Les processus de genèse des débits
Les processus souterrains
L’idée selon laquelle les débits dans les rivières étaient principalement constitués d’eau provenant des écoulements de surface a été dominante pendant des décennies. Néanmoins, dès les années 1930-1940, des hydrologues ont observé des régimes d’écoulements dans les bassins ne pouvant s’expliquer par les concepts de ruissellement hortonien ou de ruissellement sur surface saturée (e.g. [Hursh, 1936], [Hursh, 1941]). Ils supposent alors que les écoulements souterrains, et particulièrement les écoulements de subsurface, peuvent être dans certains cas des processus dominants d’alimentation du réseau hydrographique. L’eau des rivières n’est plus simplement de l’eau qui ruisselle à la surface mais plutôt de l’eau qui s’infiltre et transite par le sol. Ces processus pourraient expliquer la contribution d’eau ancienne à l’hydrogramme. Ceux-ci ont été identifiés très tôt dans l’histoire de l’hydrologie mais par manque d’applicabilité et de théories sous-jacentes, cette vision de la genèse des débits a mis plus de temps à s’imposer. Dans cette partie consacrée aux processus souterrains de genèse des débits, nous décrirons successivement les processus d’écoulement hypodermique, d’effet piston, d’intumescence de nappe et d’écoulement en macropores.
Écoulement hypodermique
Dès les années 30/40, l’idée d’une contribution non négligeable du domaine souterrain au débit de crue est apparue. Hursh suggéra l’existence d’un écoulement latéral préférentiel de subsurface plus rapide que les écoulements de nappe. Ses études sur les petits bassins forestiers ont ensuite montré [Hursh, 1941] que ce processus peut représenter une partie plus importante de l’hydrogramme que le phénomène de ruissellement. Il apparaît alors possible que les débits dans les rivières soient produits par des écoulements dans des zones proches de la surface. Les travaux de Whipkey , Hewlett et Kirkby ont permis de mieux comprendre dans quelles conditions ces écoulements préférentiels, appelés écoulements hypodermiques, apparaissent. Dans les sols pour lesquels la conductivité hydraulique diminue avec la profondeur, le processus d’infiltration peut être ralenti voire stoppé par des niveaux de subsurface moins perméables (voir Fig 1.1). La zone au dessus de ce niveau peut se saturer complètement (apparition d’une nappe perchée) et un écoulement hypodermique saturé se produit sous l’effet de la pente et de la gravité. L’intensité de l’écoulement augmente dans les couches plus fines. Si le niveau saturé atteint la surface, du ruissellement sur surface saturée peut apparaître [Kirkby, 1969]. Ce processus se produit plus généralement dans des conditions non saturées et les bassins versants forestiers sont particulièrement sujets à ce phénomène. L’existence de racines et d’horizons superficiels plus perméables (humus, …) fait de la partie superficielle du sol une zone très perméable qui peut parfois conduire à des écoulements hypodermiques rapides. Hewlett et Whipkey ont étudié ce processus expérimentalement et montré que les écoulements de subsurface pouvaient dans certains cas maintenir le débit de base et représenter une part non négligeable de l’hydrogramme. L’organisation des écoulements de subsurface peut également conduire au processus d’exfiltration [Dunne et Black, 1970]. Il apparaît dans les zones où les apports liés aux écoulements latéraux (en conditions saturées ou non saturées) dépassent la capacité de transfert d’eau. Il y a alors saturation du profil et le flux en excès s’écoule à la surface. Dans ce cas, la surface du sol devient saturée et le ruissellement sur surface saturée apparaît. Il est d’ailleurs difficile de distinguer ce type de ruissellement du ruissellement par exfiltration. Plus de détails sur l’ensemble de ces phénomènes sont donnés dans [Whipkey et Kirkby, 1978].
L’effet piston
Un autre concept est souvent utilisé pour expliquer la contribution importante d’eau ancienne à l’écoulement de crue : c’est l’effet piston [Hewlett et Hibbert, 1967]. Ce mécanisme suppose que l’impulsion liée aux précipitations est directement transmise par une onde de pression qui se propage le long de la pente. Dans des conditions d’humidité importante, cette onde peut provoquer une forte exfiltration en bas de versant. Dans ce cas, il faut distinguer la vitesse réelle de l’eau qui est relativement lente de celle de l’onde de pression qui peut être rapide et caractérise la vitesse de réponse du bassin. Ce phénomène a été étudié en laboratoire [Horton et Hawkins, 1965] et observé sur le terrain [Zimmerman et al,1966]. Néanmoins, il apparaît que ce processus ne libère qu’une quantité faible d’eau de subsurface et ne se produit que dans le cas où la partie supérieure du sol a une capacité de stockage très faible.
Intumescence de nappe
Le comportement des zones en bas de versant est considérablement modifié par l’existence d’une zone située au dessus du niveau de nappe et très proche de la saturation appelée frange capillaire [Gillham, 1984]. Dans les zones où le niveau de nappe et la frange capillaire sont très proches du niveau de la surface, un petit volume de pluie s’infiltrant suffit à transformer l’eau sous tension de la frange capillaire en eau libre. On observe alors un relèvement rapide du niveau de la nappe. Ce processus est particulièrement important dans les zones proches des cours d’eau et est appelé intumescence de nappe . L’augmentation du gradient hydraulique lié à la saturation de la frange capillaire augmente considérablement la contribution de la nappe au débit de crue. La vitesse de l’onde de perturbation est bien supérieure à celle du mouvement de l’eau réelle et peut dans certains cas expliquer la contribution rapide et majoritaire de l’eau ancienne dans l’hydrogramme . Lorsque l’intumescence de nappe atteint la surface du sol, elle crée des zones saturées actives où de l’exfiltration et du ruissellement sur surface saturée se produisent.