges sociaux.
188. Il est intéressant de demander un référé probatoire « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige »95. La manœuvre du STNL consiste pour le cas présent à obtenir l’avis d’un juge sur les possibilités d’une action en justice contre ces plateformes pour concur-rence déloyale.
189. Le SNTL, syndicat dédié au transport de marchandises de moins de 3,5 tonnes considère que ces nouveaux acteurs « Cassent abusivement les prix et déstabilisent le marché déjà fragile »96. 190. En effet, il dénonce notamment la non-soumission des coursiers indépen-dants à la Convention Collective Nationale des Transports Routiers et Autres Activités Auxiliaires du Transport, ce qui leur permet de ne pas respecter les règles de rémunération prévues. De ce fait, les plateformes rémunèrent les cour-siers à la commission, ce qui lui permet de pratiquer des prix que le SNTL qua-lifie « d’abusivement bas ».
191. De même, ils militent pour la requalification de la relation coursier / pla-teforme en contrat de travail afin que ces plateformes soient soumises aux mêmes charges que les entreprises de transport traditionnel (salaire, cotisations, mutuelle d’entreprise, TVA etc). Les sociétés de transport traditionnelles doi-vent quand elles fixent un prix, veiller à ce que dernier couvre les charges de l’entreprise. Avec des charges très faibles, les plateformes peuvent proposer des prix beaucoup plus bas.
192. Aujourd’hui, c’est devant les tribunaux que le SNTL souhaite agir et c’est en ce sens qu’a été demandé le référé probatoire. En effet, selon eux « La concurrence déloyale ainsi créée et non contrôlée mettrait en péril la vie des entreprises vertueuses du secteur et serait destructrice d’emplois salariés pé-rennes »97.
193. Il ne s’agit pas de la première action juridique introduite par le SNTL. Un référé probatoire avait déjà eu lieu devant le TGI de Paris pour tenter de requalifier la plateforme GoGO RunRun de commissionnaire de transport98.

Les contestations hors cadre légal

Que ce soit les coursiers indépendants ou les syndicats de transport, leurs reven-dications ne s’arrêtent pas aux contenus des actions qu’ils ont menés en justice. Les coursiers se livrent à un combat éminemment plus politique (1), et les syn-dicats tentent par tous moyens de combattre l’émergence de ces acteurs « ubé-riseurs »99 (2).

Les revendications des coursiers

194. Aujourd’hui la lutte menée par les coursiers à vélo n’est plus simplement juridique. Même s’ils souhaitent obtenir la requalification de la relation les liant avec la plateforme, le combat est devenu éminemment plus politique.
195. Lorsque la question de la requalification est abordée avec Jérôme Pimot en entretien, il déclare « Maintenant les choses sont devenus plus politique, il faut presque changer notre fusil d’épaule ! Il ne faut pas lâcher le truc, plu-sieurs procédures individuelles ont quand même eu lieu aux prud’hommes, il y a même des procédures collectives suite à la chute de Teak It Easy mais le com-bat ne doit pas s’arrêter à ça ! »100.
196. Jérôme Pinot explique qu’au départ, les plateformes mettent en place un système de rémunération séduisant qui comprend une part de rémunération fixe, même quand le coursier est en attente, et une part de rémunération variable en fonction du nombre de courses réalisées. A cela s’ajoute un système de bonifi-cation à l’aide de primes de toutes sortes (d’engagement, de régularité) qui selon lui peuvent représenter jusqu’à la moitié des revenus.
197. Avec la chute de deux des leaders du secteur et la montée en puissance de l’attrait pour cette nouvelle forme de travail, les coursiers ont été de plus en plus nombreux. Les plateformes ont progressivement supprimé les primes « Parce qu’il y avait assez de coursier donc plus besoin de les attirer mais de les mettre en concurrence les uns avec les autres »101. Puis, peu à peu, les plateformes ont supprimé les rémunérations fixes représentant la part non contrac-tuelle de l’engagement entre les plateformes et les coursiers, aboutissant à une rémunération à la course.
198. C’est ce changement de politique de la part des plateformes que les cour-siers revendiquent. Ils demandent à ce que ces dernières gèlent leurs recrute-ments et à ce que leur soit reconnu le statut de société de transport afin que le paiement à la course leur soit interdit.
199. Comme le souligne Jérôme Pinot « Pour les boites de traduction, le drame il est économique, comme pour les VTC, mais nous le drame il est phy-sique. C’est mortifère à l’échelle de presque une génération parce que les mecs jouent leur vie à chaque carrefour »102. Et de conclure « Si on laisse Deliveroo ou les autres plateformes payer au lance-pierre des mecs qui risquent leur vie, jusqu’où peut-on aller dans la démolition du droit du travail »103.

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