Les réseaux de vortex dans les supraconducteurs en particulier
Supraconductivité
Historique
Nous commençons par eectuer un rappel historique de la supraconductivité. Alors que la liquéfaction de diérents gaz en vue d’obtenir une température proche du zéro absolu avait été réalisée avec succès (l’air avec une température T ≈ 90K en 1877 par P. L. Cailletet mais également R. Pictet, l’azote avec T ≈ 77K en 1883 par C. Olszewski et S. Wroblewski, l’hydrogène avec T ≈ 20K en 1898 par J. Dewar ), le cas de l’hélium semblait impossible suite à l’échec de J. Dewar en 1901. Il a fallu attendre l’année 1908 pour qu’une équipe de recherche menée par H. K. Onnes réussisse à obtenir 60 centimètres cube d’hélium liquide, grâce à son installation au Laboratoire de Leyde au Pays Bas, permettant de ce fait d’atteindre des températures inférieures à T = 4.2K jamais atteintes auparavant. Onnes était le seul à posséder des quantités susantes d’hélium pour le liquéer et put ainsi s’atteler sans concurrence à porter ses recherches sur la résistivité électrique des matériaux à basses températures ρ(T). Plusieurs hypothèses avaient été proposées durant le XIXème siècle comme on peut le voir sur la gure 2.1 de gauche : la prédiction de Lord Kelvin (théorie A sur le graphique) selon laquelle la résistivité devait passer par un minimum puis augmenter à basses températures, celle de Matthiesen (théorie B) proposant une saturation de la résistivité lorsque la température tend vers 0 à cause des impuretés, ou bien celle de Dewar (théorie C) supposant une simple diminution de la résistivité avec la température et telle que ρ(0) = 0 (sans jamais pouvoir atteindre une résistivité nulle de par l’impossibilité technique d’atteindre le zéro absolu). An de tester expérimentalement ces hypothèses, le choix du matériau d’Onnes se porta sur le mercure qui est liquide à température ambiante et donc facile à distiller et à purier. En 1911 Gilles Holst, étudiant d’Onnes, eectue des mesures de résistivité sur des ls de mercure solides dans l’hélium liquide et observe une chute brutale vers zéro de la résistivité en dessous d’une température dite critique Tc ≈ 4K (voir gure 2.1 de droite) : c’est la première découverte de la supraconductivité. Bien que ces résultats soient surprenants, d’autres mesures identiques sur le plomb et l’étain (pour des températures respectivement en dessous de 7.2K et 3.7K) les années suivantes conrmèrent un fait réel et tangible. En réalité beaucoup de matériaux peuvent être supraconducteurs. Nous avons cité le cas de corps purs tels que le mercure, l’étain et le plomb mais presque la moitié des éléments de base de la classication périodique peuvent devenir supraconducteurs pour de très faibles températures, et même sous certaines conditions de pression pour quelques uns. Leurs températures critiques sont généralement inférieures à Tc < 9K. Plusieurs milliers d’alliages peuvent devenir supraconducteurs (citons par exemple le N bT i qui peut intervenir dans les IRM) avec en général une température critique Tc < 30K et ce alors que pris séparément les diérents éléments ne sont pas forcément supraconducteurs, impliquant de ce fait un phénomène qui n’est pas d’origine atomique. Grâce à la théorie BCS, dont nous reparlerons un peu plus tard, la communauté scientique avait réussi à comprendre l’origine de la supraconductivité dans les composés « simples » et supposait que la température critique d’un matériau supraconducteur ne pouvait pas dépasser les 30K. Cependant une céramique supraconductrice de LaBaCuO a été découverte par J. G. Bednorz et K. A. Müller en 1986 avec une Tc = 35K, contredisant la valeur limite imposée par la théorie BCS. Très peu de temps après de nombreux autres composés à base de cuivre, appelés cuprates, ont été découverts avec des Tc beaucoup plus élevées, c’est le cas par exemple de Y BaCuO avec Tc = 92K ou encore HgTlBaCaCuO avec Tc = 138K. Nous avons représenté sur la gure 2.2 l’évolution dans le temps de la Tc pour diérents matériaux découverts au cours du XXème siècle.
Généralités
Propriétés
Plusieurs eets sont reliés plus ou moins directement à la supraconductivité, parmi ceux là nous pouvons citer les deux plus connus qui sont une résistivité linéaire nulle ou encore un phénomène de lévitation lié à l’eet Meissner en dessous d’une certaine température critique Tc. Les électrons sont des particules quantiques pouvant être décrites à la fois comme des corpuscules et comme des ondes. Dans un métal les électrons libres permettant l’apparition du courant sont donc des ondes dont la forme s’adapte au réseau d’atomes. L’apparition d’une résistance provient des défauts dans la régularité du réseau d’atomes (lacunes, impuretés etc …) mais également de l’agitation thermique qui va faire vibrer les atomes et qui perturbent l’électron en le « freinant ». Dans un supraconducteur alors que la vibration des atomes et les défauts existent toujours on observe néanmoins une annulation totale de la résistivité en dessous de Tc. Cela s’explique par le fait que les électrons s’associent par paires et forment ainsi une onde quantique collective, la paire de Cooper, qui n’est plus sensible aux défauts du matériau : les électrons n’étant plus freinés la résistance s’annule alors. Quant à la lévitation, une expérience classique permettant de l’observer peut être réalisée comme suit : prenons un aimant que l’on pose sur un supraconducteur de forme concave (en forme de bol). A température ambiante, rien d’extraordinaire ne se passe i.e. l’aimant reste à l’endroit où il a été posé. Refroidissons maintenant le supraconducteur à une température T < Tc nous allons alors voir l’aimant léviter au dessus du supraconducteur, c’est l’eet Meissner. En réalité des boucles de courants électriques apparaissent à la surface du matériau (appelés supercourants), du fait de l’état supraconducteur ces courants vont pouvoir exister indéniment sans perte d’énergie, et ces derniers vont donc générer un champ magnétique. Ces boucles sont réparties de façon à compenser exactement le champ magnétique intérieur du matériau. Ainsi le champ magnétique dans le volume du matériau supraconducteur est nul (un supraconducteur est donc un diamagnétique « parfait ») et le champ magnétique créé par les supercourants va exercer une force sur l’aimant. Cette force va repousser l’aimant et le faire léviter à une distance qui va être celle pour laquelle il y a un équilibre entre le poids de l’aimant et la force de répulsion.
Différents types de supraconducteurs
Nous avons vu qu’il existait une limite en température pour l’existence de l’état supraconducteur, cependant il existe également deux autres facteurs limitants : le courant critique Ic et le champ magnétique Hc appliqués au matériau. Un courant imposé avec une valeur I > Ic détruit la supraconductivité et l’échantillon présente alors une résistivité non nulle, nous en reparlerons un peu plus tard. Pour ce qui est du champ magnétique critique, il existe deux possibilités pour les matériaux supraconducteurs. Nous classons alors les supraconducteurs en deux types en fonction de leur réponse à un champ magnétique extérieur : ceux de type I et ceux de type II. Nous avons tracé sur les schémas 2.3)a et 2.3)b l’aimantation M en fonction de l’excitation magnétique H pour les supraconducteurs de type I et ceux de type II, rappelons que la formule reliant le champ magnétique B à l’excitation magnétique H est donnée par #”B = µ( #”H + # ”M). Ainsi un supraconducteur de type I est caractérisé par un état Meissner pour des valeurs de H < Hc avec un comportement linéaire entre M et H, et une pente donnée par la susceptibilité χ = −1 conduisant à un champ magnétique B nul au sein du volume de l’échantillon. Lorsque H > Hc le matériau devient un conducteur normal et l’aimantation est nulle (ou bien tellement faible qu’on peut la considérer comme quasi-nulle par rapport à sa valeur dans la phase Meissner). Lorsque le supraconducteur est de type II, il existe toujours un état Meissner et un état normal, mais ces deux états sont séparés par une nouvelle phase appelée état mixte ou phase de Shubnikov qui s’étend de Hc1 à Hc2 (avec généralement Hc1 < Hc < Hc2), et dans laquelle le ux magnétique commence à pénétrer au sein de l’échantillon sous la forme de tubes de ux appelés vortex. Ces vortex portent un quantum de ux magnétique Φ0 = h/2e = 2.07 10−15 Tm2 et traversent le matériau de part en part, l’échantillon est dans un état normal à l’intérieur de ces vortex. Des supercourants sont créés autour des vortex et empêchent le champ magnétique de détruire l’état supraconducteur impliquant la coexistence de phases normales (les vortex) et de phases supraconductrices (voir la gure 2.4 pour une représentation d’un échantillon en état mixte). La densité de ces vortex augmente avec l’intensité du champ magnétique H impliquant ainsi une diminution progressive de |M| jusqu’à atteindre une valeur nulle pour Hc2. Dans cet état mixte les propriétés supraconductrices continuent d’exister jusqu’à ce que H > Hc2, suite à quoi le matériau redevient un conducteur normal.
Théories de la supraconductivité – Réseau d’Abrikosov
Dans cette partie nous présenterons les diérentes approches théoriques de la supraconductivité : nous commencerons par une première description macroscopique des frères London, nous parlerons ensuite de la théorie phénoménologique de Ginzbug-Landau, puis nous en proterons pour décrire plus en détail les vortex et le réseau d’Abrikosov qui en découle et enn nous terminerons en évoquant brièvement la description microscopique des supraconducteurs conventionnels (théorie BCS).
Description macroscopique – Equations de London
La première théorie phénoménologique du comportement électromagnétique des supraconducteurs a été formulée par les frères F. et H. London en 1935 [46]. Supposons un conducteur parfait où la résistivité est nulle. En posant ns le nombre d’électrons dans ce conducteur parfait se déplaçant avec une vitesse #”v s, et en se souvenant que le courant est déni par #”j s = nsq #”v s avec q la charge électrique des électrons, alors la loi fondamentale de la dynamique donne la relation suivante appelée première équation de London ∂ #”j s ∂t = nsq 2 m #”E (2.1) où m est la masse des électrons et #”E le champ électrique. De plus si l’on applique les lois fondamentales de l’électromagnétisme stipulées par les équations de Maxwell à ce conducteur, nous arrivons à la conclusion qu’un conducteur parfait s’oppose à toute variation de champ magnétique en son sein. Cela se traduit par l’équation suivante ∂ ∂t(∆#”B − 1 λ 2 L #”B) = #”0 (2.2) avec λL = r m µ0nsq 2 (µ0 étant la perméabilité du vide) l’épaisseur du matériau sur laquelle la variation va avoir lieu et qui sert de zone d’adaptation du matériau. Or lorsque l’on eectue des mesures sur des supraconducteurs, on se rend compte que le champ magnétique #”B est toujours nul à l’intérieur du supraconducteur. On voit qu’il manque alors quelque chose au modèle du conducteur parfait pour décrire le supraconducteur et donc l’eet Meissner. L’approche phénoménologique des frères London a été de choisir une solution particulière de l’équation (2.2) compatible avec les observations expérimentales, c’est-à-dire qu’ils ont supposé que cette équation ne s’appliquait pas seulement à la variation de #”B mais au champ magnétique #”B lui-même. Elle est appelée deuxième équation de London ∆ #”B − 1 λ 2 L #”B = #”0 (2.3) La conséquence de cette équation sur le champ magnétique dans le matériau est relativement simple : au niveau de la surface d’un supraconducteur, le champ magnétique pénètre dans le matériau tout en étant atténué exponentiellement sur une épaisseur caractéristique appelée longueur de London λL (voir gure 2.5). Figure 2.5 Représentation de la longueur de pénétration λL pour un champ magnétique appliqué à un matériau supraconducteur. Cette longueur théorique est en plutôt bonne adéquation avec les valeurs mesurées (par exemple dans des supraconducteurs de type I tels que P b, Al etc …), elle est de l’ordre de la centaine d’angström (10−8m). Elle dépend de la température et possède les comportements asymptotiques suivants : elle présente une valeur nie lorsque T tend vers 0, et elle diverge lorsque la température se rapproche de Tc puisque la densité de charges supraconductrices tend vers 0 lorsque T tend vers Tc. Bien que n’expliquant pas la supraconductivité, les équations (2.1) et (2.3) sont de bonnes approximations puisqu’elles rendent compte des observations expérimentales, à savoir la résistance nulle et le diamagnétisme parfait (en dehors d’une zone d’épaisseur λL).
Théorie phénoménologique de Ginzburg-Landau
En 1950 Ginzburg et Landau ont proposé une alternative à la théorie de London en appliquant la théorie des transitions de phases de Landau à la supraconductivité [47]. Elle permet de décrire plusieurs observations expérimentales dont la transition entre l’état normal et supraconducteur, ou encore l’existence de l’état mixte au sein des supraconducteurs de type II. Néanmoins cette théorie est phénoménologique, c’est-à-dire que malgré sa description cohérente des phénomènes associés à la transition de phases, elle n’a pas de justication microscopique (tout du moins lors de son fondement, c’est une chose qui fut faite a postériori par la théorie BCS). On introduit un paramètre d’ordre complexe décrivant la fonction d’onde macroscopique des électrons supraconducteurs Ψ(#”r ), dont le carré du module est égal à la densité de « supra-électrons » |Ψ| 2 = ns. On émet l’hypothèse que le paramètre d’ordre possède une valeur nie dans la phase supraconductrice et nulle dans la phase normale, et on suppose ce paramètre d’ordre continu à la transition. Ainsi la transition de phase est du second ordre et la densité d’énergie libre de l’état supraconducteur s’écrit : Fsupra = Fnorm + a(T)|Ψ| 2 + b(T) 2 |Ψ| 4 + 1 2m∗ |(−i~ #”∇ − q ∗ #”A)Ψ| 2 + #”B2 2µ0 (2.4) où Fsupra représente l’énergie libre de l’état supraconducteur et Fnorm celle l’état normal. Le terme #”B2 2µ0 est la contribution de l’énergie magnétique au système, alors que 1 2m∗ |(−i~ #”∇ − q ∗ #”A)Ψ| 2 provient des eets du champ magnétique #”B sur l’impulsion, où #”A est le potentiel vecteur. Les grandeurs m∗ = 2m et q ∗ = 2q correspondent respectivement à la masse et à la charge eective des paires de Coopers avec m la masse d’un électron et q sa charge.