Estimation de l’Irradiation Solaire sur le Plateau des
Guyanes : apport de la Télédétection Satellite
Caractérisation du rayonnement solaire
Le rayonnement solaire est constitué de l’ensemble des ondes électromagnétiques émises par le Soleil. Il comprend les longueurs d’ondes allant de l’ultraviolet jusqu’à l’infrarouge. Lorsque le rayonnement solaire traverse l’atmosphère, il se décompose en rayonnement direct et en rayonnement diffus. Le rayonnement direct est la part de rayonnement provenant de la direction du Soleil. Le rayonnement diffus est originaire de la voûte céleste, des nuages et des objets environnants (Wald, 2007). Le rayonnement global reçu sur la Terre est donc la somme des composantes directe et diffuse. La majorité de l’énergie émise par le Soleil se situe dans les longueurs d’onde du spectre visible (0,39 µm à 0,76 µm). L’énergie du rayonnement global reçu à tout instant par unité de surface est appelée irradiation globale, et a pour unité le Wattheure par mètre carré (Wh.m-2). L Introduction Générale 3 Le moyen le plus simple de produire des données énergétiques associées au rayonnement global solaire reçu au sol consiste à installer des stations de mesure. Ces stations comportent un instrument appelé « pyranomètre » qui mesure l’irradiation globale reçue au sol en utilisant l’effet Seebeck (Chambers, 1977). L’installation, la mise en œuvre et le fonctionnement des pyranomètres imposent quelques contraintes. Premièrement, il ne doit y avoir aucune ombre portée sur l’instrument de mesure (bâtiments, arbres, végétation). Ensuite, le pyranomètre doit être régulièrement entretenu : nettoyage du dôme du pyranomètre, vérification et remplacement du desiccant, calibration du matériel afin de compenser la dérive des matériaux, etc. Toutes ces opérations d’entretien et de maintenance requièrent l’intervention humaine, ce qui explique qu’il n’y a pas de stations de mesure en tout point du globe, comme vu sur la figure 1. Afin de combler l’absence de mesure d’irradiation dans les zones où il n’y a pas de pyranomètre installé, il est possible d’utiliser des techniques d’interpolation permettant de produire des données en tous points. Figure 1 : Liste de stations du Global Historical Climatology Network (GHCN) en 2009 (K. Hashemi, 20091) L’interpolation de données in-situ permet d’obtenir des cartographies de l’irradiation solaire, cependant l’interpolation de données d’irradiation permet de produire des estimations pertinentes et suffisamment précises que jusqu’à une distance moyenne de 50 km entre stations pour des valeurs moyennes journalières d’irradiation et jusqu’à une distance de 34 km entre les stations pour des valeurs moyennes horaires d’irradiation (Perez et al., 1997). 1 http://homeclimateanalysis.blogspot.com/2009/12/station-distribution.html Caractérisation du rayonnement solaire 4 Au-delà de ces distances, une approche alternative pour produire des données d’irradiation solaire en tout point repose sur l’exploitation des observations et images satellites acquises par des radiomètres imageurs. Les satellites imageurs peuvent être répartis en deux grandes familles : – Les satellites géostationnaires, dont le plan orbital est celui de l’équateur et l’altitude de révolution est d’environ 36000 km. Les satellites géostationnaires sont adaptés pour le suivi d’une région en particulier. Parmi les satellites géostationnaires, on peut citer GOES (Geostationary Operational Environmental Satellite, NASA, Etats-Unis) et Météosat (Europe). La vitesse de révolution est égale au jour sidéral de la Terre, de sorte que le satellite est immobile par rapport à un point fixe terrestre. Les satellites géostationnaires se caractérisent par une résolution spatiale basse (pixel de 1km de côté pour le canal visible de GOES, 4 km pour le canal infrarouge de GOES) et par une résolution temporelle élevée (par exemple, des images toutes les 15 minutes pour Meteosat-7 et toutes les 30 minutes pour GOES). – Les satellites à défilement (ou à orbite polaire), dont l’orbite est caractérisée par une inclinaison proche de 90° par rapport à l’équateur et la période de révolution est de l’ordre d’une centaine de minutes. L’orbite des satellites à défilement est calculée de façon à ce qu’elle soit héliosynchrone, c’est-à-dire qu’à chaque fois que l’on observe un même site, l’observation se fera toujours à la même heure. Ils se caractérisent par une résolution spatiale haute à très haute (pixel de 30 m pour Landsat 7, entre 5 et 20 m pour SPOT 5) et par une résolution temporelle basse (entre 2 et 6 images par jour). Parmi les principaux satellites à orbite polaire, on peut citer le satellite météorologique NOAA AVHRR (National Oceanic and Atmospheric Administration Advanced Very High Resolution Radiometer), ainsi que des satellites d’observation de la Terre tels qu’Ikonos ou SPOT (Satellite Pour l’Observation de la Terre). Les satellites à défilement sont adaptés pour de la surveillance à échelle globale de phénomènes à progression lente. Plusieurs approches méthodologiques ont été développées pour produire des données d’irradiation solaire à partir d’observations satellites. L’intérêt de ces méthodes est qu’elles permettent de produire des estimations du rayonnement solaire à large échelle, c’est à dire sur l’ensemble de la fenêtre d’observation spatiale satellite. Introduction Générale
Méthodes d’estimation de l’irradiation globale solaire par satellite
Les méthodes d’estimation de l’irradiation globale solaire à partir d’images satellites se divisent principalement en trois catégories : les méthodes statistiques, les méthodes physiques et les méthodes hybrides.
Méthodes statistiques
C’est avec le lancement des premiers satellites météorologiques que les premières méthodes d’estimation de l’irradiation solaire à l’aide d’images satellite ont vu le jour. Ces méthodes ont été appelées « statistiques » car basées sur la corrélation entre les valeurs de pixel extraites des images satellites et les mesures d’irradiation au sol. Ce type de méthode est exploitable partout dans le monde, à condition de procéder à des ajustements empiriques basés sur des comparaisons avec des mesures d’irradiation au sol. Plusieurs auteurs ont développé des méthodes d’estimation basées sur des méthodes statistiques. Hanson (1971) a étudié le taux de couvert nuageux et sa relation avec l’irradiation solaire. L’étude de Hanson (1971) a exploité des données du satellite à orbite polaire Nimbus 2, en considérant le rayon incident comme la somme d’une composante réfléchie vers l’espace, d’une composante absorbée par l’atmosphère ou absorbée par la surface. Tarpley (1979) a été l’un des premiers à utiliser des images de satellites géostationnaires (issues du satellite météorologique GOES-1 lancé en 1975) pour estimer l’irradiation solaire au sol dans les Grandes Plaines des Etats-Unis d’Amérique. À partir de la valeur (compte numérique) d’un pixel, il calcule une valeur de brillance et un taux de couverture nuageuse. Ces deux paramètres sont ensuite utilisés pour calculer une valeur de « brillance moyenne ». Enfin, l’irradiation reçue au sol est obtenue en fonction de la valeur du taux de couverture nuageuse et de la valeur de brillance moyenne. Tarpley a mis en évidence l’importance de disposer d’une résolution temporelle élevée (en l’occurrence, une image toutes les 30 minutes) pour modéliser l’irradiation solaire avec précision. En effet, un test avec des images issues d’un satellite à orbite polaire, bien qu’offrant l’avantage d’une couverture globale, ne permet pas de suivre les variations intra-journalières de l’irradiation, car deux images par jour seulement sont disponibles. Une autre méthode d’estimation largement exploitée par la communauté scientifique et s’inspirant des travaux de Tarpley (1979) est la méthode Heliosat (Cano et al., (1986), Diabaté et al., (1988)). Cette méthode a été développée à MINES Paris Tech. Elle permet de convertir la réflectance d’un pixel issu d’une image provenant du canal visible des satellites météorologiques Meteosat en valeur d’irradiation solaire. Le principe de la méthode Heliosat est que la variation de couvert nuageux à l’égard d’un site donné entraîne une variation d’albédo à l’égard de ce même site. Cette variation Méthodes d’estimation de l’irradiation globale solaire par satellite 6 d’albédo a une influence sur l’irradiation solaire à l’égard du site considéré. L’albédo, borné par une valeur maximale (albédo des nuages) et par une valeur minimale (albédo des sols), permet d’obtenir un indice d’ennuagement, rendant compte du couvert nuageux à égard d’un pixel. Enfin, il est possible de lier l’indice d’ennuagement à un facteur de transmission K, défini par : = (1.1) Avec : • K : facteur de transmission atmosphérique (sans unité) • G : rayonnement global au sol sur une surface horizontale • G0 : rayonnement extraterrestre Le rayonnement global peut être déterminé par : • G : rayonnement global au sol • n : indice d’ennuagement • Gb : rayonnement global au sol pour un ciel couvert • Gc : rayonnement global au sol pour un ciel clair Beyer et al., (1996) ont proposé une modification à cette méthode en introduisant un indice de ciel clair, Kc, qui fait intervenir le rayonnement par ciel clair, Gc et qui est défini par : = (1.3) Avec : • Kc : indice de ciel clair (sans unité) • G : rayonnement global (en W/m²) • Gc : rayonnement global par ciel clair (en W/m²) Beyer et al., (1996) ont modifié l’équation (1.2) et démontré que l’indice de ciel clair (Kc) était lié à l’indice d’ennuagement par la relation suivante : = 1 −
Méthodes Physiques
Les méthodes dites « physiques » sont basées sur la modélisation des constituants de l’atmosphère pour décrire l’atténuation du rayonnement. En grande majorité, les méthodes physiques utilisent des modèles de transfert radiatif (MTR) pour modéliser ces atténuations. L’un des premiers modèles physiques est celui de Gautier et al., (1980). Ce modèle exploite des données image issues du satellite météorologique géostationnaire GOES, couplées à des modélisations des atténuations des constituants de l’atmosphère. Deux modèles sont proposés pour calculer l’irradiation solaire : l’un par temps clair, l’autre par temps couvert. Le bon fonctionnement de ce modèle, comme pour la plupart des modèles physiques, dépend d’une série d’images correctement étalonnées (Gautier et al., 1980a). La dernière version de la méthode, datant de 1997 (Gautier and Landsfeld, 1997) prend en compte également l’atténuation de l’irradiation dans la portion ultraviolette du spectre solaire. D’autres modèles physiques exploitent l’imagerie satellite, comme l’algorithme du projet GEWEX SRB (Global Energy and Water Exchange – Surface Radiation Budget) développé par Pinker and Laszlo (1992) . Cet algorithme exploite le MTR de DeltaEddington (Joseph et al., 1976), dans lequel une bibliothèque de valeurs de transmissivité et de réflectivité du rayonnement à égard d’une surface est mise en place. Lorsqu’une valeur de luminance est mesurée par le capteur satellite à un instant donné, elle est convertie en réflectance bande étroite (narrowband) puis en réflectance large bande (broadband). Et l’irradiation globale au sol est estimée par itérations successives, grâce à la lecture de la bibliothèque contenant les valeurs de réflectance et de transmissivité générées par le MTR (table de lecture ou Look Up Table -LUT) L’INPE (Instituto de Pesquisas Espaciais – Institut National de Recherches Spatiales, Brésil) et le laboratoire LABSOLAR de l’UFSC (Université Fédérale de Santa Catarina, Brésil) ont mis en place la méthode Brazil-SR (Pereira et al., 2000), une méthode physique qui utilise le canal du visible du satellite GOES pour estimer le rayonnement solaire en surface, pour obtenir des estimations d’irradiation au niveau de l’Amérique du Sud. La méthode Brazil-SR s’inspire du modèle IGMK (Institut für Geophysik Meteorologie, Universitat zü Köln – Institut de Météorologie Geophysique, Université de Cologne, Allemagne) de Moser & Raschke (1983), amélioré par la suite par Stuhlmann et al., (1990), qui permit la prise en compte de l’élévation de la surface, et des réflexions multiples du rayonnement entre la surface et les couches de l’atmosphère. L’hypothèse de départ stipule que les nuages sont le facteur le plus influent dans l’atténuation du rayonnement solaire. Le principal objectif est donc de paramétrer l’influence des nuages (couvert nuageux, épaisseur optique) le plus précisément possible. Les autres contributions (aérosols, vapeur d’eau, ozone, albédo de surface) sont considérées comme secondaires et peuvent être décrites par leur climatologie mensuelle (Stuhlmann et al., 1990). La méthode Brazil-SR utilise une approche ”double flux” (Schmetz, 1984) pour estimer la transmittance du ciel. À partir de cette Méthodes d’estimation de l’irradiation globale solaire par satellite 8 transmittance et d’un indice de couvert nuageux (n), une estimation de l’irradiation solaire au sol en est déduite. Janjai et al., (2005) ont mis en place un modèle physique particulièrement adapté pour les zones tropicales afin de cartographier le rayonnement global reçu au sol. L’accent a été mis sur la modélisation des processus d’absorption et de diffusion par les constituants de l’atmosphère (ozone, aérosols, vapeur d’eau). Les données images sont issues des capteurs satellites GMS-4, GMS-5, GOES-9 et MTSAT-1R ont été extraites et converties en une valeur d’albédo « Terre-Atmosphère ». Les coefficients d’absorption et cet albédo « Terre-Atmosphère » sont liés à un coefficient total de transmission. En multipliant ce coefficient total de transmission par le rayonnement solaire extraterrestre, il est possible d’obtenir le rayonnement global au sol. Enfin, Oumbe (2009) et Lefèvre et al., (2013) ont développé la méthode Heliosat4 qui exploite deux modèles atmosphériques : McClear, pour estimer le rayonnement au sol par ciel clair, et McCloud (Qu, 2013) pour estimer le rayonnement au sol par ciel couvert. Un abaque de valeurs issues de chaque modèle est crée au préalable, afin de permettre une exploitation opérationnelle de ces modèles. En effet, l’exploitation d’un MTR en mode opérationnel est quasiment impossible, compte tenu de la durée des temps de calcul.
Méthodes Hybrides
La mise en place opérationnelle de procédures d’étalonnage des instruments de mesure (dans le canal du visible) des satellites météorologiques géostationnaires (Weinreb et al., (1997), Lefevre et al., (2000), Rigollier et al., (2002)), a permis d’établir des relations physiques entre valeurs de comptes numériques des pixels et valeurs de luminance au sol. Ainsi, la plupart des ajustements empiriques opérés dans les méthodes statistiques ont pu être remplacés par un ensemble de relations physiques et statistiques et ces méthodes exploitant sont dites alors « hybrides ». Ces méthodes sont aussi appelées « méthodes inverses », puisqu’elles résultent de trois opérations : une modélisation du rayonnement au sol par ciel clair, une modélisation du rayonnement au sol par ciel couvert et enfin une combinaison de ces deux modèles avec une mesure de la couverture nuageuse issue d’une observation satellite (Oumbe, 2009). Rigollier et al., (2000) ont proposé plusieurs améliorations pour faire évoluer la méthode originale Heliosat. La version Heliosat 2 utilise le modèle de ciel clair ESRA (utilisé dans le European Solar Radiation Atlas, d’où son nom). Le modèle ESRA offre une expression explicite pour chacune des composantes (directe et diffuse) du rayonnement solaire, ce qui permet une meilleure représentation de l’irradiation par ciel clair. Ce modèle fait intervenir, comme indiqué dans sa formule, le Trouble de Linke, qui permet de rendre compte des atténuations du rayonnement lorsqu’il traverse l’atmosphère. Le Trouble de Linke est défini comme le nombre d’atmosphères pures et sèches nécessaires pour reproduire la même atténuation du rayonnement solaire extraterrestre que celle obtenue par l’atmosphère réelle. Introduction Générale 9 Une autre méthode exploitant le Trouble de Linke est la méthode de Perez et al., (2002). Dans cette méthode, le Compte numérique de l’image est normalisé, puis converti en indice d’ennuagement. Cette méthode est une amélioration du modèle de Zelenka et al., (1999) : la formule du Trouble de Linke a été modifiée pour la rendre indépendante de la masse d’air, puis exploitée dans le modèle de ciel clair de Kasten (Ineichen and Perez, 2002), et la présence de neige sur le sol est prise en compte. Avec le lancement de Meteosat Seconde Génération (Météosat 8 lancé en 2002) qui a presque quadruplé le nombre de canaux d’acquisition (de 3 à 11), avec une hausse de la résolution temporelle (1 image toutes les 15 min) et spatiale (pixel de 1km au sol), on cherche désormais à se rapprocher d’un modèle physique. En effet, telle qu’elle était, la méthode Heliosat-2 ne pouvait pas exploiter cette nouvelle gamme d’informations sur l’atmosphère, fournie par des satellites plus performants. Mueller et al., (2004) ont mis à jour la méthode Heliosat-2, grâce à l’utilisation d’un nouveau modèle de ciel clair : le modèle SOLIS, une approximation de modèle de transfert radiatif. Ce rapprochement avec un modèle de transfert radiatif se base sur la modificaion de la relation de Lambert-Beer. Sa formule est la suivante : = . (1.5) Avec : • I : rayonnement solaire direct au sol, avec le soleil au zénith (W/m²) • I0 : rayonnement extraterrestre (W/m²) • τ : trajet optique (sans unité) Si l’on prend en compte le cheminement du rayon et la projection sur la surface de la Terre, nous pouvons poser : ( ) = . ( !) . « #$( ) (1.6) Avec : • θz : angle solaire zenithal (en degrés) • I(θz) : irradiation à l’angle θz Bien qu’ayant une motivation physique, l’utilisation de la relation de LambertBeer modifiée reste une fonction d’ajustement. Les méthodes d’estimation présentées dans cette section ont été développées par différentes institutions, à différentes résolutions. Les résultats obtenus par certaines de ces méthodes ont permis de produire des estimations d’irradiation solaire au sol qui ont été archivées dans des bases de données. Certaines de ces bases de données sont disponibles à une échelle continentale, d’autres à une échelle planétaire.
Chapitre 1 : Introduction générale |