Les résidus carbonés de feux dans les sédiments
lacustres et océaniques intertropicaux
Définition des principaux résidus carbonés issus de la combustion
Devant la nécessité de s’entendre sur la terminologie des résidus carbonés issus des feux, un effort d’homogénéisation été entrepris par la communauté scientifique, mais certaines définitions demeurent relativement ambiguës. En fonction du degré de combustion et/ou de la méthode d’analyse, on distingue les résidus carbonés suivants (Jones et al., 1997): • Charbon ou fusain : Le charbon est un dérivé de plante noirci, obtenu par combustion incomplète du bois ou d’autre matière organique, le plus souvent par chauffage en présence limitée d’oxygène. La composition chimique et la structure originelles sont altérées, mais des traces de structures anatomiques sont encore visibles et permettent éventuellement d’identifier l’essence (analyse anthracologique). • Microcharbons : Petites particules de charbons dont la taille est comprise entre 1µm à plusieurs millimètres (mm), produites par le feu in situ et transportées par la fumée. Les microcharbons sont caractérisés à l’aide de microscope photonique par leur opacité à la lumière. • Carbone suie ou aérosols carbonés : Particules carbonées noires formées par condensation gazeuse et émises avec la fumée. Leur taille est généralement inférieure voir égale au µm. Tout comme les fragments de charbons, les particules de suie sont enrichies en acides humiques aromatiques. L’extraction de la suie est possible après oxydation (thermique ou chimique) de la matière organique labile. En revanche, la caractérisation de ses composés 30 organiques fortement condensés est difficile (Cachier et al., 1989) et la distinction suie-BC n’est pas toujours faite (Chameides and Bergin, 2002). • Black Carbon (BC): Tout comme la suie, le BC est une substance carbonée noire, issue de la combustion incomplète de charbon, bois ou huile, à haute température. Les particules de BC se forment par condensation gazeuse au sein des nuages ou des combustibles. Elles sont de forme plus ou moins sphérique et de taille inférieure au micromètre. Le BC est défini comme le composant carboné de la suie le plus condensé (Ogren and Charlson, 1983). En réalité, le terme BC est très répandu mais il n’existe toujours pas de définition définitive du BC (Goldberg, 1985), si ce n’est par analogie au graphite, carbone élémentaire arrangé en molécules cycliques. La définition du BC est fixée en fonction des techniques d’extraction ou de mesure. Lorsque la combustion est lente et faible, la formation de charbon est favorisée. En revanche, dans le cas d’une combustion flamboyante à haute température, l’émission d’aérosols carbonés peut-être multipliée par 10 (Lobert and Warnatz, 1993).
Les réservoirs et le temps de résidence du carbone réfractaire
Bien que les particules carbonées résistantes à l’oxydation, ou carbone réfractaire, puissent avoir comme origine les feux de biomasse, leur concentration variable dans les sédiments n’est pas de façon univoque causée par les feux (Bird and Gröcke, 1997). En effet, des substances humiques dissoutes et des débris de plantes dérivés de la matière organique terrigène (lignine) sont largement incorporés dans les systèmes aquatiques par les rivières (Emerson and Hedges, 1988). L’érosion de terrains sédimentaires exporte aussi du carbone organique réfractaire fossile vers le plus grand réservoir de carbone marin : le Carbone Organique Dissous (DOC). Le mode de fonctionnement du DOC est mal connu, mais il semble qu’environ 10% du DOC est d’origine terrestre dans le Pacifique Equatorial (Meyers-Schulte and Hedges, 1986). Le taux de formation de DOC réfractaire dépend de l’activité microbienne. Les bactéries transforment la structure moléculaire des particules organiques et les rend résistantes à l’oxydation (Ogawa et al., 2001). Ainsi, les changements de carbone réfractaire dans les sédiments peuvent être influencés par la dynamique d’érosion et les processus de dépôt. Une partie du DOC est recyclée au sein même de l’océan et stockée dans ce réservoir intermédiaire avant sa sédimentation. Il en est de même pour les particules de BC qui apparaissent plus vieilles 31 de quelques milliers d’années que leur encaissant, et qui ont apparemment transité par le DOC ou les sols (Williams and Druffel, 1987; Masiello and Druffel, 1998). Pour identifier la contribution relative des feux de biomasse dans les apports de matériel détritique organique (au cours des derniers cycles glaciaires et de l’Holocène) nous focalisons notre étude sur un site océanique pélagique (carotte MD97-2140, Warm Pool) et un lac de cratère (carotte MM8, Lac Masoko, Tanzanie), dans lequel les apports terrigènes de matière organique sont établis indépendamment (Merdaci, 1998).
Méthode optique
Les méthodes optiques concernent le comptage des grains de charbons, et/ou la mesure de leur surface et leur taille. Le tamisage du sédiment sépare les charbons les plus grossiers (macrocharbons) des charbons les plus petits (microcharbons). L’observation au microscope binoculaire et/ou photonique couplée à l’acquisition d’images permet ensuite de compter un grand nombre de particules avec une résolution de l’ordre du micromètre (µm) et d’obtenir des paramètres quantifiés comparables d’un site à l’autre. La distribution des tailles renseigne sur le mode de transport des charbons, le transport des particules les plus petites étant favorisé par la voie aérienne (Clark and Royall, 1995).
Préparation des lames
Afin d’éviter le fractionnement des charbons par centrifugation, l’ensemble des attaques s’effectue dans le même Becher, sans rinçage. Une première attaque à l’HCl 3M (décarbonatation) est pratiquée sur 50 à 500 mg de sédiment jusqu’à arrêt des bulles de dégazage. Les ajouts successifs de 20 à 30 ml d’acide nitrique (NO3) et d’eau oxygénée (H2O2) purs détruisent la pyrite et la matière organique qui sont opaques et pourraient être confondues avec des charbons (Winkler, 1985). Après l’arrêt des bulles de dégazage, la solution est ramenée à un volume connu par adjonction d’eau. En fonction de la densité de la solution, une partie plus ou moins grande est filtrée par une pompe à vide à travers une membrane de filtration en nitrocellulose. Une partie du filtre est enfin coupée et montée entre lame et lamelles sur baume du Canada.
Acquisition et traitement des images
Les lames sont observées au microscope optique sur 100 à 150 champs (1.7 à 2.6 mm²). Une image en noir et blanc (composée de 255 niveaux de gris) par champ est saisie par le programme automatique de reconnaissance optique SYRACO (SYstème de Reconnaissance Automatique de Coccolites ; Dolfus and Beaufort, 1999). Le programme Scion Image (http://www.scioncorp.com) permet ensuite de traiter ces images en programmant une macro en langage Pascal. Les images sont ouvertes automatiquement les unes après les autres et les particules noires de charbon sont isolées par seuillage de l’image à un niveau de gris fixé (figures 2-4). Pour une analyse morphologique, les particules retenues sont caractérisées en fonction des options choisies : calcul de l’aire, du périmètre, des axes principaux. La taille et la surface des particules (en pixels) sont ensuite mises à l’échelle à l’aide d’un micromètre et rapportées à l’ensemble du filtre et de la masse de sédiment analysée (µm, mm²/g). Des tailles limites de particules peuvent être choisies afin de discriminer plusieurs classes de distribution. La surface totale de charbon augmente proportionnellement avec le nombre d’images analysées (figure 2-4a). Elle est considérée comme fiable à partir de 75 images. Dans ce travail, 0 255 0 400 pixels 80 µm Niveaux de gris 2 1 Figures 2-4 : Comptage automatique des charbons par analyse d’image : Les images composées de 255 niveaux de gris sont ouvertes (a et b) puis seuillées à un niveau de gris défini (c). Les particules sont indexées et les paramètres choisis sont mesurés. Ici, les particules inférieures à 50 µm² et celles qui touchent le bord ont été ignorées. a) b) c) 33 l’acquisition de 100 à 150 images par échantillon a été choisie comme étant représentative de l’échantillon. Le nombre de particules de charbons est proportionnel à leur surface totale (figures 2-4b). Comme le montre les figures 2-4 et 2-5c, le choix de la valeur de seuil est primordial. Des tests sur des sédiments naturels ont permis de fixer un seuil autour de 190 niveaux de gris. Toutefois, la valeur de seuil n’a pas été calibrée avec des charbons expérimentaux et elle peut varier sensiblement en fonction de la chimie du sédiment et de l’opacité de la préparation. Cette méthode qui peut être utilisée de façon quantitative est surtout performante d’un point de vue qualitatif.
Analyse du carbone élémentaire
L’analyse du carbone élémentaire (converti en CO2) se fait par chromatographie. L’extraction du carbone résistant aux traitements oxydants dans les sédiments nécessite l’élimination préalable de toutes les autres formes de carbone organique (végétal, animal, terrestre et aquatique) et inorganique (carbonates).
Appareillage: l’analyseur élémentaire de carbone
Le CN (Fisons Na 1500) est un chromatographe en phase gazeuse qui permet de mesurer la teneur en carbone (C) et en azote (N) sur de très petites quantités d’échantillons solides (5 à 15 mg). Le principe de fonctionnement est représenté sur la figure 2-6 : L’échantillon à analyser est placé dans une capsule, elle-même disposée dans un passeur automatique (1). L’échantillon tombe dans la chambre à combustion (2) maintenue à 1020°C sous une atmosphère enrichie en oxygène et brûle violemment (combustion par flash). Les produits de combustion oxydés sont entraînés par de l’hélium à travers une colonne de réduction (3) contenant du cuivre métallique porté à 650°C. L’excès d’oxygène est piégé, et les oxydes d’azote réduits en azote élémentaire (N) passent avec CO2 et H2O par un piège à eau contenant du perchlorate de magnésium (4). La colonne de chromatographie (5) fournit un signal en millivolts, proportionnel à la concentration des composants (N2 et CO2), grâce à un détecteur de conductivité thermique (6). Le signal est traité par le logiciel Eager 200, et les pourcentages de C et N sont calculés en fonction de la masse de sédiment traitée, après soustraction du blanc qui dépend du type de capsule utilisée. Figure 2-6 : Schéma de l’analyseur élémentaire CN (Fisons 1500). ← ↑ → ↓ ° ± 35
Analyse du carbone total (Ctotal), du carbone organique (Corg), et calcul de la teneur en carbonate de calcium (CaCO3) Les échantillons sont lyophilisés puis broyés finement. La mesure du Ctotal se fait sur 5- 10 mg de sédiment brut introduit dans une capsule en étain (Sn, 3×5 mm) placée dans le passeur automatique. La teneur en Corg est mesurée sur 5-20 mg de sédiment brut après décarbonatation à l’acide chlorhydrique (HCl) dans des capsules en argent (Ag, 3×5 mm). Ces valeurs permettent de calculer la teneur en CaCO3 en appliquant l’équation suivante (Verardo et al., 1990): ( % Ctotal – % Corg) * M CaCO3/M C = % CaCO3 avec M CaCO3/M C =8.3 2.7.3 Méthode thermique L’oxydation de la matière organique se fait par traitement thermique. Le sédiment sec et broyé est placé dans un creuset en porcelaine et chauffé à 375°C. Le Carbone Résistant au traitement Thermique (TRC) est ensuite mesuré après décarbonatation dans des capsules en argent (Ag 3×5 mm) sur environ 5-20 mg de sédiment.
Méthode chimique
Les protocoles d’extractions chimiques que nous utilisons (figure 2-7 ) sont basés sur une synthèse des méthodes existantes (Cachier et al., 1989; Wolbach and Anders, 1989; Gustafsson et al., 1997; Bird and Gröcke, 1997; Bird et al., 1999). Afin d’augmenter l’efficacité des attaques, un rinçage à l’eau permutée est effectué entre chaque attaque : A) 0.2-0.5 g de sédiment sec et broyé est placé dans des tubes de centrifugeuse en polypropylène. Contrairement aux méthodes décrites précédemment, la quantité de sédiment traitée n’est pas limitée par la petite taille du contenant. Afin de réduire les pertes expérimentales, l’ensemble de la procédure se déroule dans les mêmes tubes. Pour les sédiments riches en CaCO3 une première attaque à l’HCl 3M évite toute projection de sédiment par une décarbonatation trop brutale. 36 B) 20 cm3 du mélange acide fluorhydrique/chlorhydrique, HF (10M)/HCl (1M) sont introduits dans les tubes disposés sur un agitateur à 400 tours/minute pendant 24h, afin d’augmenter l’efficacité de l’attaque des silicates. C) 20 cm3 d’HCl 10M sont versés dans les tubes, maintenus agités pendant 24h afin de dissoudre la totalité des carbonates. D) 20 cm3 d’acide sulfochromique (0.1M K2C2rO7/2M H2SO4) sont introduits dans les tubes, placés dans un bain marie à une température de 55°C pendant 65h, afin de détruire le carbone organique labile.
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