Les processus d’appropriation de la maladie chronique
Le modèle d’acception de la maladie de Klüber-Ross
Klüber Ross, psychiatre américaine a été l’une des premières à développer un modèle permettant de mieux appréhender l’ajustement de la maladie chez les patients (Untas, 2012). À travers l’étude de patients hospitalisés en soin palliatif elle distingue différentes étapes bordant leur cheminement psychique en vue d’accepter la maladie. Pour elle, l’acceptation de la maladie par le patient découle d’un long processus de maturation. Elle décrit différents stades traversés par le sujet de manière plus ou moins rapide et se présentant d’intensité variable. La fixation d’un patient à un stade représente l’impossibilité à accepter sa maladie entrainant une lourde détresse émotionnelle (1969). Afin de réussir à accepter sa maladie, le malade s’inscrit dans un processus composé de différentes phases (Klüber-Ross, 1975) :
1- Le déni : Devant l’annonce de la maladie, le patient se trouve dans un état de sidération. Le patient ne peut croire au diagnostic qui vient de lui être avancé. Il ne peut accepter cette insoutenable vérité et l’intégrer dans sa réalité psychique. La maladie agit comme une menace contre l’équilibre psychique du sujet face à laquelle le sujet se défend en ayant recours à un mécanisme de déni.
2- La révolte : A ce stade, le patient prend progressivement conscience de la réalité de sa maladie. Celle-ci devient l’agresseur face auquel il réagit potentiellement avec colère. On retrouve alors un sentiment d’injustice, de punition mais également chez certains sujets, un sentiment intense de culpabilité. C’est à ce stade que peuvent apparaitre des manifestations dépressives. Il est également fréquent que l’agressivité reliée à la révolte soit projetée sur l’entourage familial ou l’équipe soignante.
3- Le marchandage : Conscient de sa maladie, le patient procède à une tentative de négociation vis-à-vis des contraintes des traitements ou des symptômes comme pour mieux les accepter. Il s’agit d’admettre de souffrir, mais sous certaines conditions, notamment à travers la mise en place de compromis. Le patient exprime, souvent secrètement un souhait, le plus souvent la prolongation de sa vie ou une période sans douleur, adressé à Dieu ou une autre entité abstraite.
4- La dépression : Une fois le processus de négociation dépassé s’en suit la phase de réflexion. À ce stade, le patient prend conscience des contraintes avec lesquelles il est dans l’obligation de composer. Fréquemment des sentiments de perte sont avancés dans le discours des malades. En conséquence, il s’inscrit dans un travail de deuil de certaines modalités identitaires afin de se préparer à sa propre mort.
5- L’acceptation : L’acceptation ne pourra être effective que lorsque le sujet sera en mesure d’intégrer les contraintes de la maladie à son quotidien. Le patient met en avant une nouvelle image de lui, intégrant son statut de malade et accepte de ne pouvoir être guéri. Il est capable de décrire les différents états émotionnels qu’il a traversés et peut envisager sa propre mort avec davantage de sérénité. S’il a permis des applications cliniques dans les unités de soin palliatif, ce modèle a été souvent critiqué pour son aspect linéaire, ne permettant pas l’expression simultanée de plusieurs affects. De plus, l’interaction entre les changements de l’état de santé physique et l’influence sur l’état psychique n’est pas prise en compte (Untas, 2012). Néanmoins, le modèle de Klüber-Ross a pu donner lieu à différents prolongements dans le champ des maladies chroniques que nous nous proposons de parcourir.
Prolongement du modèle de Klübler-Ross dans la maladie chronique
Le « Shifting perspective model » de Paterson (2001)
Paterson (2001) tente de dépasser les critiques portant sur la linéarité du modèle de Klüber Ross, à travers son propre modèle « Shifting perspective Model ». Selon elle, le patient atteint de maladie chronique oscille perpétuellement entre une perspective centrée sur la maladie et une autre centrée sur le bien-être. Lorsque le sujet est centré sur la maladie, il focalise son attention sur sa souffrance physique et sur les différentes pertes induites par celle-ci. Il tente de développer ses connaissances sur la maladie et élabore des stratégies pour mieux l’accepter. Dans la perspective centrée sur le bien-être, le sujet tente d’accroitre celui-ci en multipliant ses compétences sur la maladie. Il considère celle-ci comme une opportunité de mettre en place des changements significatifs dans sa vie relationnelle, professionnelle et personnelle. Ainsi au fur et à mesure de ses expériences avec la maladie, des échanges avec son environnement social et médical, le patient va être à même de mieux évaluer ses besoins et ses désirs pour s’ajuster au mieux à la pathologie.
Les processus « d’intégration» et de « distanciation» de Lacroix (2009)
En s’appuyant sur le concept de « travail de deuil» développé par Freud ainsi que sur le modèle de Klüber Ross, Lacroix tente de mieux comprendre le vécu de la maladie chronique en tentant de repérer les mécanismes défensifs. Elle insiste sur la nécessaire acceptation de la souffrance et de la perte par le patient pour réussir à accepter sa maladie. Si en revanche cette souffrance est mise à distance, on assistera à un blocage du travail psychique et une faillite des capacités d’élaboration d’une nouvelle rechute. Ainsi suite à l’annonce, les patients peuvent présenter deux processus distincts, un processus d’intégration ou au contraire de distanciation qui témoigneront de la réussite ou de l’échec du travail de deuil. Lacroix (2009) nuance toutefois ses propos en rapportant le cas de patients se situant dans des espaces intermédiaires où ils se montrent ni résistants, ni pour autant acceptants.
Le processus d’intégration de la maladie
e Face à l’annonce, le patient fait face temporairement à une incrédulité passagère. Celle-ci est fortement dépendante des modalités de l’annonce ainsi que des représentations qu’elle soulève chez le sujet. Le choc de l’annonce fait progressivement place à des stratégies de confrontation à l’événement. Le sujet se révolte avec une certaine agressivité contre son entourage ainsi que contre le personnel médical. Un sentiment d’injustice peut également survenir. C’est durant cette phase de révolte que le patient prend réellement en compte que la maladie fait partie de sa réalité. S’en suit une phase dite de « dépressivité ». En effet, le sujet manifeste une tristesse lorsqu’il comprend qu’il ne pourra échapper à une maladie qu’il va devoir assumer. Le moi du patient est donc suffisamment solide pour se laisser toucher par l’événement en contact direct avec ses émotions, il va pouvoir mobiliser des ressources nécessaires pour la gestion de son traitement et de son quotidien. Ce processus implique une réaction de symbolisation de la perte, ne pouvant être effective que par un épisode de détresse psychologique qui représentera une étape avant une guérison psychique.