Les réquisitions militaires à Romans-sur-Isère et ses alentours durant la première guerre mondiale
Un développement structurel et politique autour des réquisitions militaires à Romans-sur-Isère
Durant la première guerre mondiale, l’interventionnisme étatique a poussé les structures politiques à évoluer. « Pour soutenir la lutte, le pays a besoin de toutes ses forces, de toutes ses ressources. Le gouvernement distribue les rôles ; il organise la mobilisation industrielle. […] Il faut qu’il permette aux habitants de se nourrir, de se vêtir dans des conditions raisonnables. Ce n’est pas l’initiative privée qui peut y pourvoir, en temps de crise. L’État intervient ; il fait face sans cesse à ses nouveaux devoirs ; il prend en charge toute l’économie nationale. […] Par le jeu des mesures progressives, l’activité privée a disparu sous l’emprise de l’étatisme : elle est réglementée, disciplinée, étouffée. […] L’État fixe les prix, répartit les denrées, réquisitionne les produits. »
Le rôle central du maire de Romans-sur-Isère
La première guerre mondiale a bouleversé le rapport de l’exécutif envers les citoyens. Ce changement politique a obligé le gouvernement français à fonder une union nationale appelée en France, « Union sacrée » . Ce système politique s’est mis en place au lendemain de la déclaration de guerre. « C’est la décision spontanée d’oublier toutes les divisions et toutes les querelles au bénéfice d’une cause qui, très soudainement, apparaît comme la plus haute de toutes : la défense de la patrie que l’on estime injustement attaquée par un agresseur, lequel au surplus passe pour l’“ennemi héréditaire”. Ce n’est pas la disparition des divergences, mais un accord pour les passer sous silence. […] C’est un enthousiasme fragile, lié à la croyance en une guerre courte. Sur le plan pratique, l’union faisant la force, il faut taire la divergence des buts particuliers et mettre seulement en valeur un but suprême : la défense de la patrie. »L’historien Jean- Michel Mayer définit ce lieu comme le « Foyer de vie et d’éducation politique », abritant « la réalité de la vie politique locale ». Cet élu est devenu le lien entre les directives politiques et les demandes citoyennes pour ce front intérieur. Ce terme a été créé par les historiens expliquant les complexités de l’arrière et son importance vis-à-vis de la conduite de la guerre. Le front intérieur est défini par Mrs François Cochet et Rémy Porte, au sein du Dictionnaire de la grande guerre 1914-1918. « Les Etats en guerre doivent non seulement assurer le ravitaillement du champ de bataille en hommes et en matériels de toutes sortes, mais aussi réussir à empêcher que se crée, à l’arrière, un front du découragement voire du refus. Aussi le front intérieur, ou Home Front, revêt-il une importance capitale. C’est lui qui alimente le front militaire, et les échanges entre les deux fronts sont permanents et vitaux. Ce dernier est totalement dépendant du premier et s’effondrerait rapidement en cas de défaillance du Home Front, construit sur des solidarités, mais aussi sur des éléments de fêlure, voire de rupture qui fluctuent selon les périodes de la Grande guerre. » 45 Suite à cette mutation de l’espace, le maire de Romans-sur-Isère a vu ces prérogatives évoluer. Son pouvoir s’élargit, en devenant militaire et civil, durant toute la guerre. Le ministre de la guerre a transmis à l’élu les droits de réquisitions militaires. Cette décision est attestée par la lettre du 9 août 1914 du préfet de la Drôme, au maire de Romans-sur-Isère, lui déléguant ce pouvoir par décision du gouverneur militaire de Lyon, commandant de la 14e région militaire. Les lois concernant les saisies militaires ont été promulguées par le journal officiel du 6 août 1914.46 Les sources nous montrent qu’elles ont débutées à partir de la mobilisation générale et sont officialisées par les feuillets de réquisition, à partir du 4 août 1914. Cette transmission ajoute une nouvelle complexité à la municipalité due aux manques d’agents territoriaux. L’effectif des agents de police et de gardes champêtres romanais baisse de 9 à 3 personnes. « Les lois militaires n’ayant pas prévu d’exceptions à leur endroit, la mobilisation d’août 1914 touche les fonctionnaires de tous niveaux à l’égal du reste de la population. » 48 Les maires ont pour obligation de concerter l’autorité militaire avant de réquisitionner tout bien comme l’indique l’article 19 de la loi de 1877, « Toute réquisition doit être adressée à la ; elle est notifiée au maire. Toutefois, si aucun membre, de la municipalité ne se trouve au siège de la commune, ou si une réquisition urgente est nécessaire sur un point éloigné du siège de la commune et qu’il soit impossible de la notifier régulièrement, la réquisition peut être adressée directement par l’autorité militaire aux habitants. 49 » L’intendance militaire a quantifié et ordonné l’action de la mairie par le biais des réquisitions militaires. Puis, l’intendant de la sous-préfecture de la Drôme a développé une importante correspondance avec le maire de Romans-sur-Isère, à ce sujet. Ces documents sont archivés par la mairie afin de conserver une trace écrite. Avant la guerre, l’intendance militaire avait comme charge, « les services de la solde, de l’habillement, du matériel de campement et de couchage, du harnachement, des marchés, des transports la comptabilité des dépenses. » Le déclenchement de la guerre a eu pour conséquence l’extension des prérogatives militaires du sous-intendant de Valence, comme les saisies. Il est la première instance militaire concernant les réquisitions par la mairie romanaise et les tensions sociales liées aux réclamations de l’armée. L’article 1 de la loi du 3 juillet 1877 montre bien l’importance du maire, « En cas de mobilisation partielle ou totale de l’armée, ou de rassemblement de troupes, le Ministre de la guerre détermine l’époque où commence, sur tout ou partie du territoire français, l’obligation de fournir les prestations nécessaires pour suppléer à l’insuffisance des moyens ordinaires d’approvisionnement de l’armée. » 51 Cette prise de pouvoir est aussi un devoir patriotique mais pas seulement, les maires ont l’obligation de résultats et garantir un flux toujours plus important de ravitaillements et de biens réquisitionnés. Si le maire refuse d’émettre une réquisition, il peut être contraint de régler une amende allant de 25 à 500 francs. De plus, l’élu peut se voir traduire devant un conseil de guerre et être condamné à une peine d’emprisonnement allant de cinq à six ans de prison, selon l’article 20 et 21. Le préfet a parfois menacé les mairies récalcitrantes à rassembler les quotas demandés, comme l’atteste cette circulaire du 3 mars 1915. La participation des maires doit s’intensifier pour disposer d’un fonctionnement optimal pour les demandes des commissions de réquisitions. Le gouverneur militaire par l’intermédiaire du préfet de la Drôme, demande aux maires, d’avoir une plus grande rigueur concernant les recensements des animaux, des voitures mais aussi sur le suivi des ordres de réquisitions.L’année suivante, on retrouve toujours ce même type d’instructions, au sein des archives ; cela dénote un problème récurrent. Ils ont pour ordre d’aider les commissions à réquisitionner par affichage, à son de trompe et d’inviter les personnes à offrir leurs biens, pour une caisse ouverte. Lors d’un ordre de réquisition, le maire doit sans délai dresser des listes de ressources et notifier les intéressés comme le notifie les quatre premiers paragraphes de l’article 20 de la loi du 3 juillet 1877. Si le maire ne respecte pas cela il peut avoir une amende à hauteur de deux fois la valeur du bien réquisitionné. La réquisition est faite de force s’il y a refus d’un particulier et d’une amende. » 53 Ce type de jugements ou de refus de réquisitions n’a jamais été recensés à travers les sources épluchées, au sein des archives communales et départementales de la Drôme. Le maire a d’autres obligations vis-à-vis de la loi, selon le décret de l’article 52, du 2 août 1877. Il doit transmettre le prix des saisies aux personnes réquisitionnées et envoyer un document en trois exemplaires avec les montants acceptés ou pas, au sous-intendant militaire pour le paiement. L’élu est le seul agent de l’Etat dépositaire des justificatifs sur les réquisitions, comme l’atteste la demande de copie d’un feuillet au sous-intendant militaire concernant la réquisition de bovins à Mr Voissier Jean, le 20 février 1918. Le 26, le sous-intendant lui spécifie qu’il n’a pas de copies, seul le maire a les originaux.54 La mairie est encadrée dans son action de réquisitions militaires par de nombreuses lois et circulaires qui vont réguler son pouvoir, comme la circulaire, datée de février 1916, du soussecrétaire d’état au ravitaillement et de l’intendance transmise aux mairies. Elle demande au maire de Romans-sur-Isère de ne pas émettre de réquisitions militaires sur les semences d’avoine et de garantir un stock équivalant à 15 jours de nourriture, pour un cheval. L’élu a la possibilité de transférer les quantités disponibles à d’autres communes permettant de réduire les besoins de certains territoires qui importent de l’avoine. Pour limiter les abus, les deux mairies doivent émettre un certificat de déplacement et de réception afin de certifier l’utilisation de semence d’avoine.55 De plus, ce poids législatif lié aux maires a été une volonté de l’Union sacrée d’intensifier la production agricole des territoires, afin de garantir un ravitaillement constant des troupes. Par la loi du 6 octobre 1916, le maire de Romans-sur-Isère avec deux conseillers a dû recenser toutes les terres agricoles qui ne sont pas exploitées et demander aux propriétaires de les mettre en culture. Cette loi a permis à la municipalité de réquisitionner toutes les terres non exploitées, passé un délai de 15 jours elles sont transmises au comité 53 Op. Cit., 4H13 Courrier du préfet de la Drôme au maire de Romans-sur-Isère, février 1916 54 Op. Cit., 4H13 Demande d’une copie d’un feuillet, du maire au sous-intendant militaire, le 26 février 1918 55 Op. Cit., 4H13 Circulaire du sous-secrétariat d’état du Ravitaillement et de l’intendance sur les avoines de semences du 14 février 1916. ROGNIN Jonathan M2 Construction des Sociétés contemporaines communal d’action agricole. Cette mise en culture forcée donne le pouvoir à la mairie de réquisitionner tous les matériels et biens nécessaires à la production. Elle a pour obligation d’avancer les dépenses liées à cette nouvelle exploitation en compensation le fond de la dotation générale du crédit agricole rembourse la ville. 56 Cette volonté politique montre que les communes françaises sont des acteurs essentiels pour la bonne poursuite de la guerre. Elle a pour vocation de centraliser les besoins et remettre en culture toutes les terres mises en jachère, à cause de la mobilisation générale et d’un manque de main d’œuvres dans les campagnes. Une circulaire datant du 27 octobre 1916 a précisé cette loi. La réquisition est applicable par la mairie si le propriétaire est mobilisé, sans repreneur et si le terrain est abandonné, avant la fin du bail. Le comité d’action agricole a secondé la mairie afin de lui garantir plus de moyens et de budget dédiés à la production agricole.57 A la fin de la guerre, cette loi fut abrogée. A partir de septembre 1916, l’intervention du maire au sein du secteur agricole a été remis en cause, afin de demander une libre circulation des marchandises. La circulaire du sous-intendant militaire de Valence, le 20 septembre 1916, confirme cette demande. « Il doit être bien entendu que la réquisition ne peut pas absorber les ressources de la commune, que l’ordre de réquisition doit faire mention de la quantité de prestations imposées, que le maire doit notifier sans délai à chaque propriétaire ce qu’il aura à fournir et que enfin, les prestataires peuvent librement disposer du surplus. »58 Le 15 janvier 1917, le sous-intendant a retranscrit la discussion entre le député Barthe et le ministre des travaux publics, des transports et du ravitaillement stipulant que les propriétaires ont le droit de vendre librement leurs denrées, lorsque les quotas imposés sont atteints. 59 Ce député se fait le porte-parole des agriculteurs qui demandent plus de liberté vis-à-vis de leurs productions. Quatre agriculteurs avaient déjà signé une lettre en septembre 1916, précisant qu’ils s’engageaient à livrer à la commune, 290 quintaux d’avoine, en échange de la libre circulation des graines.60 A partir de 1918, on voit l’apparition de certificats de libre circulation des marchandises pour limiter le marché noir. Le 13 février 1918, la ville émet un acte pour officialiser la vente et le transport de 75 quintaux métriques de foins livrés à Paris. La mairie établit le même type d’autorisation à Mrs Ciamacca et Chabry afin qu’ils expédient par la gare de Romans-sur-Isère, 56 Archv communales de Romans, Série F Population, Economie, Statistiques 6F Mesures économiques d’exception, 6F30 Loi sur la mise en culture des terres abandonnées et l’organisation du travail agricole pendant la guerre du 6 octobre 1916. 57 Ibid., 6F30 Circulaire du 27 octobre 1916. 58 Op. Cit., 4H13 Circulaire du 20 septembre 1916 destiné au sous-intendant militaire de Valence. 59 Op. Cit, 4H13 Circulaire d’informations du sous-intendant militaire au maire de Romans-sur-Isère. 60 Op. Cit., 4H13 Pétition sur la livraison d’avoine, de quatre agriculteurs romanais, en septembre 1916 37 ROGNIN Jonathan M2 Construction des Sociétés contemporaines 2000 kilos de raves, 7000 kilos de sons et mille kilos de châtaignes, le 12 novembre 1918. Ces documents confirment un traçage des denrées et la libre circulation des biens.61 De plus, la mairie de Romans-sur-Isère doit dresser régulièrement mettre à jour des listes de biens et d’animaux susceptibles d’être réquisitionnés. Ce travail est exécuté par les gardes champêtres qui ont pour rôle de transmettre les réquisitions aux citoyens. Avant la mobilisation générale, l’armée française possédait 170 véhicules. 62 Cet état de fait pousse le ministre de la guerre à émettre de nombreuses réquisitions militaires à travers les communes de France, afin de rassembler et recenser tous les véhicules. Le 5 octobre 1914, le ministère par le biais du préfet demande au maire de Romans-sur-Isère, dans une potentielle volonté de réquisition, un recensement de tous les châssis neufs et les véhicules disponibles.63 Ce décompte a été communiqué aux propriétaires, à partir du 6 octobre 1914. A travers les archives, on peut voir de nombreuses réponses vis-à-vis de ce recensement, trois propriétaires n’ont aucun véhicule disponible. La seule réponse positive, présente dans les sources, provient de Mr L. TATIN, agent général de la société anonyme des automobiles et cycles « Peugeot ». Il possède quatre véhicules disponibles. Le 13 octobre 1914, Mr Ferlin, négociant en automobile, à Romans, possède deux voitures inutilisées, sa concession étant fermée, suite à la mobilisation. Cela montre l’importance du recensement par sa diffusion et l’enquête des services de la mairie, afin de garantir l’exactitude des chiffres.64 Des tableaux de classement des chevaux, juments, mulets et mules puis d’attelages sont établis par l’instruction ministérielle du 10 décembre 1908. Ces recensements sont retranscrits par les communes, chaque année
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