Les principes fondamentaux de philosophie

Le troisième trait de la dialectique : le changement qualitatif

Un exemple

Si je chauffe de l’eau, sa température s’élève de degré en degré. Quand elle atteint 100 degrés, l’eau entre en ébullition : elle se change en vapeur d’eau. Voilà deux sortes de changements. L’augmentation progressive de température constitue un changement de quantité. C’est-à-dire que la quantité de chaleur qu’enferme l’eau s’accroît. Mais à un certain moment l’eau change d’état : sa qualité de liquide disparaît ; elle devient gaz (sans pourtant changer de nature chimique).
Nous appelons changement quantitatif le simple accroissement (ou la simple diminution) de quantité. Nous appelons changement qualitatif le passage d’une qualité à une autre, le passage d’un état à un autre état (ici : passage de l’état liquide à l’état gazeux).L’étude du deuxième trait de la dialectique nous a montré que la réalité est changement. L’étude du troisième trait de la dialectique va nous montrer qu’il y a un lien entre les changements quantitatifs et les changements qualitatifs.En effet, et ceci est essentiel à retenir, le changement qualitatif (l’eau liquide devenant vapeur d’eau) n’est pas le fait du hasard : il résulte nécessairement du changement quantitatif, de l’accroissement progressif de la chaleur. Quand la température atteint un degré déterminé (100 degrés), l’eau bout, dans les conditions de la pression atmosphérique normale. Si la pression atmosphérique change, alors, comme tout se tient (premier trait de la dialectique), le point d’ébullition change; mais, pour un corps donné et pour une pression atmosphérique donnée, le point d’ébullition sera toujours le même. Cela signifie bien que le changement de qualité n’est pas une illusion ; c’est un fait objectif, matériel, conforme à une loi naturelle. C’est par conséquent un fait prévisible : la science cherche quels sont les changements de quantité nécessaires pour qu’un changement de qualité donné se produise. Dans le cas de l’eau en ébullition, le lien entre les deux sortes de changement est incontestable et clair. La dialectique considère que ce lien entre changement quantitatif et changement qualitatif est une loi universelle de la nature et de la société.
Nous avons vu dans la leçon précédente que la métaphysique nie le changement. Ou bien, si elle l’admet, elle le réduit à la répétition ; nous avons donné l’exemple du mécanisme. L’univers est alors comparable à une pendule dont le balancier parcourt sans cesse le même trajet. Appliquée à la société, une telle conception fait de l’histoire humaine un cycle toujours recommencé, un éternel retour. En d’autres termes, la métaphysique est impuissante à expliquer le nouveau. Quand alors le nouveau s’impose à elle, elle y voit un caprice de la nature, ou l’effet d’un décret divin, d’un miracle. Au contraire, la dialectique n’est ni étonnée, ni scandalisée par l’apparition du nouveau. Le nouveau résulte nécessairement de l’accumulation graduelle de petits changements en apparence insignifiants, quantitatifs : ainsi c’est par son propre mouvement que la matière crée le nouveau.

Le troisième trait de la dialectique

Contrairement à la métaphysique, la dialectique considère le processus du développement, non comme un simple processus de croissance, où les changements quantitatifs n’aboutissent pas à des changements qualitatifs, mais comme un développement qui passe des changements quantitatifs insignifiants et latents à des changements apparents et radicaux, à des changements qualitatifs; où les changements qualitatifs sont non pas graduels, mais rapides, soudains, et s’opèrent par bonds, d’un état à un autre ; ces changements ne sont pas contingents, mais nécessaires ; ils sont le résultat de l’accumulation de changements quantitatifs insensibles et graduels. (Staline : Matérialisme dialectique et matérialisme historique. p. 5.)Précisons bien certains aspects de cette définition. Le changement qualitatif, disions-nous au paragraphe précédent, est un changement d’état : l’eau liquide devient vapeur d’eau ; ou encore l’eau liquide devient eau solide (glace). L’œuf devient poussin. Le bouton devient fleur. L’être vivant meurt, devient cadavre.

Le développement : ce qui apparaît au jour s’est développé peu à peu et sans qu’il y paraisse. Il n’y a pas de miracle, mais une lente préparation que la dialectique seule sait déceler. Maurice Thorez dit dans Fils du Peuple (p. 248) : « Le socialisme se dégagera du capitalisme comme le papillon se dégage de la chrysalide ».

Le bond : s’il faut 60.223 voix à un candidat pour être élu, c’est très précisément le 60.223e suffrage qui réalise le bond qualitatif par lequel le candidat devient député. Ce bond, ce changement rapide, soudain, a toutefois été préparé par une accumulation graduelle et insensible de suffrages : 1+l+l… Voilà un exemple très simple de bond qualitatif, de changement radical. De même la fleur éclôt soudain après une lente maturation. De même la révolution qui éclate au grand jour est un changement par bond qu’a préparé une lente évolution. Mais cela ne veut pas dire que tous les changements qualitatifs prennent la forme de crises, d’explosions. Il y a des cas où le passage à la qualité nouvelle s’opère par des changements qualitatifs graduels. Dans A propos du marxisme en linguistique, Staline montre que les transformations de la langue se font par changements qualitatifs graduels.
De même, tandis que le passage qualitatif de la société divisée en classes hostiles à la société socialiste s’opère par explosions, le développement de la société socialiste s’effectue par changements qualitatifs graduels sans crises. En l’espace de 8 à 10 ans, écrit Staline, nous avons réalisé, dans l’agriculture de notre pays, le passage du régime bourgeois, du régime de l’exploitation paysanne individuelle, au régime kolkhozien socialiste. Ce fut une révolution qui a liquidé l’ancien régime économique bourgeois à la campagne et créé un régime nouveau, socialiste. Cependant, cette transformation radicale ne s’est pas faite par voie d’explosion, c’est-à-dire par le renversement du pouvoir existant et la création d’un pouvoir nouveau, mais par le passage graduel de l’ancien régime bourgeois à la campagne à un régime nouveau. On a pu le faire parce que c’était une révolution par en haut, parce que la transformation radicale a été réalisée sur l’initiative du pouvoir existant, avec l’appui de la masse essentielle de la paysannerie. (Staline : « A propos du marxisme en linguistique », dans Derniers écrits, p. 35-36. Editions Sociales.)De même encore le passage du socialisme au communisme est un changement qualitatif, mais qui s’effectue sans crises, parce qu’en régime socialiste les hommes, armés de la science marxiste, sont maîtres de leur histoire, et parce que la société socialiste n’est pas formée de classes hostiles, antagonistes.
On voit ainsi qu’il faut étudier dans chaque cas le caractère spécifique que prend le changement qualitatif. Il ne faut pas identifier mécaniquement tout changement qualitatif à une explosion. Mais, quelle que soit la forme que revêt le changement qualitatif, il n’y a jamais de changement qualitatif non préparé. Ce qui est universel, c’est le lien nécessaire entre changement quantitatif et changement qualitatif.

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Dans la nature

Considérons un litre d’eau. Divisons ce volume en deux parties égales; la division ne change nullement la nature du corps; un demi-litre d’eau, c’est toujours de l’eau. Nous pouvons ainsi continuer la division, obtenant chaque fois des fractions plus petites : un dé à coudre, une tête d’épingle… c’est toujours de l’eau. Aucun changement qualitatif. Mais vient un moment où nous atteignons la molécule d’eau [Un corps, quel qu’il soit, est composé de molécules. La molécule est la plus petite quantité d’une combinaison chimique donnée. Elle est elle-même constituée d’atomes : un atome est la plus petite partie d’un élément pouvant entrer en combinaison. Les molécules d’un corps, simple (oxygène, hydrogène, azote…) renferment des atomes identiques (d’oxygène, d’hydrogène, d’azote…) Les molécules d’un corps composé (eau, sel de cuisine, benzine) contiennent des atomes des divers corps composants.] : elle comporte deux atomes d’hydrogène et un atome d’oxygène. Pouvons-nous poursuivre la division, dissocier la molécule ? Oui, par une méthode appropriée… mais alors ce n’est plus de l’eau ! C’est de l’hydrogène et de l’oxygène. L’hydrogène, l’oxygène obtenus par la division d’une molécule d’eau n’ont pas les propriétés de l’eau. Chacun sait que l’oxygène entretient la flamme, mais que l’eau éteint les incendies. Cet exemple est une illustration de la troisième loi de la dialectique : le changement quantitatif (ici : la division graduelle du volume d’eau) entraîne nécessairement un changement qualitatif (libération soudaine de deux corps qualitativement différents de l’eau).La nature est prodigue de tels processus…. dans la nature, d’une façon nettement déterminée pour chaque cas singulier, les changements qualitatifs ne peuvent avoir lieu que par addition ou retrait quantitatifs de matière ou de mouvement (comme on dit : d’énergie). (Engels : Dialectique de la nature, p. 70. Editions Sociales.)Engels donne lui-même nombre d’exemples. Soit l’oxygène : si, au lieu des deux atomes habituels, trois atomes s’unissent pour former une molécule, nous avons de l’ozone, corps qui par son odeur et ses effets se distingue d’une façon bien déterminée de l’oxygène ordinaire. Et que dire des proportions différentes dans lesquelles l’oxygène se combine à l’azote ou au soufre et dont chacune donne un corps qualitativement différent de tous les autres ! Quelle différence entre le gaz hilarant (protoxyde d’azote N2O) et l’anhydride azotique (pentoxyde d’azote N2O5) ! Le premier est un gaz, le second, à la température habituelle, un corps solide et cristallisé. Et pourtant toute la différence dans la combinaison chimique consiste en ce que le second contient cinq fois plus d’oxygène que le premier. Entre les deux se rangent encore trois autres oxydes d’azote (NO, N2O3, NO2), qui tous se différencient qualitativement des deux premiers et sont différents entre eux. (Engels : Dialectique de la nature, p. 72. Editions Sociales.)C’est ce lien nécessaire entre quantité et qualité qui a permis à Mendéléiev de faire une classification des éléments chimiques [L’élément est la partie commune à toutes les variétés d’un corps simple et aux composés qui en dérivent. Ex. : le soufre se conserve dans toutes les variétés de soufre et dans les composés de soufre. Il y a 92 éléments naturels : ils se conservent lors des réactions chimiques entre les corps. Mais dans certaines conditions, il y a transmutation d’éléments (radioactivité).] : les éléments sont rangés par poids atomiques croissants. [Le poids atomique d’un élément représente le rapport du poids de l’atome de cet élément au poids de l’atome d’un élément type (hydrogène ou oxygène).] Cette classification quantitative des éléments, du plus léger (l’hydrogène) au plus lourd (l’uranium), fait apparaître leurs différences qualitatives, leurs différences de propriétés. La classification ainsi établie comportait pourtant des cases vides : Mendéléiev en conclut qu’il y avait ainsi des éléments qualitativement nouveaux à découvrir dans la nature ; il décrivit à l’avance les propriétés chimiques d’un de ces éléments, qui par la suite devait être effectivement découvert. Grâce à la classification méthodique de Mendéléiev, on a pu prévoir et obtenir artificiellement plus de dix éléments chimiques qui n’existaient pas dans la nature. La chimie nucléaire (qui étudie le noyau de l’atome), en même temps qu’elle augmentait considérablement le champ de nos connaissances, a permis de mieux comprendre toute l’importance du lien nécessaire entre quantité et qualité. C’est ainsi que Rutherford, bombardant des atomes d’azote avec des hélions (corpuscules atomiques produits par la désintégration de l’atome de radium), réalisa la transmutation des atomes d’azote en atomes d’oxygène. Remarquable changement qualitatif. Or l’étude de ce changement a montré qu’il est conditionné par un changement quantitatif : sous l’effet de l’hélion, le noyau d’azote — qui comporte 7 protons [Le proton et le neutron sont les constituants du noyau de l’atome.] — en perd un ; mais il « fixe » les 2 protons du noyau d’hélion. Cela donne un noyau de 8 protons, c’est-à-dire un noyau d’oxygène.

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