Les privilèges obtenus de haute lutte
C’est au début du XIVe siècle, que les étudiants obtinrent une protection ferme et définitive de la part des autorités ecclésiastiques et royales. La formule ci-dessus qui atribua en 1306, à ceux des universités françaises, la sauvegarde royale en est l’illustration la plus significative et arriva concommitamment avec une bulle du pape Clément V qui les plaçait définitivement sous la juridiction ecclésiastique. La situation des universités avait mis un siècle à se stabiliser. Au tout début du XIIIe , les premières d’entre elles, que ce soit Bologne en Italie, Paris en France ou Oxford en Angleterre, avaient provoqué, comme nous venons de le voir, de la part des autorités locales et des bourgeois des villes concernées, un rejet quasi unanime, même si par ailleurs elles assuraient un incontestable rayonnement pour leur cité. Cette population étrange d’étudiants venus d’ailleurs dans leur grande majorité et qui ne parlaient souvent pas la langue locale, générait de la peur, de la répulsion, et se trouvait de ce fait sans cesse menacée de représailles. Sans protection, elle était exposée à tous les risques. C’est pourquoi elle obtint, et de haute lutte dans les premiers temps, toute une série de privilèges qui, comme le dit Léo Moulin, n’étaient pas considérés à l’époque comme « une faveur injuste, mais comme un moyen de protéger des individus, ce qui finalement favorisait le corps social tout entier »
Genèse des privilèges universitaires
« Nul ne soit assez audacieux pour oser faire quelque tort aux étudiants » 230 L’extrait ci-dessus provient d’un document – la constitution Habita – qui attribua pour la première fois, dès le milieu du XIIe siècle, un certain nombre de privilèges aux maîtres et aux étudiants de Bologne, privilèges destinés à assurer leur protection afin qu’ils puissent étudier dans les meilleures conditions possibles. Dans cette ville de l’Italie du nord très tôt pourvue d’institutions communales fortes, l’enseignement du droit était une tradition ancienne. Depuis longtemps déjà, des écoles très actives assuraient une formation basée sur les arts libéraux et sur un mélange de différentes lois, celles issues de l’Empire romain et celles provenant des peuples barbares231. Au XIIe siècle, le studium s’était développé et avait acquis une réputation dans toute l’Europe et même au delà, grâce notamment à des maîtres comme Bulgarus, Martinus, Ugo et Jacobus.
La curie romaine y envoyait se former les hommes qu’elle voulait être les meilleurs spécialistes en droit canon. Ce rayonnement culturel valut à la cité le surnom de la Dotta (la savante). Cependant, les citoyens de la cité ne voyaient pas toujours d’un très bon œil ces écoliers jeunes et turbulents, venus de partout, et qui troublaient leur tranquillité. Aussi, dès 1155 et donc bien avant la création officielle de l’Université, les docteurs rencontrèrent Frédéric Barberousse pour lui demander sa protection. L’empereur leur accorda sa faveur dans cette constitution connue sous le nom d’Habita et qui plaça les écoliers sous la double tutelle des doctores et de l’évêque, les soustrayant ainsi à la justice de la commune.
Privilèges ecclésiastiques, privilèges royaux, autres avantages
« Afin que les docteurs et étudiants puissent […] se consacrer à l’étude […] nous leur accordons de jouir et d’être pourvus de tous les privilèges, libertés, immunités […] » 246 Celui qui était clerc était considéré comme une personne sacrée, ce qui était déjà en soi, un privilège important, le « privilegium canonis », car toute action violente portée contre lui était considérée comme un sacrilège et à ce titre, passible d’excommunication247. Dans les faits, cela se traduisait par l’interdiction de le condamner à la peine de mort mais également à des sanctions courantes à cette époque, comme la mutilation par exemple.
C’est ainsi que les peines de bannissement qui le touchaient, ne pouvaient s’accompagner d’une amputation corporelle, comme cela était fréquent pour les laïcs, et permettait ainsi de vérifier plus aisément, en un temps où les papiers d’identité n’existaient pas, qu’un individu banni ne revenait pas dans la ville d’où il avait été exclu. L’amputation était également utilisée lors de la condamnation d’un premier délit, comme moyen visuel de contrôler ultérieurement si le délinquant était un récidiviste.
Le privilegium canonis excluait les clercs de ce type de peine. L’autre privilège essentiel dont bénéficiait le clerc et qui était une conséquence logique du précédent, était le droit de clergie qui le soustrayait à la justice laïque et le renvoyait devant celle de l’Eglise, généralement considérée comme plus clémente, en particulier parce que justement elle ne prononçait jamais de peines capitales ni de peines d’amputations. Les bulles fondatrices des universités ou des lettres attenantes précisaient clairement ce droit. Ainsi, lorsqu’il confirma celle de Toulouse en 1229, Grégoire IX écrivit au Comte de cette ville que « les docteurs, les étudiants et leurs serviteurs n’étaient justiciables que du juge ecclésiastique »