Les relations diplomatiques germano-togolaises les enjeux des
populations et les réactions extérieures
Débats en Allemagne
En Allemagne, ces restrictions « techniques » se doublent d’aspects sociaux et politiques. D’un côté l’absence du passé colonial dans le débat public, d’un autre la volonté affichée du gouvernement allemand de ne pas donner aux commémorations une ampleur qui les propulserait sur le devant de la scène. En effet, ce qui est certain c’est que l’année 1984 marque un regain d’intérêt relatif pour le passé colonial allemand. La bibliothèque universitaire et municipale de Cologne par exemple organise elle aussi deux expositions, l’une du 9 janvier au 24 février intitulée « Le continent noir : L’Afrique à travers les livres anciens (1484-1884) » 245 , l’autre du 16 juillet au 27 septembre, intitulée « Quotidien colonial en Terre de l’Empereur Guillaume » 246 (Le Kaiser-Wilhelmsland, la « terre de l’empereur Guillaume », désigne les possessions allemandes en Nouvelle-Guinée). Si les affiches de présentation de ces expositions, composées d’anciennes images ou de croquis coloniaux accompagnés de titre en orthographe et lettres gothiques permettent d’estimer qu’il s’agit d’une vision relativement peu critique du passé colonial allemand, rien ne nous permet de dire si elles traitent du Togoland et a fortiori du « centenaire » (pour l’exposition sur la Nouvelle-Guinée allemande, on peut même dire que cela est très peu probable !).
Elles indiquent cependant que les cent ans de la conférence de Berlin, et de la plupart des acquisitions coloniales allemandes, ne passent pas totalement inaperçus en Allemagne. Elle suscite aussi l’organisation d’expositions plus critiques (et de taille plus modeste) comme « Afrique : 100 ans d’ingérence » à Berlin247 . A part un intérêt général, relativement limité, pour le sujet plus large du passé colonial allemand, ces exemples ne prouvent en aucun cas une réelle participation de la population au« centenaire » germano-togolais (ni voir même une connaissance de celui-ci).
Au-delà du régime
Qui se saisit de l’événement au Togo ? La situation au Togo est tout le contraire, avec la « fête populaire » que le « centenaire » aspire à être, et qu’il semble avoir effectivement été d’après les différents bilans que nous avons vus. Le régime togolais a certainement les forces de limiter, voire d’étouffer, la plupart des critiques. Cependant le fait que des particuliers, ou des groupes sociaux au-delà du régime se saisissent du « centenaire » semble être explicitement voulu par le régime. Comme pour l’Allemagne, la nature des sources, essentiellement allemandes et diplomatiques, nous rend certainement aveugles à un certain nombre de ces acteurs, mais elles fournissent néanmoins un certain nombre d’exemples pouvant permettre de se faire une idée de de la façon dont le « centenaire » existe au-delà des sphères du régime. Nous avons déjà brièvement évoqué le premier groupe impliqué dans le « centenaire », les universitaires. Un séminaire est organisé du 19 mars au 21 mars, avec la participation d’environ 150 chercheurs et étudiants togolais, et de quelques chercheurs allemands (dont le Prof. L. Harding) sous le thème de « Le Togo depuis la conférence africaine de Berlin : 1884-1914 ». Ce séminaire donne une vision nettement plus critique du passé colonial allemand, et par ricochet de la politique du gouvernement togolais. Ceci est rendu possible par le cadre strictement historique du séminaire. Un rapport allemand relève certains des points principaux soulevés.
La couverture journalistique
Nous en venons au dernier aspect principal de la vision « extérieure » du « centenaire », celui de la couverture journalistique. Il faut dire dès le début qu’un certain nombre d’archives de journaux ouest-africains ne m’ont pas été accessibles, et qu’en Allemagne, le traitement des expositions a pu être assuré par des médias locaux, moins faciles d’accès, alors que les médias nationaux restent relativement silencieux. Nous allons néanmoins tenter de dresser un portrait le plus représentatif possible de l’ampleur de la couverture médiatique, et surtout de voir sa réception des événements. Nous avons déjà vu quelques exemples d’expressions qui sont techniquement des expressions journalistiques, de la Nouvelle Marche au Togo, et du Parlement en Allemagne. Le choix de les inclure dans les parties traitant du discours « étatique » est le résultat de leur fonction première : il s’agit d’une presse officielle, directement liée au pouvoir politique. Il semble pour cela judicieux de ne pas s’y intéresser ici, où nous voulons traiter la « vision extérieure » (ce qui ne veut pas dire qu’elle soit plus nuancée ou « neutre ») des événements. Rappelons néanmoins les articles de ces journaux officiels à notre disposition :
Das Parlament publie deux articles, « Amitié profonde avec le Togo » et « Togo – la ‘‘Musterkolonie’’ », le 14 juillet307, et la Nouvelle Marche couvre largement les événements ; néanmoins, comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, seuls la couverture de l’offre de camions Mercedes pour le port de Lomé308, la reprise du discours d’Eyadéma309, et le numéro spécial « vestiges de la colonisation » 310 nous ont été accessibles .