Les recettes de l’engrais humain
Jussieu, théoricien Lyonnais de la préparation (1782)
Une posologie à respecter Propriétaire terrien soucieux de maximiser la rentabilité de sa propriété agricole située sur la Côtière de l’Ain, à une dizaine de kilomètres de Lyon, l’Académicien Lyonnais, jurisconsulte et Conseiller à la cour des Monnaies, François-Joseph-Mamert de Jussieu de Montluel s’intéresse aux questions pratiques 850 . Fort de ses expériences de terrain, il publie en 1782 le premier mémoire entièrement consacré à l’engrais humain851, objet d’une édition imprimée archivée dans le Fonds ancien de la bibliothèque municipale de Lyon. Cette étude intervient peu après l’adoption de l’ordonnance de police du 20 août 1780, en plein été, quand les émanations putrides des matières en décomposition infectent des rues sans vent pour disperser la puanteur.
Le contexte est favorable car la ville de Lyon est désormais soumise à un règlement de vidange des latrines qui vise à faciliter le transport des matières et à les rendre utiles à l’agriculture 852 . En homme de droit et observateur avisé, Jussieu rappelle les risques associés aux mauvaises pratiques, insistant sur le fait que cet engrais est très agissant; il en faut peu; il n’est dangereux que quand on en met trop853… On note qu’aucune restriction n’est formulée pour la consommation des végétaux fertilisés par les matières fécales, ce qui n’est pas le cas à Paris par exemple. Outre le dosage d’apport au sol, la planification des opérations de fumage des parcelles revêt une grande importance dans le cadre de la rotation des cultures car la quantité qu’on en doit épandre dépend aussi de sa qualité; celui qui est pur, épais, sans mélange, profite d’avantage, on le connaît à sa pesanteur…; plus il est mêlé avec de l’eau, plus il devient léger.
La quantité dépend encore de l’appauvrissement du terrain 854 L’application exige un savoir-faire, et il convient de maîtriser la dose à appliquer, sous peine de brûler et d’interdire toute culture. C’est pourquoi il s’emploie soit en faible quantité, soit dilué dans une matrice neutre (eau, terre végétale, argile…), et à chaque type de culture correspondant un type de fertilisation. Jussieu recommande de gérer les aléas météorologiques et disposer d’un équipement approprié pour son utilisation de précision afin.
Les quatre modes de fabrication
Si Jussieu pose qu’il existe schématiquement quatre méthodes pour la valorisation des déjections humaines, avec la flamande, le multicouche, le terreau et la poudrette, dans la pratique, deux filières majeures se distinguent avec un conditionnement liquide (volume important et faible concentration) ou sec (transport facilité).➢Engrais flamand Comme son nom l’indique, l’emploi de déjections liquides pour fertiliser les sols est fort développé dans les Flandres, territoire très peuplé856 . Autres dénominations de l’engrais flamand, les vidangeurs emploient le terme de courte-graisse, qui indique la présence positive de gras 857 . La technique flamande (cf §10.3), car fort répandue dans les Flandres, abordée plus loin, est employée dans de nombreuses régions et pour Jussieu, c’est la meilleure et la plus facile… [qui] consiste à appliquer un produit bien liquide que l’on sort du tonneau.
➢Engrais multicouche ou lasagne La seconde technique consiste à creuser une fosse en terre à même le sol, et à y jeter la matière en couches alternées avec la terre extraite de la fosse. De la sorte on obtient un mélange qui forme un excellent terreau, qu’on peut employer quand on veut, soit tout de suite, soit plusieurs mois après. Attentif aux détails pratiques, l’auteur précise que la qualité du mélange est primordiale pour fabriquer un bon produit et si la matière est trop épaisse, on peut jeter de l’eau dans la fosse à mesure qu’on y met des lits de terre, pour qu’elles délaient bien ensemble. Alternativement, l’apport de terre permet d’améliorer une consistance trop liquide afin d’obtenir une espèce de boue, terreau beaucoup moins vif que la matière épaisse.
Cette seconde manière de préparer cet engrais est intéressante dans la mesure où elle donne beaucoup plus de facilité pour le garder et pour le voiturer, mais moins pour le répandre. ➢Engrais terreau ou compost La troisième méthode est en fait une variante de la seconde et comprend une incorporation de déchets végétaux, paille, feuilles et autres débris de plantes, dans le but de laisser pourrir, fermenter et épaissir le tout, et de le répandre comme du fumier ordinaire.