Esprit de décision et d’initiative
[117] On peut avoir d’excellentes qualités et n’avoir que l’étoffe d’un subalterne ; ce qui révèle le chef, c’est l’initiative et le courage des responsabilités.
[118] Un homme qui» prend ses responsabilités » est celui qui froidement a tout pesé, tout examiné, qui a vu les risques, qui ayant fait le rapport des risques et du résultat, a jugé que le résultat valait le risque et au delà, et qui alors a décidé de marcher. (Foch).
[119] Le chef qui a peur des responsabilités et qui borne ses ambitions à des choses faciles et ordinaires manquera toujours de souffle pour entraîner les autres.
[120] Une bonne décision, même imparfaite, suivie d’une ferme exécution, est meilleure que l’attente prolongée d’une résolution idéale qui ne sera jamais ou trop tardivement exécutée.
[121] Voici ce que Pierre de la Force a écrit de la mentalité des ministres qui entouraient Louis XVI : Le souci de ne se mouvoir que suivant l’usage rendait timide et il semblait que tout dessein marqué d’une forte estampille personnelle eut un air d’ originalité dangereuse, que si une initiative hardie osait se produire, l’étiquette s’interposait qui ralentissait toutes choses, et les pensées pour parvenir jusqu’au maître repassaient par tant de filières que, dans l’entre-temps, l’occasion avait échappé. On sait à quelles catastrophes cette timidité empesée et ce conformisme paralysant ont finalement abouti.
[122] Rien n’est plus dangereux pour un chef que l’impuissance à se décider. La volonté incapable de se fixer sur l’acceptation ou le refus d’un projet hésite perpétuellement. Certes, il faut avant de se dévider procéder à un examen loyal et consciencieux des solutions en présence. Mais vouloir trouver la solution parfaite et pleinement adéquate est une chimère. C’est en ce sens que décision vaut mieux que précision, car de cette perpétuelle oscillation du chef naît l’énervement des collaborateurs, l’inquiétude des exécutants, sans parler des pertes de temps et d’argent ; et finalement, sous prétexte d’éviter la précipitation, le chef indécis provoque de nouvelles complications.
[123] Un chef, c’est quelqu’un qui pour être toujours prêt à l’action s’est fait de bons réflexes, car la vie est une somme de petites décisions, et c’est la fidélité à ces petites décisions qui met le chef à même d’en prendre de grandes au moment le plus imprévu.
[124] Un chef ne doit jamais rester passif ou inactif, car s’il ne cherche pas à dominer les événements, il sera dominé par eux. La joie de l’âme est dans l’action, telle était la devise de Shelley que Lyautey avait prise à son compte. En vérité, on pourrait dire que le salut du chef est dans l’action.
[125] Un chef qui attend des ordres ou des temps meilleurs pour agir n’est pas un vrai chef.
[126] Un chef, c’est quelqu’un qui sait prendre à temps des initiatives efficaces, ce qui est un art autant qu’une science. Il faut, comme disait Foch, connaître son affaire, mais il faut également avoir cette intuition qui aide à saisir le moment où l’on doit sortir des sentiers battus et des formules stéréotypées.
[127] S’il ne convient pas de tout bousculer pour le plaisir de changer quelque chose, il ne convient pas non plus de se fier à ce qui s’est toujours fait, par crainte d’innover. C’est là où un fonctionnarisme étroit risque de stériliser des jeunes qui avaient de l’étoffe et qui sont devenus des chiffes.
[128] Ce qui manque à beaucoup de jeunes, c’est l’imagination et la foi en la puissance de l’homme appuyée sur la force de Dieu. Je suis tout puissant en Celui qui est ma force, disait saint Paul. Le territoire des possibles est une surface élastique, a écrit Maurois. Il dépend de la décision du chef de l’étendre ou de le restreindre.
[129] Les deux notions de responsabilité et d’autorité sont intimement liées. L’une ne va pas sans l’autre et elles sont fonction l’une de l’autre. Il ne peut y avoir de responsabilité que là où il y a autorité, car pour être tenu pour responsable il faut être en mesure de répondre. D’autre part il ne saurait y avoir d’autorité que là où il y a responsabilité, car une autorité irresponsable serait une folie, une absurdité. L’autorité doit grandir avec la responsabilité.
[130] L’initiative peut très bien ne pas consister à prendre de sa propre autorité des décisions qui sont de la compétence du chef supérieur mais plutôt à provoquer les ordres qu’impose la situation.
[131] Les Berbères ont un proverbe : « Choisis et tu gagneras ». Et s’il n’y a pas de raison pour choisir ? Peu importe ; choisis, ou ta ruine est certaine. (MAUROIS).
[132] La capacité de décision est une des qualités spécifiques du commandement. Si, en effet, le chef en est dépourvu, c’est la paralysie de l’affaire ; et si, au contraire, ses collaborateurs l’exercent à sa place, c’est l’anarchie.
[133] Il faut être d’une nature avide de responsabilités. Les décisions, il faut les prendre avant qu’elles ne soient imposées ; les responsabilités, il faut aller au-devant d’elles. (FOCH)
[134] Le chef-né, c’est celui qui conçoit avec enthousiasme l’œuvre à faire, décide avec ardeur, et entraîne les autres par la promptitude de son choix.
[135] Il vaut mieux avoir moins d’idées et réaliser celles que l’on a, que d’avoir beaucoup d’idées et n’en réaliser aucune.
[136] L’obéissance ne sera aisée et confiante que si le chef sait ce qu’il veut, et le veut énergiquement, c’est-à-dire s’il manifeste l’esprit de décision.
Rien n’est plus nuisible à l’autorité que de paraître hésiter, de chercher sa voie ou de revenir en arrière. C’est une atteinte tout à la fois à l’admiration due à la supériorité du chef et à la tranquillité et au repos légitimes du subordonné.
[137] Avez-vous jamais observé des chauffeurs aux carrefours ?
Devant le conducteur à la volonté ferme qui s’est donné une direction et qui s’y tient, les autres se rangent prudemment, et l’hésitation est ici cent fois plus dangereuse que l’audace. (MAUROIS). [138] L’obéissance passive n’est jamais l’abaissement d’un homme devant un autre homme. C’est l’effacement volontaire d’un individu devant une fonction. Quand je me mets au garde à vous devant mon colonel (avec un vif plaisir, je vous assure), ce n’est pas devant un homme que je claque les talons. C’est devant un principe d’autorité que je juge utile et respectable et sans lequel les sociétés humaines, nourrices de votre précieuse liberté, n’auraient jamais existé. (MAUROIS).
[139] La décision est la solution d’un problème dont les données, parce que vivantes et humaines, sont complexes et délicates. Elle n’est pas seulement affaire d’intelligence ; elle n’est pas la conclusion mathématique d’équations algébriques ; elle est acte de volonté où, après avoir examiné avec sagesse les éléments en présence, le chef s’engage tout entier.
[140] Le « peut-être » de Montaigne est convenable pour un philosophe, le oui ou non convient mieux à un chef (DAUTRY, Métier d’homme.).
[141] Agir, précisément, c’est, à chaque minute, dégager de l’enchevêtrement des faits et des circonstances, la question simple qu’on peut résoudre à cet instant-là. (GRASSET).
[142] Sachez ce que vous voulez, et faites le. La volonté est un agent d’exécution. Pour remplir sa tâche avec succès, elle doit donc se distinguer par sa puissance, son énergie, sa vigueur, sa continuité d’efforts, sa ténacité. Ce sont là des qualités de caractère.
[143] Il faut savoir : les connaissances sont une base indispensable. Il faut pouvoir, et pour cela développer ses facultés d’intelligence, de jugement, d’analyse, de synthèse. Mais si tout cela fonctionne à vide, à quoi bon ? Il faut se décider et vouloir avec une volonté soutenue, inflexible, pour aller jusqu’au bout.
L’important est d’agir, pour réaliser ses conceptions, pour aboutir à des résultats. Travaillez. Mettez pierre sur pierre. Construisez. Il faut faire quelque chose. Il faut agir. Il faut obtenir des résultats… Des résultats, voyez-vous, je ne connais que cela ! (Foch).
[144] Un homme qui est incapable de se décider, qui renvoie toujours à plus tard, qui a tendance à remettre à la dernière minute le choix d’une solution, qui n’intervient pas lorsque cela va mal, n’est pas fait pour être un chef.
Un chef se reconnaît à son esprit de décision. Vivre, c’est choisir et choisir, c’est toujours sacrifier quelque chose. Un homme peut être un savant, un technicien remarquable, un philosophe éminent : s’il ne sait pas prendre en temps utile la décision qui s’impose et la faire respecter, il n’est pas un chef.
[145] C’est la volonté du chef qui commande chez lui l’attention aux problèmes, l’effort de concentration de la pensée, et, par-dessus tout, le choix de la décision.
Certes, le chef doit savoir peser le pour et le contre, mais il faut qu’à un moment donné, et pas une minute trop tard, il ait éliminé toutes les possibilités sauf une.
Combien d’hommes intelligents mais incapables de choisir ont fait la ruine des entreprises qui n’auraient jamais du leur être confiées !
[146] Le courage des décisions est une des formes essentielles du don de Force qui fait les chefs.
Esprit de discipline
[147] La plupart des chefs ont à obéir à des supérieurs autant qu’à commander à des inférieurs. Ils doivent à ceux qui sont placés en dessous d’eux l’exemple de la déférence et de l’obéissance à leurs propres supérieurs.
[148] Le vrai chef s’efforce de comprendre la pensée de ses supérieurs et concilie l’indépendance et l’originalité de ses conceptions personnelles avec le respect des ordres légitimes. Sortir des limites de l’épure, c’est non seulement insubordination personnelle, mais c’est désordre d’autant plus grave que l’on est responsable d’une collectivité.
[149] Discuter les décisions de son chef hiérarchique est toujours dangereux, car le plus souvent cette discussion se produit dans le vide, sans posséder les éléments nécessaires, et détermine chez les subordonnés une hésitation dans leur obéissance qui suffit à faire échouer les plans les mieux combinés.
[150] Seul, un commencement d’exécution loyale d’un ordre permet de juger de l’importance réelle des difficultés, que notre paresse native et notre peur d’être bousculés dans notre routine sont souvent grossies à plaisir.
[151] La critique déprime le moral ; elle s’attaque au courage des individus ; elle apporte au groupe l’incertitude et le désaccord et brise l’unité de vues comme l’unité d’action.
[152] Bien qu’investi d’une autorité dont le principe remonte jusqu’à Dieu, le chef reste néanmoins un homme.
Et parce qu’il est homme, il ne peut pas ne pas y avoir en lui quelque imperfection.
Certes, le chef a le devoir de se valoriser sans cesse et de toute manière, pour être à la hauteur de sa mission et être digne de son commandement. Mais ses subordonnés, et principalement ses collaborateurs qui, vivant près de lui, peuvent plus facilement déceler ses points faibles, doivent prendre garde à ne pas se laisser hypnotiser par eux. Ils seraient eux-mêmes les premières victimes de la perte de prestige du chef à leurs yeux.
Il faut croire à son chef pour être prêt à le suivre jusqu’au bout, et il faut que le chef sente que son équipe croit en lui pour qu’il ait le courage de demander à ceux qui l’entourent les efforts et les sacrifices qui les mèneront tous à la victoire.
[153] Le vrai chef atténue les fautes de ses supérieurs, s’il y a lieu, et est heureux de montrer à ses subordonnés que le succès vient du chef responsable.
[154] Plus la critique vient de haut, plus elle peut faire de mal. Un chef qui critique son supérieur devant ses subordonnés risque de perdre son influence et de voir promptement ses propres méthodes passées au crible. En réalité, le moral repose sur le loyalisme, sur la fidélité envers les chefs.