Le lien entre les réseaux sociaux et les droits de l’enfant est très récent. En effet, lorsque la Convention des Droits de l’Enfant a été mise en place, les réseaux sociaux n’existaient pas dans le paysage des enfants. Désormais, l’enjeu de ce nouvel outil pour les Droits de l’Enfant est au cœur des discussions. À ce propos, le Comité des Droits de l’Enfant a consacré sa journée thématique de 2014 à notre problématique : “Digital Media and Children’s Rights”. La traduction du terme digital media en français est médias numériques, nous utiliserons donc cette désignation afin d’expliquer les diverses conclusions du Comité des Droits de l’Enfant.
Le but de la journée, comme défini par le document du Comité des Droits de l’Enfant, était « to better understand the impact on and role of children’s rights in this area, and develop rights-based strategies to maximize the online opportunities for children while protecting them from risks and possible harm without restricting any benefit » (OHCHR, 2014, p.2). Comme nous le précise Sandberg (2014), les nouveaux médias offrent à l’enfant de multiples possibilités : de jouer, de se socialiser, d’apprendre. La clé du meilleur traitement des nouveaux médias doit cependant s’effectuer entre le devoir de protection et l’empowerment de l’enfant. Lors de la discussion, le problème principal qui est évoqué est que l’âge digital est très complexe, varie très rapidement et que la distinction entre enfants et adultes est éliminée par ces outils.
Les discussions ont été divisées en deux groupes de travail. Le premier groupe s’est intéressé à l’accès aux médias digitaux de manière égalitaire et sûre. Le deuxième groupe de travail s’est consacré à l’empowerment des enfants et leur engagement à travers les médias numériques et les NTIC. Cette deuxième partie est particulièrement intéressante dans notre problématique de recherche, car elle traite du pouvoir de participation de l’enfant (empowerment) par les nouveaux médias. Les conclusions de cette journée nous montrent différents résultats. Les participants parviennent aux constats que les médias numériques offrent à l’enfant la possibilité de développer ses droits, notamment la liberté d’expression. Le plus important est désormais de protéger au maximum les enfants des risques qu’ils peuvent rencontrer sur ces médias. Ils montrent également qu’une fracture s’est inscrite entre les parents et les enfants, les parents utilisent les médias numériques alors que les enfants vivent dedans. Les champs sont désormais multiples où l’accès à Internet peut être privilégié comme l’école ou la famille.
Suite à la présentation des deux groupes de travail, le Comité rappelle que, même si la CDE a été rédigée avant l’apparition des médias numériques, chaque article doit désormais être réfléchi selon l’optique d’Internet. Les réseaux sociaux ont remplacé les places de jeux et les enfants se construisent en apprenant, recherchant et en ce socialisant sur ces outils. Ils considèrent de ce fait que les enfants sont au courant des dangers d’Internet et que les médias numériques jouent essentiellement un rôle positif dans la jouissance de leurs droits (OHCHR, 2014).
Nous avons retenu plusieurs recommandations de la part du Comité des Droits de l’Enfant en lien avec notre recherche.
1) « States should recognize the importance of access to, and use of, digital media and ICTs for children and their potential to promote all children’s rights, in particular the rights to freedom of expression, access to appropriate information, participation, education, as well as rest, leisure, play, recreational activities, cultural life and the arts. In addition, States should ensure that equal and safe access to digital media and ICTs, including the Internet, is integrated in the post-2015 development agenda » (OHCHR, 2014, P.18). Les États se doivent de garantir à l’enfant l’accès aux médias numériques pour leur permettre de développer leurs droits. Il s’agit d’une prestation que l’État doit fournir à l’enfant.
2) « States should undertake research, data collection and analysis on an ongoing basis to better understand how children access and use digital and social media, as well as their impact on children’s lives. The data should cover both risks and opportunities for children and should be disaggregated by age, sex, geographic location, socio-economic background, disability, membership of minority and/or indigenous group, ethnic origin or any other category considered appropriate in order to facilitate analysis on the situation of all children, particularly those in situations of vulnerability » (OHCHR, 2014, p.19). Il est nécessaire de comprendre comment les enfants accèdent aux médias numériques et quelle utilisation ils en font. Dans notre travail, nous allons chercher à montrer quelles pratiques les jeunes ont sur les réseaux sociaux.
3) « The Committee calls upon States to revise their national laws, regulations and policies that limit children’s rights to freedom of expression, access to appropriate information as well as association and peaceful assembly in any setting, including the online environment, to align them with the Convention and other international human rights norms and standards » (OHCHR, 2014, p.22). L’État doit envisager un changement de ces lois si cellesci viennent contrecarrer la liberté d’expression.
4) « States should furthermore actively promote children’s rights to freedom of expression, access to appropriate information and association and peaceful assembly in all settings, including the online environment. In particular, States should promote the creation of channels for child-led activism, as well as educational and recreational content for children of different ages, including content produced by children themselves » (OHCHR, 2014, p.22). La place de l’enfant dans le processus de liberté d’expression doit être privilégiée. Il est nécessaire d’avoir des contenus créés par l’enfant lui-même.
Ces différentes conclusions et recommandations du Comité des Droits nous ont permis d’envisager les divers aspects de notre travail : comprendre comment la participation se joue désormais sur les médias numériques et quelle pratique ont les enfants de cet outil.
Les droits participatifs selon la Convention relative aux Droits de l’Enfant
Prestations, protection, participation
L’action de la Convention des Droits de l’Enfant est souvent définie selon la règle des 3P: prestations, protection et participation. Sous le terme de prestation, l’État doit mettre tout en œuvre pour que les enfants disposent de la sécurité sociale, de l’accès aux soins ou à l’école. Par la protection, la Convention pousse l’État à veiller sur les conditions qui favorisent le bon développement de l’enfant. Finalement, la participation engage l’État à intégrer la parole de l’enfant dans tout ce qui le concerne. Pour notre part, nous allons particulièrement nous intéresser à l’aspect de la participation.
La définition du concept de participation donne un nouveau statut à l’enfant. Car, comme nous le précise Nigel Cantwell (2013), par le terme participation, on désirait que l’enfant soit reconnu comme sujet de droit et acteur afin de bénéficier de ses droits. Alors qu’avant la CDE, l’enfant était considéré comme objet de loi, ce texte permet d’envisager les enfants sous une nouvelle optique. Selon Zermatten (2014), il est cependant important de distinguer deux types de participation. D’une part, nous retrouvons de fait le droit d’être entendu et d’autre part, « la participation comme concept de rendre les enfants (groupe collectif) acteurs de leur destinée » (Zermatten, 2014, p.25). Cette distinction est importante, car elle permet de percevoir la participation à la fois comme un moyen et comme une base de fonctionnement.
À ce propos, certains articles ont été définis pour pouvoir garantir à l’enfant sa participation au sein de la société. L’article principal promouvant les droits participatifs et qui est par ailleurs est un des principes fondamentaux de la CDE, est l’article 12. Il traite notamment du droit d’être entendu et de donner son opinion. Par l’article 13, on touche à un domaine qui nous intéresse précisément dans notre thématique, la liberté d’expression. D’autres articles peuvent être évoqués : le droit à l’association (art.15), l’accès aux médias (art. 17), le droit à la religion (art. 30), etc. Tous fournissent à l’enfant l’opportunité de développer ses droits participatifs au sein de son environnement.
Les deux autres concepts de la Convention (protection et prestations) restent cependant primordiaux dans le traitement des réseaux sociaux, car la facilitation de l’accès aux NTIC est une prestation qui doit être offerte à l’enfant, mais qui va de pair avec la protection face aux risques d’Internet. Les trois aspects se regroupent dans notre thématique.
Un droit participatif particulier : la liberté d’expression chez les enfants
La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme
La liberté d’expression s’exprime en tout premier lieu par l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit » (Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, 1948) La Déclaration offre à toute personne, par la liberté d’expression, un droit civil fondamental. La définition est très large et englobe des concepts-clés, tels que l’opinion, la multitude des moyens d’expression ou encore les frontières. Le but de cet article est de fournir à tout individu le droit au partage d’informations. La Défense des Enfants Internationale (DEI) définit que la liberté d’expression chez les enfants est : « Un droit essentiel à la réalisation des droits de tous les enfants. Ce droit est par ailleurs un bon marqueur pour évaluer les opinions des enfants dans une société. En analysant par exemple la manière dont les enfants sont capables d’exprimer leurs opinions, on peut mesurer comment ils se reconnaissent comme détenteurs de droits » (DEI, 2011, p.1). De fait, la DUDH est censée s’appliquer à tout individu, mais l’UNICEF dans son Manuel d’application de la Convention relative aux Droits de l’enfant (2002) décrit que dans la pratique, les enfants n’étaient souvent pas reconnus comme étant capables ou ayant les possibilités, de développer les compétences pour pouvoir accéder à la liberté d’expression (Hodgkin et Newell, 2002). L’enfant n’est pas considéré comme sujet de droit dans la pratique de la liberté d’expression en raison de son manque de capacités, comme la capacité de discernement ou la capacité de ne pas être influencé.
La Convention relative aux Droits de l’Enfant
La Convention des Droits de l’Enfant a comblé le vide juridique existant sur le thème de la liberté d’expression pour les enfants. Dans le processus de création de la Convention, il est d’ailleurs probant de remarquer que les premiers textes de loi internationaux pour les enfants, comme la Déclaration de Genève, le projet de Convention présenté par la Pologne ou les commentaires liés à cette ébauche, ne se penchaient pas sur ce droit à l’expression pour les enfants. Le premier projet d’une Convention relative aux Droits de l’Enfant a établi une ébauche de la liberté d’expression en mentionnant l’âge comme condition primordiale pour pouvoir jouir de la liberté d’expression. La Chine déclare à cet effet que l’enfant n’a pas les mêmes capacités qu’un adulte et ne peut prétendre aux mêmes droits, se référant ici aux capacités évolutives de l’enfant (OHCHR, 2007). Plusieurs pays demandaient également à cet égard que les responsabilités des parents et de l’État soient prises en compte dans cet article. (OHCHR, 2007). Ces considérations ont été maintenues dans l’écriture des différents articles sur la liberté d’expression et d’opinion.
Introduction |